On la dit aussi mystérieuse que difficile. À la fois héritage culturel et outil de résistance, la langue basque — l’euskera — continue de vivre des deux côtés des Pyrénées. Alors que se déroule en ce moment la campagne Euskaraldia, focus sur une langue à l’histoire singulière.
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Découvrir nos offres d’abonnementC’est une des nombreuses initiatives en faveur de la pratique intensive de la langue basque : du 20 novembre au 4 décembre, la campagne Euskaraldia tente de mettre la langue basque, au cœur de la vie des Basques. Objectif, faire changer les habitudes linguistiques, des deux côtés de la frontière, en étendant au maximum la pratique de l’euskera à la vie familiale et professionnelle. Du côté des organisateurs, on l’assure : le mouvement est chaque année un succès. Dès la première édition en 2018, près de 225 000 participants dans tout le Pays basque s’étaient joints à l’initiative, dont près de 6000 du côté français.
Une des plus vieilles langues d’Europe
Si le basque — qui compte aujourd’hui plus de 700 000 locuteurs — déchaine autant de passions, c’est bien parce que le mystère qui entoure son apparition reste entier : l’euskera, qui n’appartient pas au groupe des langues indo-européennes reste une énigme et un objet de fascination pour de nombreux linguistes. Toutes les recherches publiées à ce jour convergent : le basque est une des plus vieilles langues d’Europe, probablement la plus vieille encore parlée en Europe. « D’après les informations dont nous disposons à l’heure actuelle, il ne s’agit donc pas d’une langue importée par d’hypothétiques immigrants, mais bel et bien d’une langue installée sur ses terres depuis longtemps. Les données génétiques confirment que la population basque descend directement des populations paléolithiques qui habitaient le sud-ouest de la France et le nord de l’Espagne, avant l’arrivée des populations néolithiques porteuses des langues indo-européennes. La langue basque existait donc bien avant l’intrusion des Indo-européens », explique-t-on du côté de l’Institut culturel basque.

Depuis des décennies, les recherches afin de percer les secrets de l’euskera se sont multipliées. Tour à tour, certains linguistes et chercheurs ont avancé des similitudes avec d’autres langues caucasiennes — le géorgien en particulier —, avec des langues sibériennes, et même plus récemment avec le dialecte dogon, toujours parlé dans certaines régions du Mali. Cependant, aucune de ces pistes n’est jugée suffisamment sérieuse pour révoquer la piste de l’isolat qui prédomine toujours : l’euskera serait dénué de toute relation génétique avec d’autres langues.
Survivante
C’est une réalité. Au cours de son parcours millénaire, la langue basque a bien failli disparaître, à de nombreuses reprises. Le dernier épisode visible de cette bataille s’est déroulé en Espagne durant le régime franquiste, entre 1939 et 1977. Jean-Marie Izquierdo, dans son ouvrage La question basque, rapporte : « Frappant au cœur de l’identité basque, le régime brima d’abord la langue. Tous les symboles rappelant de près ou de loin l’identité basque furent interdits. L’euskera fut proscrit de tous les usages officiels et de l’enseignement dans les provinces basques. Il fut banni des lieux publics, des textes officiels et de toutes les publications… On alla même jusqu’à exiger d’effacer les noms basques sur les tombes… »
Beñat, la trentaine, vit à Durango, une ville ouvrière située à quelques kilomètres de Bilbao. L’homme, parfaitement bascophone — il enseigne parfois la langue à des débutants — le reconnait : c’est presque un miracle si l’euskera réussi à survivre depuis son apparition. « Le basque a survécu, car les travailleurs basques ont réussi à transmettre la langue. En particulier les pêcheurs et les paysans, qui se sont engagés dans une résistance linguistique, loin des industries qui imposaient la connaissance du castillan [comprendre l’espagnol]. Ils l’ont fait survivre clandestinement, et en ont parfois payé le prix ».

Au Pays basque Nord, sous administration française, si l’euskera n’est pas interdit, la langue vit à cette même période des années bien difficiles. En cause, le caractère désuet qui lui est attribué par des élites françaises décidément résolues à marginaliser toute autre langue que la langue nationale. « Le basque ne sert à rien : voilà l’affirmation, pourtant martelée depuis plus d’un siècle par l’État républicain, en particulier par le biais de l’Éducation nationale, qui apparaît alors comme une évidence aux yeux de la majorité. Le basque n’est qu’un reliquat du passé, anachronique à la société moderne », explique Francis Jauréguiberry, dans son ouvrage la langue basque en France : du stigmate au désir.
Flo Bouffaut, 38 ans, gérant du bar restaurant le Kalostrape — situé dans le petit Bayonne — explique : « Mon grand-père était bascophone, mais il n’a pas transmis la langue. Ce n’est qu’après son décès, vers 16 ans, que j’ai décidé d’apprendre le basque. J’y ai consacré quatre années de ma vie, c’était ma priorité. Au-delà de la volonté de faire vivre cette langue, c’est à la fois une revendication de mon héritage culturel familial et un acte militant. Mais il n’empêche que sur la question de la langue basque, la génération de mes parents a été une génération sacrifiée. »
Qui sont les Basques ?
Le gentilé « Basque », en euskera, se traduit par « euskaldunak », « ceux qui possèdent la langue basque ». Un facteur d’intégration ? : « Il y a ici un dicton qui dit “la langue basque est ce qui fait de nous des Basques”. Ce n’est pas le sang, ni le lieu de naissance, ni la race, ni ce genre d’idioties qui détermine qui est Basque et qui ne l’est pas : c’est la langue », explique Beñat. Naia.
T, une autre habitante de Durango, poursuit : « Je connais des Sénégalais qui vivent ici, qui ont appris la langue, et qui sont Basques, à la différence d’autres, qui sont nés à Bilbao ou à Bayonne, et qui n’ont jamais fait l’effort. »

Flo Bouffaut se montre plus mesuré : « En effet connaitre la langue est un élément essentiel, mais pour moi, il est important que les gens qui vivent ici, qui travaillent ici, et qui ont envie de se ressentir comme tels le puissent. Car il ne faut pas oublier qu’il y a des gens qui vivent ici depuis un nombre incalculable de générations, et qui ne connaissent pas un mot de basque. Quoi qu’il en soit, il faut emmener les gens du pays à apprendre la langue. Mais nous nous heurtons à une difficulté : celle-ci est extrêmement compliquée. »
Faire vivre le basque
Langue officielle aux côtés du castillan depuis le début des années 1980 au Pays basque Sud, l’euskera peine davantage à se développer, paradoxalement, sur le territoire français, « certainement à cause de la vieille tradition jacobine française », argumente Naia. En cause le manque de moyens attribués par l’État français au développement des ikastolas, les écoles bilingues. Un objet de tension presque permanent au Pays basque. Cet été, un différend entre l’Éducation nationale et une école de Saint Pierre d’Irube — qui souhaitait ouvrir une classe de maternelle immersive — a fait couler beaucoup d’encre. Il faudra une forte mobilisation pour que la Rectrice de Bordeaux revienne sur l’interdiction qu’elle avait prononcée préalablement.
Selon les chiffres officiels, au Pays basque Nord, 20,5 % de la population parle basque et 27 % des 55 000 des élèves scolarisés en 2019 ont bénéficié d’un cursus bilingue français-basque. « Dans mon établissement, le personnel en contact avec le public est soit bascophone, soit en apprentissage de la langue. Notre clientèle est majoritairement bascophone. Toute la communication est en bilingue, français-basque. C’est quelque chose qu’on revendique, et on travaille pour cette normalisation linguistique », poursuit Flo Bouffaut.

Alors, est-il possible aujourd’hui de vivre en basque ? « Vivre en basque sur la côte, c’est beaucoup plus compliqué qu’à l’intérieur des terres, poursuit Flo Bouffaut. Considérant qu’une large partie de la population vit déjà sur la côte, et qu’il y a de plus en plus de nouveaux habitants, c’est encore plus compliqué. Mais, parallèlement, il y a de plus en plus d’initiatives qui sont lancées afin de donner de l’argent à des associations pour qu’elles puissent faire ce travail. C’est encourageant, mais cela ne suffit pas ».
Au Pays basque sud, Beñat pose le même constat : « Vivre en basque ? C’est difficile. Cela se fait dans les zones rurales, dans les villes de petite taille. Dans les grands centres urbains, c’est quasiment impossible. Enfin si, mais avec un nombre limité d’interactions, et en ne fréquentant que des sphères bascophones, nombreuses, mais pas majoritaires ».
Pourtant, des deux côtés de la Bidasoa, l’euskera, même menacé, continue de rayonner. Tous et toutes le savent : après son écrasement par les langues françaises et espagnoles, la langue basque va faire face dans les années à venir à l’assaut spectaculaires de langues « commerciales » émergentes. Derrière le comptoir d’un bar de Saint-Sébastien, sur une affichette, ces mots du poète basque Joxean Arte donnent le ton : « Hizkuntza bat ez da galtzen ez dakitenek ikasten ez dutelako, dakitenek hitz egiten ez dutelako baizik ». « Une langue se perd, non pas parce que ceux qui ne la savent pas ne l’apprennent pas, mais parce que ceux qui la savent ne la parlent pas ». Comme un avertissement.