Épisode 2
8 minutes de lecture
Vendredi 26 juillet 2019
par Chloé RÉBILLARD
Chloé RÉBILLARD
Bretonne qui s’est volontairement exilée au Pays basque, Chloé a fait ses premiers pas de journaliste au sein de la rédaction de Sciences Humaines et a rencontré le Pays basque avec Mediabask. Désormais journaliste indépendante, elle travaille sur les questions de société et d’environnement. Elle est notamment correspondante pour Reporterre.

Paysans, riverains et écologistes se mobilisent contre deux projets de porcheries industrielles dans les Pyrénées.

Illustrations : Manon Jousse

Des avions reposent sagement sur le tarmac de l’aéroport Lourdes-Tarbes, comme écrasés par la chaleur printanière de cette fin avril. Depuis le cimetière du bourg d’Ossun (Hautes-Pyrénées — 65), le visiteur bénéficie d’une vue imprenable sur le trafic aérien. La ville, qui compte un peu plus de 2 000 habitants, a fait récemment la une de l’actualité, pour d’autres raisons : un projet de porcherie industrielle, annoncé en grande pompe, a fait renifler plus d’un habitant.

Select’Porc, la filiale industrielle de la coopérative agricole Fipso a jeté son dévolu sur une porcherie abandonnée sur les terres d’Ossun. Son projet prévoit de démolir le bâti existant — et en passe de s’effondrer — pour reconstruire un bâtiment industriel d’élevage hors-sol qui pourrait accueillir 6 000 porcs annuellement, soit environ 2 000 de manière continue. Une association d’habitants, « No porcharan », s’est constituée fin 2018 afin d’empêcher ce projet de voir le jour. Mais, en dépit de leur intense mobilisation, le préfet a accordé le feu vert au projet en mars 2019. Les habitants ont déposé un recours gracieux et ont d’ores et déjà prévu, en cas d’échec, de poursuivre leur action en justice.

Le bâtiment abandonné d’Ossun, bientôt remplacé par une porcherie industrielle.
Le bâtiment abandonné d’Ossun, bientôt remplacé par une porcherie industrielle. — Photo : Chloé Rébillard.

À quarante kilomètres de là, la commune d’Escoubès (Pyrénées-Atlantiques — 64), qui comptabilise environ 450 habitants et plusieurs milliers de porcs répartis dans huit élevages, fait face au même poids lourd de l’agro-industrie. Ici, c’est contre un projet d’extension de porcherie que les riverains se battent : il s’agit cette fois de transformer l’une des exploitations de la commune en une ferme-usine capable de produire 17 000 porcs par an, ce qui en ferait la plus importante porcherie du Sud-Ouest.

Là encore, la Fipso est derrière le projet et se partage, avec la coopérative agricole Euralis, 90 % des actions, contre 10 % pour l’éleveur. Luc et Bénédicte, trésorier et secrétaire de l’association « Bien-vivre dans les coteaux du Béarn », créée pour lutter contre le projet, nous font visiter le village. En contrebas, un bâtiment agricole et des travaux en cours indiquent l’emplacement du site : « Ils ont commencé les travaux malgré le recours posé devant le tribunal administratif, et ont mis des barrières depuis que Greenpeace est rentrée avec une banderole sur le site. » L’accord du préfet a été donné à l’été 2018 et les travaux ont débuté au début de l’année 2019, mais les opposants n’ont pas épuisé les voies juridiques : un recours a été déposé, il sera jugé d’ici un an et une deuxième action en justice, suspensive cette fois-ci, devrait être déposée sous peu.

Un porc pour l’export

Les deux projets ont été pensés notamment pour alimenter la filière jambon de Bayonne, avec les cuisses. Le reste des carcasses partira vers la grande distribution, dont la filière « label qualité » de Carrefour. Ce fut l’un des arguments que la Fipso (qui n’a pas répondu à nos sollicitations) a rétorqué aux opposants : pour maintenir le volume de production et conquérir de nouveaux marchés à l’international, le jambon de Bayonne a besoin de matière première. La Fispo possède le plus grand abattoir du secteur à Lahontan, et des maternités porcines. Entre les deux, il leur manquait le maillon central de la chaîne : les engraisseurs. La mention figure également dans le rapport favorable qu’a rendu le préfet des Pyrénées-Atlantiques, il s’agit de « conforter la filière jambon de Bayonne ».

En France, si les volumes consommés sont en régression, le consortium du jambon de Bayonne a tout de même obtenu une subvention de 1,5 million d’euros pour valoriser son produit sur le marché étasunien, tandis qu’une partie de la production est exportée vers des pays européens, la Chine ou encore le Japon. Jean-Louis Campagne, élu de la Confédération paysanne à la chambre d’agriculture et éleveur de volailles dans une commune voisine d’Escoubès, pose un constat sans détour : « La foire au jambon à Bayonne s’ouvre avec le concours du meilleur jambon fermier. C’est une vitrine, mais en réalité cela ne représente qu’une infime minorité, derrière ce sont des productions industrielles. »

Si on veut des appellations fortes, ne faudrait-il pas interdire ce type de fermes qui est à l’antithèse de l’image de la qualité dans l’esprit du consommateur ?

Ces deux nouveaux projets marquent une nouvelle étape dans le processus d’industrialisation de la filière. Pour confectionner le fameux jambon sec, le cahier des charges indique que l’animal doit être « un porc du Sud-Ouest », c’est-à-dire qu’il doit avoir été élevé dans l’un des vingt-deux départements reconnus par l’IGP, et doit avoir été nourri avec 60 % de céréales. « Cela questionne les appellations, interpelle Suzanne Dalle, chargée de campagne agriculture chez Greenpeace France. Si on veut des appellations fortes, ne faudrait-il pas interdire ce type de fermes qui est à l’antithèse de l’image de la qualité dans l’esprit du consommateur ? »

Le modèle agro-industriel contesté

José Astorga, habitant d’Ossun depuis plus de dix ans et président de l’association « No porcharan », fait état d’une grosse mobilisation contre ce projet : « Nous comptons 500 adhérents ; si l’on compte une personne par famille, cela représente toute la ville, affirme-t-il. Aujourd’hui, on sent bien qu’il y a une tendance de fond, une opposition forte à ce type d’agriculture qui n’est plus du tout en ligne avec les aspirations sociales ni avec les aspects environnementaux auxquels nous faisons face. »

Greenpeace a fait du projet d’Escoubès l’une de ses vitrines dans sa campagne contre les fermes-usines et pointe du doigt la responsabilité des élevages dans les émissions de gaz à effet de serre, comme l’explique Suzanne Dalle : « Il ne s’agit pas d’arrêter l’élevage, nous reconnaissons le rôle que jouent les élevages écologiques notamment dans le maintien de la biodiversité. Notre objectif est de réduire de 50 % à la fois la production et la consommation d’ici 2050. Les fermes-usines ne doivent pas être considérées comme une solution d’avenir en France. Pourtant, la tendance à l’industrialisation est bien là : en France, 1 % des fermes produisent plus de la moitié de porcs, poulets et œufs. Le nombre de cochons par ferme ne fait qu’augmenter. Si on veut inverser la tendance, c’est aujourd’hui que ça doit se faire. »

Les opposants, qu’ils soient riverains, membres du syndicat la confédération paysanne ou d’associations écologistes, affirment tous qu’un autre modèle agricole est possible, et surtout, souhaitable. Un contre-modèle qui serait également plus respectueux des agriculteurs.

Vers une campagne sans paysans ?

Sur les hauteurs d’Ossun, le plateau de Gers déroule sous les roues des voitures qui empruntent la départementale. Au bord de la route, non loin du panneau qui délimite les départements 65 et 64, un bâtiment abandonné est fermé par un grillage sur lequel est accroché un permis de construire. Autour, des terres agricoles s’étendent et viennent s’échouer jusqu’au pied des Pyrénées. Des élevages de canards parachèvent le décor. Rien, sinon le carton du permis de construire, ne permet d’identifier le lieu choisi. Ici, ce n’est pas un nouveau voisin que les paysans du plateau vont devoir accueillir : aucun agriculteur n’est derrière le projet. La filiale industrielle Select’Porc a prévu d’embaucher deux salariés pour 1 poste et demi. Pour Thierry Hourmé, membre de « No porcharan », c’est aussi un problème pour le monde paysan : « On a dit aux agriculteurs : attention les gars, ils sont en train de se passer de vous. Même à la FNSEA, qui soutient le modèle industriel, ça grince des dents, mais ils ne peuvent pas le dire. »

Le panneau "inondation" près duquel sera construit la porcherie à Ossun.
La porcherie d’Escoubès sera bâtie sur une zone inondable. — Photo : Chloé Rébillard.

À Escoubès, bien que l’éleveur possède 10 % du projet, l’immense majorité revient à la Fipso. Pour Célia Layre, présidente de l’association « Bien-vivre sur les coteaux du Béarn », la Fipso, actrice quasi incontournable dans le porc, a fait pression sur les éleveurs qui osaient clamer un peu trop fort leur opposition. Suzanne Dalle fait un constat similaire : « Ce qui pourrait se profiler, c’est que toutes les fermes familiales mettent la clé sous la porte. » Les deux femmes craignent pour la pérennité des petites exploitations qui sont situées sur la commune d’Escoubès : la plupart des élevages sont sur le modèle de litière paille avec des accès extérieurs pour les animaux, modèle qui leur permet de produire de 1 000 à 1 500 cochons par an. L’un des élevages est, lui, en plein air et produit 300 bêtes annuellement. Jean-Louis Campagne abonde : « Un éleveur va faire les volumes de dix autres, tout le système est pensé pour qu’il y ait un nivellement des prix par le bas. » Les projets de la Fipso prévoient des élevages sur caillebotis — sur du béton avec des rainures pour laisser passer les déjections — : « Ils pourraient construire leur bâtiment sur le tarmac de l’aéroport que ça ne changerait rien, » ironise José Astorga.

Cadre de vie en danger

Les riverains craignent également des nuisances qui auraient un impact sur leur qualité de vie, comme le souligne J. Astorga : « Ossun est une commune rurale vivante, nous avons des commerces, une vie associative fleurissante… C’est peut-être la mort de tout cela que le préfet a signée en autorisant les travaux. » Dans la commune se poserait rapidement le problème de l’approvisionnement en eau : en raison d’un débit trop faible, les élevages de canards du plateau sont déjà contraints d’aménager un calendrier de nettoyage pour leurs exploitations respectives. Les Ossunois ont une eau polluée par les pesticides qui dépasse les seuils légaux au robinet. Selon eux, la porcherie ne viendrait qu’aggraver les problèmes d’approvisionnement et de qualité de l’eau.

À Escoubès, les odeurs liées aux cochons se font déjà parfois sentir, un désagrément dont les habitants ne se plaignent pourtant pas. Bénédicte s’en amuse : « C’est la campagne, ça sent parfois. » Cependant, la perspective d’une telle exploitation leur fait craindre réelle détérioration olfactive, d’autant que l’exploitation observerait une position centrale au sein du village : la première maison est située à seulement 144 mètres du projet. Un habitant qui cherchait à vendre son bien a vu les prix s’effondrer en peu de temps, conjugué à un effondrement de la demande.

Le préfet nous a dit : “Vous êtes un dommage collatéral !” Nous avons entendu : “Vous n’existez pas…”

Le ballet des poids lourds sur l’une des départementales les plus accidentogènes du département inquiète également. Pour Célia Layre, « les routes ne sont déjà pas aux dimensions pour les poids lourds. Demain, avec cette nouvelle structure, le trafic sera multiplié et cela ne va rien arranger ».

Autre problème soulevé par les opposants : l’épandage. D’après eux, les surfaces d’épandage ont été soient sous-évaluées, à Escoubès, soit non respectueuses des règles, notamment des inclinaisons de pentes, à Ossun. Et sur le terrain d’Escoubès, une inondation s’est produite au printemps 2018, faisant craindre une pollution éventuelle dans le cours d’eau adjacent si le phénomène venait à se reproduire.

Tous fustigent des pouvoirs publics « sous le contrôle de lobbys », les préfets ayant accordé sans sourciller les autorisations nécessaires, malgré les mises en garde répétées des habitants : « Le préfet nous a dit : “Vous êtes un dommage collatéral !” Nous avons entendu : “Vous n’existez pas…” » rapporte amèrement Célia Layre. Tous se tournent désormais vers la justice afin d’obtenir l’arrêt des projets.

Chloé RÉBILLARD
Bretonne qui s’est volontairement exilée au Pays basque, Chloé a fait ses premiers pas de journaliste au sein de la rédaction de Sciences Humaines et a rencontré le Pays basque avec Mediabask. Désormais journaliste indépendante, elle travaille sur les questions de société et d’environnement. Elle est notamment correspondante pour Reporterre.
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