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Jeudi 2 juillet 2020
par Erwan MORVAN
Erwan MORVAN
J'ai 22 ans, né en 1997 je suis originaire du Loiret. Actuellement en école de journalisme à l'IJBA, à Bordeaux, j'ai toujours eu le souhait de faire de cette profession ma vie. Je me prédestine plus particulièrement à une carrière de journaliste sportif tout en ayant une affection pour l'actualité locale. Pour moi, ce métier permet la divulgation de l'actualité et des derrières des informations nous entourant voire nous submergeant dans notre société.

À Bordeaux, les travaux de la Villa Shamengo sont suspendus depuis le 3 janvier dernier. Le projet de construction de la maison-école-laboratoire subit depuis son annonce en 2017 l’opposition de la part des habitants du quartier de la Bastide. Plus qu’une querelle de voisinage, la collision de ces deux mondes raconte notre rapport à l’espace public, l’environnement et l’urbanisation.

L’année 2020 vient à peine de débuter. Le 3 janvier, les résidents de l’allée Serr sont réveillés par le bruit des tractopelles et des camions. Les engins slaloment entre les pieux déjà plantés pour évacuer les rondins de bois restants. Les poteaux devaient servir de fondation à l’édifice. Mesurant plus d’un mètre de haut et ayant la largeur d’un arbre, ils rappellent étrangement les colonnes de Buren. Le tribunal administratif de Bordeaux l’a décidé : les travaux de la Villa Shamengo, situés rive droite, sont suspendus.

L’opposition de l’association citoyenne pour la conservation et la promotion des espaces libres de la Bastide (Acpel) aura donc eu raison — provisoirement — de ce projet de villa écoresponsable après un référé en urgence le 3 janvier dernier.

La Villa Shamengo ? Un projet colossal et démontable, composé d’un grand édifice de 1 000 m², avec verrières sur tous les côtés, jardin, terrasse, cuisine et chambres en son cœur. L’objectif de ce lieu est de promouvoir un nouvel art de vivre autour de quatre valeurs : prendre soin de soi, créer dans l’éthique, préserver la planète et s’engager pour les autres. Lieu de vie, d’apprentissage et d’expérimentation. Elle réunira, en un même lieu, la production, la consommation, l’éducation et les loisirs du futur.

La présidente de la communauté Shamengo, Catherine Berthillier, souhaite « la construction d’un Nouveau Monde en respectant l’environnement ». Une vingtaine de personnes doit vivre sur place alors que 150 innovations seront exposées au grand public. Le bâtiment devait être construit en un an pour ensuite rester sur place durant cinq années, avant de migrer vers une autre ville.

Nathalie Blanc est directrice du Centre des Politiques de la Terre à l’université de Paris et experte de la nature en ville et de l’esthétique environnementale. Pour elle, ce projet s’apparente au « phénomène des Grands Voisins ». Qualifié aussi d’urbanisme occupationnel, le réaménagement de l’ex-hôpital Saint-Vincent-de-Paul, à Paris, en est la genèse.

En 2020, les Allées Serr auraient dû ressembler à de grands bâtiments, dont le centre comporte un parking extérieur et un espace arboré.
En 2020, les allées Serr auraient dû ressembler à cela. Source : La Villa Shamengo.

L’hôpital désaffecté a été transformé en laboratoire urbain. En 2015, trois associations ont décidé d’utiliser le temps de vacance du site pour y expérimenter de nouvelles formes d’occupation de l’espace. Concrètement, il est un endroit de partage qui s’adapte à l’environnement ambiant et centralise plusieurs dizaines d’associations, d’artisans et de jeunes entreprises développant leurs activités. Le tout dans une interaction essentielle avec les habitants du quartier et de la ville alentour.

Un projet mal accueilli par les résidents du quartier

À Bordeaux, la contestation est née dès l’annonce de la venue de la Villa Shamengo en 2017. Les riverains du quartier Bastide ont appris la nouvelle grâce à la presse. Aucune réunion de concertation n’avait été organisée en leur présence avec la municipalité. Ils ont donc décidé de se faire entendre en constituant dans la foulée leur propre association, l’Acpel. Leur principal objectif : préserver l’allée Serr en empêchant la construction du pavillon sur le domaine public.

Jérôme Siri, maire adjoint du quartier de la Bastide au moment de l’interview, la compare même à « Bucarest sous Ceausescu ».

Noël Eyrignoux, le président de l’association, insiste d’ailleurs sur ce sujet : « J’aime ce quartier très sympathique avec une vraie mixité sociale, une histoire, des commerces. C’est un quartier aéré. Aujourd’hui, il y a 15 000 habitants, dans dix ans on sera 30 000, donc il faut préserver les espaces publics et les espaces verts. »

En juin 2019, l’association citoyenne a par ailleurs été sélectionnée en Mairie pour contribuer au budget participatif avec son projet d’aménagement « Embellir et animer l’allée Serr ». Elle souhaite végétaliser la zone avec des arbres, développer un marché bio, établir un endroit pour les joueurs de pétanque ainsi que des jeux d’enfants. Une raison de plus pour son président de s’opposer à la construction de la Villa Shamengo en ce lieu.

Pour cet historien à la retraite, Bastide est bel et bien un quartier de Bordeaux à part entière, même « s’il a très longtemps été méprisé par les Bordelais des beaux quartiers ». L’idée pour les membres de l’association citoyenne qu’un projet « totalement parisien » prenne place ici est « étonnante », voire « choquante ».

« C’est un projet collectif avec des Bordelais et pas seulement des Parisiens. Cela commence à m’énerver et c’est très réducteur », rétorque Catherine Berthillier. Avant d’ajouter, « nous sommes allés voir Bordeaux Métropole qui nous a mis à disposition ce terrain le temps de l’expérimentation. » L’ancienne journaliste n’a évidemment pas le même avis que les riverains sur cette zone en bord de Garonne : « cette allée Serr est d’une tristesse infinie. » Jérôme Siri, maire adjoint du quartier de la Bastide au moment de l’interview, la compare même à « Bucarest sous Ceausescu ».

Querelle autour de l’utilisation de cet espace public

« La réalité de ce que fait Shamengo est assez différente du discours. Les déclarations de sa présidente sont ambiguës », accuse l’Acpel. Sur le permis de construire, Noël Eyrignoux, président de l’association, fait une étonnante découverte. Pour lui, la destination des locaux est purement commerciale : « Je m’attendais à lire un projet d’intérêt collectif ; sous couvert de faire du développement durable, on va fonder un bar-restaurant-hôtel. »

Léa Mestdagh, chercheuse spécialisée en sociologie urbaine, relativise : Shamengo n’est pas un cas unique de marchandisation de l’espace public. Une opposition entre deux « mondes » naît. D’un côté, Shamengo souhaitant faire évoluer les pensées en faveur de l’environnement ; de l’autre, les riverains, voulant préserver cet espace libre face à toute forme de commercialisation et d’urbanisation.

Un combat de l’utilisation de l’espace public se met en place selon Léa Mestdagh. Elle met en garde sur la caricature récurrente du « bobo parisien » en dehors de la capitale ainsi que sur le terme inapproprié, selon elle, de « gentrification » pour analyser la situation. « Maintenant, c’est devenu n’importe quoi, dès qu’il y a un projet un peu écolo, classe moyenne intello-artiste, tout le monde l’associe à ce terme. Parfois, ce sont deux classes moyennes qui s’affrontent et n’ont seulement pas la même vision de l’espace public. »

Catherine Berthillier de Shamengo : « On va riposter »

L’association de Bastide a saisi le tribunal administratif à trois reprises sous la forme de requêtes en annulation « pour non-respect de la publicité en vue des travaux et des règles d’urbanisme ». Noël Eyrignoux le justifie : « nous sommes tous très sensibles à l’écologie dans l’association, mais cette implantation ne doit pas se faire sur le domaine public. » Un espace public est par définition non constructible.

Face à cet argument, Catherine Bethillier précise qu’une dérogation au Plan Local d’Urbanisme (PLU) leur a été accordée pour s’installer sur ce terrain pendant cinq ans. La présidente de Shamengo se dit prête à « riposter » : « Ce n’est pas parce qu’il y a des riverains opposés au projet que tous les riverains et tous les Bordelais le sont. Dans une démocratie, on ne peut pas plaire à tout le monde. Des centaines de personnes dont beaucoup d’étudiants sont mobilisés sur ce projet et seraient révoltés que cela ne se fasse pas. »

Pour elle, ce désamour vis-à-vis de la construction est le résultat du syndrome « Not In My Backyard » (NIMBY), désignant l’attitude d’une personne ou d’un groupe qui refuse l’implantation dans leur environnement proche d’une infrastructure. Sandrine Glatron, experte des politiques publiques de nature, est d’accord avec cette analyse : « c’est un repli sur des intérêts qui paraissent privés. » Les responsables de l’Acpel insistent sur leur position : « Oui à Shamengo ailleurs, non à Shamengo sur un espace public. Ni ici ni à Bordeaux. »

Cette situation de conflit entre deux « mondes » n’est pas inédite, pour la chercheuse Léa Mestdagh. Une vraie question se pose alors selon elle : « Est-ce que l’on tolère encore aujourd’hui, dans notre urbanisme, un espace hors d’usage comme celui de l’allée Serr ? » En général, un terrain a toujours un usage, mais qui n’est pas forcément respecté par l’institution ou bien dévalorisé. Ici, deux définitions de l’exploitation de l’espace public s’opposent. L’experte en sociologie urbaine associe directement cette analyse de la société au quartier Bastide où « un terrain avec des usages non institutionnels est cédé pour des usages institutionnels à visée commerciale ».

Une déclaration de Nicolas Florian qui sème le trouble

Malgré des élections municipales 2020 tronquées par l’épidémie de coronavirus et un second tour incertain, la question écologique restait un enjeu important dans ce vote local. En témoigne, l’élection du candidat EELV, Pierre Hurmic. Pour la chercheuse, Sandrine Glatron, les problématiques environnementales sont beaucoup plus visibles et identifiables au niveau local, ce qui peut avoir « un effet fort sur le fait de se sentir concerné ». Des projets qui peuvent paraître nébuleux ou dépossédés du quotidien deviennent réels.

Pour Noël Eyrignoux, un certain nombre des candidats s’opposaient à cette construction sur un espace public : « On est principalement d’accord sur le fait que ce projet ne doit pas se tenir à cet endroit-là. » À l’inverse, Catherine Berthillier considère que les trois candidats favoris dans les sondages estimaient que c’est un « très beau projet » en faveur de la pédagogie, de l’écologie et du développement de nouveaux modes de vie.

Elle insiste sur l’importance de sortir ce projet du débat politique et d’en faire une fierté bordelaise : « il serait terrible de se dire qu’une poignée de riverains puisse arrêter totalement un projet qui fait sens et qui inspire énormément de personnes ». Nouveau retournement de situation dans ce dossier épineux : en juin 2020, le maire Nicolas Florian a déclaré dans les colonnes de nos confrères de Sud-Ouest : « Le projet est plombé sur l’allée Serr, il doit trouver un autre lieu. » Une phrase à prendre avec des pincettes selon l’Acpel. Son président reste prudent, « pas de triomphalisme ».

Dans cette période d’élections municipales, les enjeux étaient démultipliés. Un candidat n’est-il pas prêt à tout dire pour gagner quelques votes dans un quartier de la Bastide où le candidat Hurmic était arrivé en tête au premier tour ? Noël Eyrignoux n’en oublie pas non plus le mémoire de l’avocat de la Mairie en date du 8 juin, qui « justifie l’implantation de la villa Shamengo sur l’allée Serr ».

Après quelques sollicitations, la présidente de l’association Shamengo n’a quant à elle pas donné suite. Catherine Berthillier souhaite « attendre de connaître le nom du nouveau maire pour trouver une solution », avait-elle argué à la suite de la crise sanitaire et avant les déclarations les plus récentes de Nicolas Florian. Pour l’heure, les riverains, opposés au projet depuis ses débuts, continuent leur mobilisation. « Quelle que soit la décision, nous voulons être force de proposition » — avec par exemple le projet d’aménagement « Embellir et animer l’allée Serr ».

Avantage aux riverains dans cette querelle de voisinage, pour le moment, qui n’a peut-être pas donnée tous ses tenants et aboutissants. La réponse judiciaire n’est toujours pas à l’ordre du jour, mais l’élection de Pierre Hurmic pourrait rebattre les cartes.

Erwan MORVAN
J'ai 22 ans, né en 1997 je suis originaire du Loiret. Actuellement en école de journalisme à l'IJBA, à Bordeaux, j'ai toujours eu le souhait de faire de cette profession ma vie. Je me prédestine plus particulièrement à une carrière de journaliste sportif tout en ayant une affection pour l'actualité locale. Pour moi, ce métier permet la divulgation de l'actualité et des derrières des informations nous entourant voire nous submergeant dans notre société.
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