Pour Vincent Mignerot chercheur indépendant, l’humanité vit dans le déni : pour nous développer, nous devons détruire l’environnement. Un déni en forme d’avantage évolutif qui nous aurait permis de dominer les écosystèmes. Mais qui, aujourd’hui, nous empêche de comprendre pleinement la nature et ses enjeux, et de prendre les mesures nécessaires.
Je retrouve Vincent Mignerot, auteur de Transition 2017 — Réformer l’écologie pour nous adapter à la réalité, quelques heures avant sa conférence au Darwin sur la transition énergétique. Les beaux jours tant attendus à peine de retour, les bordelais se pressent à la caserne Niel pour profiter d’une pause printanière. Ils ne se rendent pas compte qu’à quelques mètres d’eux, Vincent Mignerot s’apprête à chambouler toute ma vision de l’écologie.
Il se définit comme un écrivain et un penseur libre. « Chercheur indépendant » est davantage pour lui un statut administratif qu’un véritable poste au quotidien. Il explore actuellement la notion de l’existence et de l’inscription écologique de l’humanité dans son environnement d’un point de vue à la fois scientifique et philosophique. Explications.
Quel est votre sujet pour la Climax Session de ce soir ?
La transition énergétique. Je vais explorer la question des dénis autour de cette transition. Est-elle vraiment possible, et qu’attend-on d’elle ?
Les dénis de la transition énergétique ?
Nous sommes pour la plupart convaincus qu’il est possible de protéger l’environnement. Il s’agit d’une conviction, mais en réalité personne n’en sait rien. Nous faisons confiance à notre volonté pour démontrer quelque chose du réel. Mais la volonté ou les désirs ne révèlent pas forcément le réel en tant que tel.
Idem pour la transition énergétique : nous désirons ardemment la faire pour nous débarrasser des hydrocarbures et du pétrole. Nous avons décidé que cela était possible, sans en avoir la moindre certitude. La réalité est angoissante, difficile à supporter. Nous devons nous confronter à une perspective de crise énergétique. Cela entraîne une forme de déni : camouflons le risque énergétique en décidant que la transition énergétique est possible.
Nous nous racontons une histoire lorsqu’on parle de protection de l’environnement.
Je ne dis pas qu’il n’y a rien à faire, qu’il ne faut rien faire, ou qu’il n’est pas possible de réduire son impact environnemental. Il faut faire tout son possible, mais ce n’est pas protéger l’environnement. « Protéger l’environnement » n’a pas de sens puisque dans la réalité il n’y a pas de séparation entre l’humanité et la nature. L’environnement n’a jamais eu besoin de nous pour très bien se porter. Réduire l’impact environnemental est une chose. Mais nous nous racontons une histoire lorsqu’on parle de protection de l’environnement.
Le déni est une étape d’un processus de deuil, non ?
Le déni peut être tout simplement une réalité que l’on refuse de voir pour une raison quelconque. En l’occurrence, il est possible que l’humanité se soit construite sur un déni structurel : le déni de l’impact environnemental de notre existence. Voici une des hypothèses de mon travail.
De quand date ce déni ? Il est peut-être ancestral, au sens littéral. Le genre homo, dans son entier, a potentiellement commencé à détruire son environnement très progressivement. Homo sapiens étant le dernier représentant de cette grande cousinade. L’espèce qui dérégule le mieux son adaptation et finit donc par dominer les écosystèmes. Peut-être que le déni de la destruction de l’environnement a été un avantage pour homo sapiens, dans le sens où il s’est autorisé à agir plus puissamment sur les écosystèmes et en tirer plus d’avantages.
Ce déni, est-ce qu’il est uniquement présent chez les populations occidentales ?
La culture occidentale est probablement celle qui a développé le plus la culture du déni, en particulier parce qu’elle est la culture qui s’est le mieux pensée en système isolé. Elle est la plus à même d’extraire des éléments du réel et de les penser comme en étant totalement déconnectés. D’autres cultures comme les peuples autochtones ou nos ancêtres vivaient de façon plus équilibrée dans leur environnement.
Il est tout de même nécessaire de recontextualiser cela : même les cultures très anciennes, avec un rapport assez régulé à leur environnement, ont potentiellement un premier déni fondateur dans leur imaginaire. Les peuples premiers ont eux aussi impacté leur environnement. On sait que la mégafaune, comme les mammouths ou les tigres à dents de sabre, a été exterminée par des chasseurs-cueilleurs. Ils ont disparu certes à cause d’un changement climatique rapide, mais surtout manifestement à cause de l’impact humain sur la planète.
Cette capacité à déréguler sa relation à l’environnement n’est pas forcément propre à l’humain. Aujourd’hui en Thaïlande, une petite espèce de macaques utilise la pierre comme outil pour casser les coquillages. On a observé qu’ils exploitent ces coquillages au-delà de leur capacité de reproduction. Ces macaques sont eux aussi capables de détruire leur propre ressource alimentaire. L’humain est cependant l’espèce la plus performante dans la dérégulation de son environnement. Ou en tout cas celle avec la capacité de déni la plus grande.
Aucun scientifique ou écologue ne peut prouver que toutes nos actions ont eu le moindre impact positif.
Mon hypothèse est que la capacité au déni et à la perversion du réel a été sélectionnée comme un avantage évolutif pour nous permettre d’être plus performants que nos cousins.
Dans votre livre vous parlez de « réforme de l’écologie ». Qu’est-ce que c’est ?
Il faut déconstruire tous les fantasmes et toutes les mythologies racontées dans le milieu de l’écologie au sens de protection de l’environnement. Écologie politique, écologie scientifique, écologie technologique… À chaque fois que le mot écologie est invoqué pour dire que l’on peut sauver le monde ou protéger l’environnement, mon livre explique pourquoi ce sont des illusions et pourquoi cela est même contre-productif.
Cette écologie a évolué en même temps que les dégâts augmentaient et accéléraient. Elle a potentiellement même aidé l’humanité à se voiler la face sur les effets destructeurs de son action.
Un exemple typique : depuis soixante ans, depuis que l’humanité a compris qu’elle détruisait l’environnement, elle a choisi de faire des parcs naturels ou des zones protégées. Des zoos, des musées… des lieux de sanctuarisation du réel, des endroits où la nature est censée y être éternelle et intouchable. Voici une construction de l’esprit occidental, capable de sortir des éléments du réel et de les prétendre inamovibles, permanents. Il écrit une mythologie pour se dire « moi, dans ma ville, je peux détruire tout ce que je veux, consommer sans modération… Tout va bien, il existe un lieu dans le réel et dans mon imaginaire où la nature est protégée éternellement et ne changera plus. »
La seule façon de réduire notre impact sur l’environnement est la réduction de nos revenus.
Ce mouvement-là est une illusion évidemment. Quand on continue à consommer dans la ville, à détruire le climat… Au bout d’un moment il finit par impacter la zone naturelle protégée. Pourtant ce discours de la zone protégée est porté par l’écologie depuis qu’elle s’est construite dans la deuxième moitié du XXe siècle. J’essaie de savoir dans quelle mesure ce discours fallacieux sur l’environnement a aidé l’humanité à développer de grandes villes destructrices.
Je n’utilise plus le terme de solution depuis très longtemps. Je préfère parler d’aménagement. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas réduire sa consommation, trier ses déchets ou changer son modèle alimentaire. Ces actions sont importantes, mais en aucun cas des solutions. Aucun scientifique ou écologue ne peut prouver que toutes nos actions ont eu le moindre impact positif.
Il faut être très clair à ce sujet. Plus on a agi ainsi, plus le réel a été détruit. Les espèces disparaissent plus vite que notre capacité à les répertorier, le climat change plus vite que notre capacité à mesurer son changement… Tout va beaucoup plus vite que notre imaginaire. Notre imaginaire reste celui de la petite action qui résout tout. Le réel évolue d’une façon, notre imaginaire d’une autre, et les deux sont en train de se séparer. Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucun lien entre l’imaginaire écologique et la réalité. Voici ce que je dénonce dans mes travaux. Il n’y aura pas de sauvetage de l’environnement.
Je vais vous dire quelque chose d’un peu lourd : la seule façon de réduire notre impact sur l’environnement est la réduction de nos revenus. Notre salaire est toujours le produit du fonctionnement de la société. Au final, qu’importe la façon dont on dépense son argent, il est déjà trop tard. La société a déjà puisé dans les ressources, dans le charbon et le pétrole pour générer ce salaire. L’important n’est pas de changer son comportement. Si on veut vraiment protéger l’environnement, il faut identifier la source de son revenu et le changer.
Comment faire pour réduire son salaire ?
Ce n’est pas si simple. Si un foyer réduit ses revenus, il réduit également ses capacités à assurer la sécurité de ses enfants. En réduisant votre revenu par six, vous réduisez d’autant vos capacités à acheter des antibiotiques. Nous sommes dans un pays très privilégié où les médicaments sont gratuits. Cela pourrait changer : si tout le monde réduit son salaire par six, l’économie s’effondrerait.
Voilà où je voulais en venir : si un pays choisissait de réduire son PIB pour préserver l’environnement, il serait confronté à un autre facteur. Celui de la rivalité économique. Les COP ne fonctionnent pas pour cette raison. Tous les pays se réunissent pour parler de protection de l’environnement, mais aucun n’ose dire que la seule solution est la réduction du PIB.
La situation actuelle est quasiment un piège existentiel. Nous sommes presque obligés de maintenir notre niveau de vie sinon nous devenons allemands, russes ou chinois en quelques années. Cela signifie continuer à détruire l’environnement. Comment arbitrer cela ? En tout cas on ne peut plus le faire avec des mensonges sur notre relation à l’environnement.