6 minutes de lecture
Jeudi 2 mai 2019
par Théa GUILLEMOT et JULIA VANDAL
Théa GUILLEMOT
Jeune journaliste en cours d’étude à l’EFJ Bordeaux. Les questions des droits des femmes et la photographie l’intéresse particulièrement.
JULIA VANDAL
Journaliste fraîchement diplômée passée par Sud Ouest, Dordogne Libre et France 3. S’intéresse particulièrement aux questions de genre(s) et de santé mentale.

Une éruption de polaroids s’est abattue sur Bordeaux. Au Volcan, l’Expolaroid a débuté le 26 avril et se tiendra jusqu’au 5 mai. Canapés vintages, lumières tamisés, tartines maisons : l’occasion pour les adeptes de l’instantané de se réunir pour la 2ème édition de cette exposition. Nous avons interrogé six photographes exposé.e.s pour connaître leur vision du polaroid, rétro mais si moderne.

Expolaroid
Du 26 avril au 5 mai
Le Volcan
72 Rue Bourbon, Bordeaux

« On n’est jamais sûr du résultat final. C’est cette incertitude qui rend le polaroid si intéressant. »

Un aspect unique

Anne-Sophie Annese, graphiste et photographe, s’est essayée au polaroid dès le plus jeune âge : « Ça a été le premier appareil photo que j’ai touché de ma vie. Je m’en souviens encore, c’était le modèle avec une bande arc-en-ciel. »

Dernièrement, le polaroid connaît une vraie démocratisation. Son aspect vintage est de plus en plus recherché. De nombreuses techniques de retouches permettent de reproduire ses particularités. Les procédés sont tellement développés que c’est parfois à s’y tromper entre numérique et polaroid. Un jour, lors d’un évènement, un vieil homme m’a même demandé si ma photo polaroid était photoshoppée.

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– Avec l’aimable autorisation de Anne-Sophie Annese

Le polaroid a de nombreux avantages : tout le monde peut s’en servir. Mais il est aussi esthétique que pratique. J’adore son rendu : il apporte un grain particulier, une colorimétrie différente. La démarche, hasardeuse, peut mener à de bonnes surprises… Mais on n’est jamais sûr du résultat final. C’est cette incertitude qui rend le polaroid si intéressant. Le numérique entretient un rapport plus sacré à l’image : lorsqu’on prend une photo, on peut voir directement son rendu, il n’y a pas de place pour le côté accidentel comme le polaroid.

Lorsque je travaille, j’aime emporter deux appareils : un numérique et un polaroid. Ils n’apportent pas le même aspect esthétique et permettent de capturer deux visions différentes d’un même moment. Par exemple en voyage il m’arrive de prendre deux fois le même paysage pour observer les différences de résultat.

La modèle est en sous-vêtement, mais le propos est ailleurs : l’essentiel est dans le regard… Et dans le papier peint vintage en arrière plan.

L’inattendu au rendez-vous

Michaël Korchia réalise la plupart de ses clichés au polaroid chez lui, à Bordeaux. Une manière de réveiller la couleur rétro des gens et de cultiver l’imprévisible.

Je ne commence jamais une séance photo au polaroid. Au début, les personnes qui posent ne sont pas toujours à l’aise. Alors si l’instantané est raté, cela peut les décourager pour la suite du shooting.

Pourtant il y a souvent de belles surprises ! Il est possible d’influencer le rendu avant que la photo ne sorte. En appuyant sur la photographie, on peut créer des effets de lumière ou d’ombre, des petits points blancs, ou même des arborescences. Cette lumière nostalgique si particulière me touche.

Certains appareils photo polaroid laissent un cadre “naturel” sur les bords de l’image, lors de l’impression. Habituellement, on le retire pour que le rendu soit plus propre, car il a une apparence assez organique. Mais j’aime les garder, cela donne un côté gentiment trash.

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– Avec l’aimable autorisation de Michaël Korchia

Pour l’exposition, j’ai choisi de mélanger d’anciens clichés avec des photos plus récentes. L’une de mes préférées a été prise très récemment, dans ma chambre. La modèle est en sous-vêtement, mais le propos est ailleurs : l’essentiel est dans le regard… Et dans le papier peint vintage en arrière plan.

Moi, j’ai toute ma vie dans des caisses de polaroids. Ce sont des souvenirs palpables.

Souvenirs sans « CTRL + Z »

Avec le polaroid, Fanny Genty entretient un rapport différent au temps. Ses clichés sont des souvenirs palpables qui se partagent.

Le premier appareil photo qu’on m’a mis dans les mains était un numérique. J’ai pris quelques photos, mais je n’ai pas été touchée par le résultat. Quelques temps plus tard, un ami a sorti de son garage un vieux polaroid de la fin des années 1960. Cet objet ancien, qui tenait dans ma main, m’a tout de suite séduite.

Avec la photographie instantanée, le rapport au temps est modifié : il n’y pas de « CTRL + Z » possible. À deux secondes d’intervalle, un cliché ne sera jamais le même. La photo tirée devient un objet qui se partage : il y a énormément de clichés que j’ai donné à celles et ceux qui apparaissaient dessus.

Personnellement, je ne trouve pas d’intérêt à conserver des milliers de photos sur mon ordinateur. On est bombardé·e·s d’images au quotidien, mais plus personne ne fait d’album. Moi, j’ai toute ma vie dans des caisses de polaroids. Ce sont des souvenirs palpables.

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– Avec l’aimable autorisation de Fanny Genty

Sur les réseaux sociaux, c’est différent. Les photographies que je partage sont souvent des autoportraits. Ce sont des petits bouts de moi éparpillés, je me vois mal les donner à quelqu’un d’autre, ou même les vendre. Le polaroid se prête bien à Instagram. Je ne retouche quasiment pas mes photos mais j’explore les possibilités graphiques de ce réseau. J’aime mettre en lien des polaroids et des poèmes que je tape à la machine à écrire.

Le côté instantané et intimiste m’attirait, ça correspondait bien à mon univers.

Facteur de lien social

Anne Locquen est membre du collectif « femmes PHOTOgraphes » qui rassemble de nombreux adeptes de l‘objectif aussi bien numérique que polaroid. À travers divers évènements, différentes rencontres, le polaroid est vecteur de sociabilisation.

Je voulais faire de la photographie depuis longtemps, mais je n’avais jamais sauté le pas. Je me suis finalement lancée en récupérant le polaroid de ma fille. Le côté instantané et intimiste m’attirait, ça correspondait bien à mon univers.

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— Avec l’aimable autorisation de Anne Locquen

À force de pratiquer la photo, j’ai voulu rencontrer des passionné·e·s comme moi. C’était plutôt compliqué puisque nous sommes éparpillé.e.s dans toute la France. Mais j’ai commencé à participer à des évènements, notamment parisiens.

Ces rencontres me permettent de discuter, d’échanger sur nos manières de faire, d’évoluer sur ma pratique. Je participe parfois à des Workshops pour apprendre de nouvelles techniques. Mais ce sont avant tout des rencontres humaines. Certain·e·s photographe·s sont devenus des ami·e·s. Sans le polaroid, nos chemins ne se seraient sans doute jamais croisés.

Avec le polaroid, l’impression est directe, contrairement à nos téléphones. C’est un peu un Instagram du réel.

Monochrome surréaliste

Inspirée par des artistes surréalistes comme Man Ray, Chloë Mouna pratique le polaroid et la photo argentique en noir et blanc.

Je développe mes photos argentiques moi-même. J’adore la chimie de cette pratique, la tension ressentie au moment d’ouvrir la cuve, découvrir si le développement est raté ou non. À chaque fois, je tente des fusions de produits, je modifie les temps de pose… Dans un petit carnet, je note tous ces essais. Je me sens un peu comme une Marie Curie !

Avec le polaroid, l’impression est directe, contrairement à nos téléphones. C’est un peu un Instagram du réel. Pour les impatient·e·s comme moi, c’est génial d’avoir le rendu dans les secondes qui suivent. Et puis, il est facilement possible de faire des « tricks », comme la double exposition par exemple.

Je fais beaucoup de sombre. J’ai toujours été attirée par l’occulte et le mouvement surréaliste. Les grands de la photographie comme Man Ray m’obsèdent. J’aime prendre les fleurs en photo. Je trouve que les textures sur les films en noir et blanc sont magnifiques.

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– Avec l’aimable autorisation de Chloë Mouna

Pour l’Expolaroid, j’ai préparé plusieurs séries avec comme thème central la dualité psychique et physique. J’ai notamment réalisé un autoportrait. C’est amusant puisque je déteste le concept de cet exercice. Mais l’exposition arrivait à grands pas, et je n’avais pas de modèle sous la main. Alors je m’y suis collée ! J’ai découpé et assemblé la photo avec un polaroid de fleurs pris dans un lieu de mon enfance. Il a pris un sens tout à fait différent à mes yeux, aussi bien graphiquement que conceptuellement.

Avec le polaroid, poser nu est peut-être plus simple.

Le corps autrement

Lili Cranberrie aime photographier la nature et le nu. Sur Instagram, elle met en scène des corps dévêtus dans des atmosphères oniriques.

Il y a une quinzaine d’années, j’ai été voir une exposition sur des polaroid de Patti Smith à Paris. J’ai été fascinée. Dès le lendemain, je commandais un appareil photo en ligne. À mes débuts, je réalisais surtout des photographies à l’improviste, et comme beaucoup d’autres, je faisais des autoportraits. C’est une manière facile de s’exercer et d’avoir rapidement des résultats.

Depuis quelques temps, je mets en scène des modèles, des ami·e·s notamment. Avec le polaroid, poser nu est peut-être plus simple. Les personnes photographiées trouvent toujours du charme à ce type de tirage. Comparé au numérique, le rendu paraît moins cru. On se focalise moins sur son corps, et sur ses éventuels défauts, on prête davantage attention à la globalité de la photo. Je crois que cela a pu aider certain·e·s de mes ami·e·s à voir leur corps différemment.

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– Avec l’aimable autorisation de Lili Cranberrie

L’aspect onirique dans mes photos de nu est accentué par le grain particulier du polaroid. Ce que j’aime le plus, ce sont les pellicules périmées : selon la manière dont elles ont été stockées, le produit chimique donne une couleur plus ou moins chaude à l’image. Mais ce genre de film coûte très cher et se raréfie. Pour le moment, j’en ai encore un petit stock, mais je dois me mettre de plus en plus aux nouveaux films de Polaroid.

Théa GUILLEMOT
Jeune journaliste en cours d’étude à l’EFJ Bordeaux. Les questions des droits des femmes et la photographie l’intéresse particulièrement.
JULIA VANDAL
Journaliste fraîchement diplômée passée par Sud Ouest, Dordogne Libre et France 3. S’intéresse particulièrement aux questions de genre(s) et de santé mentale.
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