Épisode 4
8 minutes de lecture
Vendredi 24 janvier 2020
par Anne-Sophie NOVEL
Anne-Sophie NOVEL
Journaliste spécialisée dans les alternatives économiques et sociétales, Anne-Sophie travaille pour Le Monde, Le 1, We Demain, France 2, Public Sénat et de nombreux autres supports. Elle est aussi auteur et conférencière.

En ville ou à la campagne, le modèle des « écoles du dehors » se répand doucement en France alors qu’il est beaucoup plus répandu en Europe et dans le monde. Immersion à la Chrysalide, une école primaire de Captieux, où tout repose sur un principe simple : « la coopération et l’écologie se vivent, elles ne s’enseignent pas. »

Deux enfants de la ville s’interrogent sur leurs plus beaux souvenirs et réalisent qu’ils ne se sont jamais sentis plus vivants et libres qu’en pleine nature… Que leurs propres enfants méritent mieux qu’une éducation entre quatre murs dans une cour en béton. Cela donne une quête de sens au cours de laquelle on réalise qu’il est temps de laisser les enfants « toucher terre » à nouveau. Avec L’enfant dans la nature, la journaliste Moïna Fauvier-Delavigne et l’entrepreneur Matthieu Chéreau offrent un ouvrage qui explore la démarche des écoles où l’éducation est pensée en symbiose avec la nature.

Un mouvement en plein essor

Au Danemark depuis les années 1950, plusieurs centaines d’écoles, souvent publiques, proposent des « jardins d’enfants de forêt » : dans 20 % des écoles maternelles, les petits passent leur temps debout, avec des espaces qui ne sont pas rétrécis. « Au total en Europe, on en compte déjà un peu plus de 3000 réparties partout ou presque. De la Scandinavie à l’Allemagne (2000) en passant par l’Italie (100), la Pologne (33) ou l’Espagne (30) » expliquent les auteurs en ajoutant que « des écoles en forêt sont aujourd’hui implantées de l’Australie au Canada, en passant par l’Asie, la Turquie, plusieurs pays d’Afrique et d’Amérique du Sud. »

Le besoin de nature reste un non-sujet dans les débats d’éducation française.

De fait, si l’approche diffère d’une école à l’autre, avec des modèles à temps plein, ou d’autres où il s’agit de sorties régulières en nature, il s’agit avant tout « d’offrir du temps et un espace aux enfants pour jouer librement, et profiter d’un environnement nature qui sera toujours plus riche et moins normé qu’une salle de classe. Observer les orties à la loupe, des empreintes d’animaux, grimper sur un rocher, un tronc, un arbre, fabriquer des colliers de pâquerettes, construire des cabanes, participer à une chasse au trésor, à un Memory de la nature, observer les étoiles ou même faire de l’astronomie de jour. »

Bâtons et insectes sont un refuge pour l’imaginaire nourri du temps de jeux libres et d’amusement désormais reconnus bon pour la santé, la concentration et le développement de compétences sociales, émotionnelles et exécutives utiles au XXIe siècle. Le rapport au risque et au danger aussi est fort différent, avec une vision souvent libérale et non restrictive des enfants qui leur permet de tester les limites autrement.

Or malgré les bénéfices nombreux de ces approches, l’enquête de Moïna Fauvier-Delavigne et Matthieu Chéreau prouve que le besoin de nature reste un non-sujet dans les débats d’éducation française. Et comme il ne trouve pas sa place au programme, certains enseignants rusent et abusent de subterfuges pour promouvoir ce modèle éducatif. Comme à Pompaire par exemple, à 50 kilomètres à l’ouest de Poitiers, où une enseignante de petite section a réussi à lancer la dynamique en valorisant les compétences acquises et… le terrain communal pour que les élèves, tous les jeudis matin, puissent avoir un temps de classe dehors.

L’initiative fait tellement ses preuves que le département des Deux-Sèvres commence à soutenir la démarche et à la promouvoir partout dans le département. Ailleurs en France, des écoles font de même dans la Drôme, dans les Vosges du Nord, à Strasbourg, Montreuil… tantôt en verdissant la cour, tantôt en instaurant des sorties hebdomadaires, selon les possibilités offertes aux enseignants et parents impliqués dans la démarche — en jonglant, comme bien souvent, avec les normes et les budgets.

Et en Aquitaine alors ?

Outre les Deux-Sèvres, on trouve d’autres écoles qui cultivent ce type d’approche dans la région, comme à Marsac où le domaine Chantemerle propose la seule école à plein temps dans la nature. À Captieux aussi, près des Landes, une autre petite école créée il y a cinq ans applique ces préceptes. Elle propose une synthèse fertile des approches pédagogiques alternatives.

Des petits monstres construits par les élèves de la Chrysalide.
Depuis 5 ans, la Chrysalide est une école à ciel ouvert — Photo : Anne-Sophie Novel

Quand je m’y rends mi-novembre 2019, je découvre une grande bâtisse landaise simplement indiquée par une pancarte en bois délabrée, au bout d’un chemin boueux. Il est 10 h 30, les poules sont de sortie, mais pas les petits que je rencontre après avoir toqué prudemment à la porte vitrée. Quelques enfants sont assis en rond sur un épais tapis autour de Nathalie, leur maîtresse. Est-ce la chaleur douce du poêle à bois installé dans l’ancienne cheminée protégée d’un pare-feu qui ajoute au chaleureux accueil qui m’est fait ? Une chose est sûre : Matisse et Robinson m’attendent avec joie pour présenter leur école. « Ils se sont proposés tous les deux ce matin », m’indique leur institutrice. « Les enfants sont au courant de votre venue et sont impatients de vous faire découvrir les lieux. »

J’ai à peine retiré mes baskets qu’il me faut les remettre, direction le jardin, qui fait office de cour : ici un tipi érigé par les enfants l’an dernier, là un immense bac à sable, un toboggan, une œuvre de récup’, des pneus suspendus faisant office de balançoire, mais surtout un petit potager, un hôtel à insecte, des nichoirs, et un buisson à hérissons que mes deux compères, âgés de neuf ans, s’empressent de me montrer. « Il est déjà venu dedans, nous l’avons vu ! » me précisent-ils avant de me guider vers leur petit terrain de foot (ce sont des papas qui ont fabriqué les cadres en bois qui font office de cage).

Autour de la bâtisse louée gratuitement par Denis, le propriétaire de la ferme, on distingue un poulailler, un bosquet, des silos à grains, un gîte et même un petit château. Pour les 38 élèves de maternelle et de primaire, et leurs familles, cette école est un espace apaisé digne d’un petit paradis. Ici, petits et grands développent des relations d’égal à égal, l’autonomie est reine et la nature, humaine tout autant que le vivant dans son ensemble, est au cœur de l’approche.

Si les enfants apprennent très tôt, chaque matin, à partager leurs émotions, ils cultivent aussi bien l’autonomie que le rapport au collectif. Il n’est pas rare par exemple que les abeilles (les plus grands du CE2 au CM2) aillent lire des histoires aux plus petits (les papillons en maternelle). Ou que les libellules (les moyens du CP au CE2) partagent leurs tâches avec d’autres, là où les plus anciens expliquent comment faire aux élèves arrivés plus récemment. Moment clef des échanges dans cette petite communauté, le Conseil, qui, chaque vendredi, permet à chacun de partager son ressenti : « On apprend à ne pas pointer du doigt et à s’exprimer en disant “merci de ne pas…” » m’explique Matisse, pour qui cela est très important.

Bâtiment qui accueille l'école La Chrysalide, loué gratuitement par le propriétaire de la ferme.
Le bâtiment est loué gratuitement par Denis, propriétaire de la ferme — Photo : Anne-Sophie Novel

En fin de matinée, alors que les papillons rentrent de leur sortie quotidienne, Marc anime un petit atelier de philosophie au cours duquel un enfant est maître du temps, l’autre responsable des tours de parole et un autre encore maître du feu. Ils s’interrogent sur la morale de l’histoire qu’on vient de leur partager.

Dans la salle de classe, Nathalie fait réviser les mathématiques. Passionnée par les méthodes mentales et cognitives, elle apprend aux nouveaux arrivants de l’année à retenir les tables de multiplication les plus compliquées en usant de repères visuels (une affiche, un livre, un objet…) choisis au hasard dans la salle de classe. « C’est une technique de visualisation qui marche redoutablement bien », m’explique-t-elle.

Quelques libellules ouvrent ensuite leur cahier de maths pour réviser les leçons du moment, chacun à son rythme. Car ici tous les quinze jours les enfants définissent leur plan de travail : chacun sait ce qu’il a à apprendre et intégrer, et s’organise comme il le souhaite pour y arriver. Pour les devoirs, idem : les élèves peuvent en demander s’ils en ressentent le besoin, mais rien n’est obligatoire, cela dépend de leur bon vouloir, selon les savoirs d’ores et déjà acquis.

Lors de la pause déjeuner, les élèves sont invités à aller chercher leurs boîtes à repas quand ils le souhaitent : certains s’installent à l’extérieur, bien couverts, quand d’autres préfèrent la cuisine qui autrement fait office de salle de réunion. Morgane, la directrice, me confirme que de nombreux parents se sont débrouillés récemment pour venir s’installer dans le coin et investir plus largement le projet pédagogique : la garderie est d’ailleurs assurée par des parents, tout comme le ménage (chaque vendredi), les ateliers pour aménager l’école, pour fournir la petite épicerie qui rapporte de l’argent à l’association, etc.

Durant la pause, chaque enfant vaque aux occupations qui lui font envie, dehors ou dedans quand, après avoir mangé chacun fait sa vaisselle et range ses affaires, nettoie aussi l’espace où il s’était installé. Il n’y a qu’à les voir bouger durant les leçons pour comprendre que la liberté est aussi celle du corps, allongés, accroupis sur leur chaise ou assis. Le tutoiement de la maîtresse est de rigueur tout autant que l’écoute empathique.

À l’air libre

Ici en réalité, tout repose sur un principe simple : « la coopération et l’écologie se vivent, elles ne s’enseignent pas. C’est un modèle sociétal en miniature que nous essayons de (re) produire » m’explique Morgane. Pour elle et les deux autres co-fondateurs de la Chrysalide, l’essentiel réside dans la coopération, l’entraide, la solidarité tout en plaçant la nature au cœur du projet. Outre le socle de pédagogies alternatives dont elle s’inspire (et notamment la méthode Pidapi pour les maths), c’est aussi la confiance, bien sûr, conçue comme fil conducteur de ce lien créé avec les enfants, entre parents, avec les enseignants, qui ici prend une dimension plus grande encore.

Tipi construit par les enfants de la Chrysalide.
Les enfants ont construit eux-mêmes ce tipi — Photo : Anne-Sophie Novel

Après cinq ans d’activité maintenant, Morgane sent que l’école a atteint un équilibre : difficile d’accueillir plus d’enfants. Avec une cinquantaine d’adultes impliqués dans le projet, elle participe maintenant à la mise en place d’une structure plus vaste, la Boussole. Elle serait composée d’un FabLab, d’un espace d’animation, d’un coworking, d’une épicerie solidaire et surtout d’un collège qui permettrait aux plus grands de poursuivre leurs apprentissages dans la continuité de l’approche actuelle. Avec, toujours, un équilibre entre différents milieux sociaux et les besoins spécifiques de certains enfants acceptés dans l’école

Aujourd’hui, le succès de la démarche est tel que la Chrysalide fait partie des références parmi les écoles qui proposent, en France, une éducation à et par la nature. Privée et hors contrat, l’école coûte 200 euros par mois aux parents (sans coûts supplémentaires, de fait, pour la garderie et les repas, vu que ce sont les parents qui s’en occupent) et offre beaucoup plus qu’un enseignement en créant une véritable communauté. « En prenant le large, ces familles sont venues trouver ici de l’oxygène, mais aussi une certaine cohérence entre un cadre, une éducation, et un mode de vie », soulignent en ce sens Matthieu Chéreau et Moïna Fauchier-Delavigne.

Si Morgane, la directrice de la Chrysalide, propose maintenant des modules de formation en présentiel et en ligne pour partager son approche, elle va également développer des coachings individuels pour permettre à d’autres de répliquer leur démarche ailleurs. Matthieu Chéreau et Moïna Fauchier-Delavigne, suite à leur enquête, ont aussi créé avec Joëlle Quitin, spécialiste des écoles du dehors, un collectif destiné à favoriser la multiplication de ce type de structures en France. De quoi impulser une dynamique et une multiplication des initiatives, tout en invitant les services ministériels à sortir des murs eux aussi !

À écouter pour aller plus loin

La terre au carré avec Moïna Fauchier-Delavigne
Les pieds sur terre par Sonia Kronlund

Anne-Sophie NOVEL
Journaliste spécialisée dans les alternatives économiques et sociétales, Anne-Sophie travaille pour Le Monde, Le 1, We Demain, France 2, Public Sénat et de nombreux autres supports. Elle est aussi auteur et conférencière.
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