Jean-Marie voulait promouvoir la nature et l’écologie : l’étalement urbain l’a rattrapé et a bétonné la nature du bassin d’Arcachon qu’il aimait tant. Il a préféré partir.
Partir. Tout laisser derrière soi ou presque et aller de l’avant. Une décision radicale qui s’impose d’elle-même, ne nécessitant parfois ni chaos, ni conflit pour recommencer ailleurs et tenter de faire mieux.
Jean-Marie Stoerkler est parti pour de bon. Il a laissé derrière lui une maison qu’il a mis pourtant des années à construire lui-même. Édifiée au milieu d’un jardin d’Éden miniature qu’il a également façonné, la bâtisse rayonne encore de la vie insufflée par son créateur. Et pour cause, la moindre parcelle de bois, de brique ou de fer est passée par les mains habiles de cet ancien professeur de maintenance navale.
Ils vécurent heureux…
Bien plus qu’un simple foyer, cette maison de 110 m² au bord du bassin d’Arcachon, située sur la commune de Biganos, était pour Jean-Marie et Élisabeth, sa compagne, le rêve d’une vie et la consécration d’un idéal : réduire au strict minimum leur empreinte écologique.
Comment ? En produisant de l’électricité et en tirant le meilleur parti de leur consommation d’eau. Un poêle bouilleur, un four solaire et une « isolation maison » leur ont notamment permis de régler pour de bon les questions de chauffage et de climatisation. « Quand nous sommes arrivés ici en 2006, j’avais l’envie d’être le plus autonome possible et de produire plus d’électricité que nous n’en consommions afin de réduire notre impact environnemental. »
Le jardin quant à lui pousse seul ou presque pour le plus grand bonheur des insectes qui pollinisent les parterres de fleurs. Au sol, les carrés de tomates et d’aromates se disputent les faveurs du couple. Mais notre bricoleur girondin n’est pas du genre à récolter seul les idées qu’il sème.
Aussi, Jean-Marie a entrepris de dédier une partie de la bâtisse à la promotion de l’écotourisme en créant deux chambres d’hôtes. Les « Éco-Logis Boïens » voient ainsi le jour en 2013 et Jean-Marie s’y consacre désormais à plein temps, laissant derrière lui l’enseignement. Depuis lors, ses hôtes ont trouvé dans cet écrin labellisé « Écogîte de France », non loin de la forêt et du port de Biganos, un havre de paix.
Le chant des rossignols a été remplacé ces dernières années par le vrombissement des tondeuses et des taille-haies.
Une immersion au plus proche de la nature qui lui a par ailleurs valu une certaine reconnaissance auprès de ses pairs, des médias locaux et des institutions. Dès 2014, les Éco-Logis Boïens se retrouvent donc exposés au grand jour.
Les reportages et les interviews se multiplient. TVBA (La Télévision du Bassin d’Archachon), La Dépêche du bassin ou encore Sud-Ouest racontent l’histoire de cet ancien spécialiste des moteurs diesel, passé par l’enseignement de la maintenance navale et désormais reconverti à la cause écologiste.
En 2015, Jean-Marie montera même sur scène en vue de sa participation au concours des Jeunes Talents de Biganos où il croise le parrain de cette édition, le local de l’étape: Bernard Montiel. Ses convictions et ambitions écologiques sont créditées par un partenariat important noué avec le Parc Naturel Régional des Landes de Gascogne qui lui attribue en 2020 la marque « Valeurs Parc Naturel Régional». Mieux encore, les Éco-Logis Boïens deviennent officiellement partenaires de la marque B’A, l’officine en charge de l’image et de la promotion du bassin d’Arcachon pour le compte du Syndicat Intercommunal du bassin d’Arcachon (SIBA).
Ce dernier partenariat s’avère particulièrement exigeant puisqu’il engage, en contrepartie d’une certaine visibilité et de son référencement, à la valorisation « de l’effort environnemental et des actions de sensibilisation autour de notre environnement». Sur la page web du site de la marque du bassin d’Archachon dédié aux éco-logis boïens, nous pouvons encore lire ceci : « L’Éco-Logis Boïen et le bassin d’Arcachon sont indissociables par nature, à travers la marque “B’A”, cette alliance a vocation à participer à une vision positive du Bassin et de son avenir. »
L’histoire aurait dû s’arrêter là. « Ils vécurent heureux… » défilant au ralenti sur un fond de coucher de soleil, le gazouillis des oiseaux pour seule bande sonore, tout cela dans la quiétude du Delta de l’Eyre. Si seulement…
Souvenirs d’un paradis perdu
Ce tableau idyllique brossé à grands traits s’est légèrement assombri depuis. À proximité immédiate des « Éco-Logis Boïens» dans un premier temps : le chant des rossignols a été remplacé ces dernières années par le vrombissement des tondeuses et des taille-haies. Autour du jardin de Jean-Marie, c’est un lotissement qui a vu peu à peu le jour. Les bandes de terre se sont changées en allées bitumées.
Une maison à la fois, à dose homéopathique.
Le havre de paix s’est mué en enfer. Un enfer supportable, certes, mais contredisant purement et simplement la vision de l’écotourisme chère à Jean-Marie. La partition du train-train quotidien de ses voisins s’écoute désormais sans difficulté depuis des chambres d’hôtes qui se voulaient pourtant être des refuges. Des retraites coupées du monde, ou presque.
« Nombre de mes hôtes n’ont pas osé me dire sur le moment à quel point ils avaient éprouvé cette problématique. Ce n’est qu’après coup qu’ils m’ont fait part de leurs réserves quant à l’aspect “nature” qui faisait au départ l’attrait de mes chambres d’hôtes… »
En quelques années à peine, le petit quartier d’habitations s’est finalement mué en un vrai lotissement. Ce qui fût un point d’accueil pour les âmes en mal de nature souffre désormais des multiples nuisances occasionnées par le voisinage immédiat. « Les maisons ont tout simplement poussé autour de moi. La pression immobilière a été plus forte. Et ce n’était pas juste autour de nous. Partout sur ce bassin d’Arcachon que l’on vante si “nature”, la pollution, les bouchons et les nuisances sont devenus omniprésentes. Mes hôtes m’ont confirmé cette réalité. »
En effet, au-delà de l’environnement proche de Jean-Marie, c’est l’ensemble du bassin d’Arcachon qui pâtit de sa popularité, et plus seulement en période estivale. L’idée de vivre sur le bassin d’Arcachon à l’année et de travailler sur la Métropole de Bordeaux a fait son chemin. Pour Jean-Marie, qui promeut l’usage du vélo et vante le maillage de pistes cyclables local, il est devenu difficile d’ignorer les interminables bouchons quotidiens qui rappellent sans mal la congestion de la rocade bordelaise.
Partout sur ce bassin d’Arcachon que l’on vante si ‘nature’, la pollution, les bouchons et les nuisances sont devenus omniprésents.
Deux axes symbolisent par ailleurs le recul de la nature au profit des pots d’échappement. Au sud, l’A660 – véritable cordon ombilical reliant Bordeaux à Arcachon – est en chantier depuis 2018 afin de doubler sa capacité, construire des échangeurs et absorber ainsi un flux automobile toujours plus dense. Quant au nord du Bassin, un projet de contournement porté par le département de la Gironde prévoit d’édifier une nouvelle route à travers la forêt afin de désengorger la RD3 qui longe le Nord Bassin.
Un choix notamment rejeté par le groupe Écologie les Verts du bassin d’Arcachon en octobre dernier par la voix de son secrétaire et conseiller régional Vital Baude. Écoutons ce réquisitoire éclairant : « Le Nord Bassin ne doit pas devenir le Sud Bassin, une agglomération traversée par un périphérique autoroutier, où la qualité de l’air se dégrade […], où le périphérique apporte des nuisances sonores et où la démographie est hors contrôle. Le Nord Bassin veut-il devenir une ville comme Gujan-Mestras avec 50000 véhicules jour sur les grands axes… et une croissance démographique de 22 % en 10 ans. Une nouvelle route a toujours amené une croissance urbanistique. »
Défendre un territoire nature : « un mensonge »
Car si la médiatisation du bassin d’Arcachon se cantonne souvent au charme de ses plages et au pittoresque de ses cabanes d’ostréiculteurs, la carte postale semble quelque peu écornée dès lors que l’on s’éloigne du rivage. La nature, pourtant au premier rang sur les supports de communication des collectivités locales, serait désormais plutôt à classer du côté des figurants dans le feuilleton qui se joue ici.
Au regard de ces considérations, Jean-Marie ne s’est donc pas arrêté au simple constat de l’incompatibilité de son activité avec son voisinage pullulant. C’est l’ensemble du bassin d’Arcachon, ce « territoire nature » dont il était lui-même ambassadeur, qui est devenu à ses yeux un parfait contre-exemple d’écologie. Dans ces conditions, comment continuer à être aveuglément l’une des cautions environnementales du Bassin ?
Alors, au terme d’une longue introspection, il ose aujourd’hui accepter simplement sa part de responsabilité. « J’étais certainement dans une forme de déni. Au fil des années, je continuais à promouvoir la nature et la tranquillité alors que nous étions désormais réveillés par des machines et des bagnoles. Quelque part, je crois que j’ai participé au problème en faisant croire que nous étions sur un environnement naturel alors que finalement, c’était de moins en moins le cas. »
Le premier pas de cette prise de conscience tient selon Jean-Marie à une seule question à laquelle il a tenté de répondre sincèrement : « Est-ce que je fais partie du problème ou de la solution ? »
« Oui, il me semble que c’est le premier pas: faire preuve d’honnêteté envers soi-même. Une fois que l’on a répondu à cette question, chacun est libre de continuer dans une voie ou une autre. » Convaincu que son environnement ne sera plus jamais en alignement avec sa vision de l’écologie, Jean-Marie a donc pris la seule solution qui s’imposait à lui sans avoir à renier ses convictions : partir.
Cette décision radicale s’est concrétisée cet automne. Après avoir fait leurs adieux à leur entourage et à cette maison dont ils connaissent les moindres recoins pour les avoir façonnés eux-mêmes, le couple de « quinquas » n’a pas hésité à gagner de nouveaux horizons. Sans regrets, c’est à Pessac-sur-Dordogne, dans une ancienne propriété viticole de l’Entre-deux-Mers, qu’ils ont choisi de poser leurs bagages afin de commencer un nouveau projet de vie. À partir de rien ou presque.
C’est une manière de dire stop et de ne plus contribuer à un mensonge. C’est presque un acte militant.
« Nous ne savons pas encore vraiment comment ça va se passer, ni ce que nous allons faire. Nous nous donnons une année pour comprendre les capacités du lieu et voir son potentiel sur les quatre saisons. Nous allons prendre le temps d’observer les écosystèmes pour nous adapter au mieux avec le moins d’effort possible. » Une seule certitude s’impose donc à eux à ce stade : cette décision leur permettra de ne plus faire partie du problème comme évoqué précédemment, mais bien de la solution. « C’est une manière de dire stop et de ne plus contribuer à un mensonge. C’est presque un acte militant. »
« La meilleur façon de changer le monde, c’est de commencer par soi-même. »
De telles décisions interrogent. Que faut-il pour en arriver à passer un tel cap? Comment trouver la force de quitter le nid familial et de sauter dans l’inconnu avec autant d’assurance et si peu de certitudes quant à l’avenir, notamment financier?
« C’est sûr qu’il est plus confortable de se laisser porter et de continuer sur notre voie sans prendre de risques. Mais prendre conscience du besoin de changer et oser faire le premier pas, c’est à la portée de tout un chacun. Les vraies solutions, on les a au fond de nous-mêmes. Qui que l’on soit. À une époque, je gagnais le double de mon salaire actuel, mais j’ai quand même fait le choix de cette activité. Ma voiture date de 2002 et je l’entretiens tant que je peux. Certains vont trouver drôle que j’ai encore cette vieille voiture, que l’on ne prenne pas un crédit pour en prendre une plus récente… mais ça fait partie de nos choix ! »
Rien ne dit évidemment que la transition et la perspective d’une nouvelle vie où tout est à reconstruire sera facile. Pour autant, un projet aussi radical – en substance, tout plaquer et recommencer ailleurs – nécessite accordons-le, un brin de témérité qu’il faut bien aller puiser quelque part. « Bien sûr il faut se retrousser les manches, mais je ne le vois pas comme quelque chose de titanesque. La vraie question, c’est comment oser? Oser, c’est au cœur de tout. C’est se mettre en danger, sortir de sa zone de confort, s’ouvrir des horizons que l’on n’aurait pas imaginés. C’est le mode d’emploi pour changer les choses. »
Ils ont osé
À l’heure où nous mettons sous presse, Jean-Marie a investi depuis déjà quelques mois sa nouvelle maison au bord de la Soulège, ruisseau tranquille et affluent de la Dordogne. La vente de sa maison située dans un secteur immobilier en tension lui a notamment permis de faire l’achat d’un bien de 5 500 m². Bientôt, il reprendra pied avec ses concitoyens afin de partager son expérience. Pédagogie et formation lui permettront « d’aider les jeunes et les moins jeunes à trouver des solutions tout en se passant de banques et de financements ». Notamment en apprenant par le bricolage à construire et entretenir un habitat respectueux de l’environnement et à réduire ses consommations d’eau et d’électricité – ainsi que les factures qui vont avec.
C’est un pari sur les autres que notre éternel optimiste envisage, même si ce sont « ces autres » qui l’ont conduit à quitter sa précédente vie et tout recommencer ailleurs. Comme lui, une douzaine de ses amis issus d’univers différents ont depuis décidé de quitter le vacarme d’un bassin d’Arcachon devenu un peu trop attractif pour rejoindre les terres tranquilles de la Dordogne et ses proches environs. Résistant à l’envie de former une communauté, ces six couples ont trouvé, eux aussi, le courage de partir et de s’offrir l’opportunité de tout recommencer.