La pollution lumineuse est un enjeu majeur de l’écologie moderne. Une solution : éteindre les lumières. Mais les débats autour de la sécurité nocturne poussent certaines villes à réajuster leur politique d’éclairage.
Depuis plus de dix ans, de nombreuses communes néo-aquitaines ont pris la décision d’éteindre leur éclairage public durant la nuit. 200 communes en Charente, 150 en Haute-Vienne et 150 en Corrèze ont adopté cette initiative, alliant écologie et économies d’énergie.
Michel Deromme, représentant local de l’ANPCEN (Association Nationale pour la Protection du Ciel et de l’Environnement Nocturnes), est un fervent défenseur de l’extinction nocturne : « Un éclairage qui fonctionne 24 h/24, c’est plus de 400 100 heures de lumière par an. C’est absurde. Éteindre les lumières la nuit, c’est la solution la plus simple et la plus efficace pour limiter la pollution lumineuse. » Et cette méthode semble porter ses fruits : selon le cabinet Dark Sky Lab, entre 2022 et 2023, les émissions lumineuses en France auraient baissé de 25 %.
La sécurité, une question sensible
Mais éteindre l’éclairage, est-ce la solution idéale ? À Bordeaux, l’extinction partielle de l’éclairage public entre 1 h et 5 heures du matin, mise en place depuis 2023 dans le cadre du programme « Bordeaux Nuit étoilée », suscite de vifs débats. La sécurité, en particulier celle des femmes, est au cœur des préoccupations. Plus de 700 femmes ont signé une pétition pour dénoncer les dangers de l’extinction nocturne dans la ville : « Faut-il encore attendre qu’un drame se produise pour que l’on agisse ? Comment est-il possible qu’une grande métropole française choisisse de plonger ses habitants dans le noir complet pour économiser de l’énergie ? », interpellent-elles.
Souvent, les maires des communes voisines s’intéressent au label lorsqu’ils réalisent les économies possibles.
91 % des Français jugent essentiel l’éclairage public nocturne pour leur sécurité, selon un sondage IPSOS. Bien qu’aucune étude ne montre un lien direct entre extinction et insécurité, plusieurs villes ont réajusté leur politique. À Bayonne, après six mois d’expérimentation, les 8 000 points lumineux ont été rallumés, à la demande des habitants. À Bordeaux, certaines rues ont également été rééclairées, suite à des demandes de la police et des témoignages de riverains. Une Bordelaise, citée par Rue89 Bordeaux, explique : « J’ai été suivie deux fois la nuit. Pour m’orienter, je dois utiliser la lampe de mon téléphone, ce qui me rend repérable. »
L’argument économique avant tout
Alors pourquoi ce choix d’éteindre les lumières ? Avant tout pour des raisons économiques. Depuis la crise énergétique de 2022, les communes font face à une flambée des prix de l’électricité. L’ANPCEN en est bien consciente et récompense les efforts en matière de sobriété avec son label « Villes et villages Étoilés ». L’objectif est de créer un effet domino : « Souvent, les maires des communes voisines s’intéressent au label lorsqu’ils réalisent les économies possibles. »

À Bordeaux, l’argument économique joue aussi un rôle central. En un an, la ville a réduit sa consommation d’énergie de 13 %, soit 400 000 euros d’économies sur sa facture d’électricité. Dans cette logique, la ville a investi 200 000 euros pour remplacer ses ampoules traditionnelles par des LED, une mesure qui, selon Michel Deromme, se révèle être une erreur écologique : « Les LED sont certes plus économes, mais elles sont aussi parmi les plus nocives pour l’écosystème nocturne. »
Pour concilier sécurité et économies d’énergie, certaines villes ont opté pour des solutions innovantes. Depuis le 19 octobre, Eysines, en Gironde, permet à ses habitants de contrôler l’éclairage public nocturne via leur smartphone grâce à la plateforme jallume.fr. Ce projet, qui a coûté 75 000 euros, couvre 125 armoires électriques et 3 900 candélabres. Mais comme le souligne Michel Deromme, « Si ces solutions sont populaires auprès des habitants, elles restent coûteuses à déployer et difficiles à généraliser à grande échelle. »
En attendant, il existe des actions simples et efficaces que toutes les communes peuvent adopter. Réduire l’éclairage des monuments, ajuster la luminosité des lampadaires en fonction des besoins réels, ou encore privilégier des ampoules écologiques, sont des mesures qui permettent de limiter la pollution lumineuse tout en garantissant la sécurité des habitants. Comme le souligne le géographe palois Bruno Charlier sur X (Ex-Twitter) : « Éteindre ou ne pas éteindre, est-ce vraiment la question ? On peut commencer par “éclairer juste”. »