Épisode 15
7 minutes de lecture
Mardi 8 décembre 2020
par Sevan Hosebian-Vartanian
Sevan Hosebian-Vartanian
Originaire de la Drôme, Sevan Hosebian-Vartanian a rejoint le Sud-Ouest pour intégrer l'Institut de journalisme Bordeaux Aquitaine (Ijba) en 2019. En alternance à Far Ouest pour l'année, ses sujets de prédilection sont les problématiques sociétales et les questions religieuses.

Sven est un·e vidéaste de 29 ans, membre de l’association bordelaise Trans 3.0. Son genre ne correspond pas au sexe biologique — dans son cas féminin — qu’on lui a assigné à la naissance. Iel a découvert il y a tout juste deux ans qu’iel ne se considérait ni comme une femme ni comme un homme, mais comme une personne non-binaire. Iel nous livre son vécu personnel de la non-binarité, qui reste un point de vue parmi tant d’autres dans cette galaxie de ressentis divers qu’est la transidentité.

Quelle est la différence entre l’identité sexuelle et l’identité de genre ?

Je ne suis pas sûr·e que le terme « identité » soit celui qui convienne… Mais l’identité sexuelle se base sur le biologique. Elle repose donc uniquement sur un aspect visuel standardisé : si l’on a une vulve, on est assignée femme et si l’on a un pénis, on est assigné homme.

L’identité sexuelle est à distinguer de l’identité de genre. Cette dernière correspond à notre ressenti et à notre vécu social. Comment se place-t-on socialement par rapport au genre qui nous est assigné ? Est-ce qu’on l’accepte ? Est-ce qu’on le rejette ? Est-ce qu’on fait des compromis ?

Comment définissez-vous la transidentité ?

La transidentité, c’est lorsque ton genre ressenti n’est pas en adéquation avec celui qui t’a été assigné à la naissance. Ton identité de genre diffère de ton identité sexuelle qui se base sur tes caractères sexuels — une vulve ou un pénis dans la plupart des cas, car il existe aussi des personnes dites intersexes.

Sur ces critères sexuels, on va dire « c’est une fille » ou « c’est un garçon ». Cet enfant va alors être éduqué d’une certaine manière basée sur des stéréotypes de genre. Un genre est imposé à ce bébé, avant même de savoir s’il va s’y sentir bien.

Sven a découvert sa non-binarité il y a deux ans
Sven a découvert sa non-binarité il y a deux ans — Photo : Jean Lavigne

Vous êtes non-binaire. Comment l’avez-vous découvert ?

D’un point de vue de personnes cisgenres ou qui ne sont pas renseignées, cela peut paraître un peu abstrait.

Moi-même, je n’ai découvert le terme « non-binarité » qu’au moment de mon coming out, il y a environ deux ans. Je me suis renseigné·e en suivant du contenu queer sur les transidentités. À la base, c’était pour les besoins d’une pièce de théâtre. Je devais jouer une femme trans.

Une fois que tu découvres la transidentité et que tu dis « je ne suis pas un homme trans ou une femme trans »… tu fouilles, tu tombes sur des contenus qui t’expliquent que tu peux être autre chose : non-binaire, gender-fluid, agenre… Me concernant, j’ai un peu navigué entre les termes. Je me suis rendu compte je n’étais pas transbinaire, mais non-binaire. Quand on s’en rend compte, cela devient une évidence.

Pour moi, être non-binaire, c’est être ni homme ni femme et en même temps un peu les deux… mais pas complètement. Il s’agit de casser la binarité masculin/féminin. Dans mon cas, je ne me considère pas comme un homme transgenre ­— une personne assignée femme à la naissance, mais qui se sent homme. Je suis plus un homme féminin qu’une femme masculine. Je suis à la fois les deux genres et aucun des deux.

Je suis à la fois les deux genres et aucun des deux.

Le genre n’est pas quelque chose de figé : si tu t’identifies comme non-binaire pendant une grande période de ta vie, cela ne t’interdit pas de dire à un moment que tu ne l’es plus, ou que tu es agenre ou gender-fluid…

Est-ce que vous vous considérez comme une personne transgenre ?

Cela dépend du vécu de chacun·e. Sur les réseaux sociaux, quand on consulte certains comptes de personnes non-binaires on voit bien que c’est très personnel. Il existe des personnes qui ne vont pas se considérer comme transgenres, mais plutôt comme non-cisgenres. Pour ma part, je considère la non-binarité comme étant une transidentité.

L’identité de genre est-elle un choix, d’après vous ?

Je ne pense pas. Je crois que cela nous rattrape. Il est possible de se conformer au genre qui nous a été assigné, mais s’il ne nous convient pas, cela finit par ressortir à un moment ou un autre. Chacun·e le gère à sa façon. À ce moment-là, on choisit de transitionner socialement — changer son état civil, son prénom —, médicalement — prendre des hormones, faire une mammectomie, changer de sexe…­ — ou pas du tout. Le but est d’embrasser notre identité comme bon nous semble.

Cette transition est-elle obligatoire pour les personnes non-binaires ?

Quand on est transgenre, binaire ou non-binaire, la transition n’est pas obligatoire.

Personnellement, je songe à transitionner. J’attends d’être un peu plus stabilisé·e dans ma vie. Cela implique beaucoup de choses de transitionner. Ce qui me freine encore est le fait que mes parents ne soient pas au courant de ma non-binarité. Tous mes proches savent, sauf eux. Il faut que je trouve un terrain pour dialoguer, leur expliquer de quoi il s’agit. Souvent, la famille reste un gros frein à la transition.

Sven, non-binaire
« Chacun·e vit sa transition comme iel veut. » — Photo : Jean Lavigne

Il est aussi dommage que certaines personnes transitionnent pour avoir la paix alors qu’elles sont très bien avec leur corps. Elles le font pour avoir une forme de passing. Parfois, elles transitionnent socialement pour s’intégrer dans certaines sphères, trouver du travail, un appartement… Si on sort un peu des codes du genre, que l’on n’est pas clair sur notre genre ou ouvertement trans, face à des personnes transphobes, cela ferme beaucoup de portes.

Le problème est le regard des personnes cisgenres — qui eux sont dans la « norme » — sur les corps transgenres. On ne devrait pas être obligé de transitionner pour ne plus avoir à se justifier constamment. L’idéal serait d’arriver à un point où on transitionne parce qu’on le veut. La transition ne doit pas être quelque chose qu’on attend forcément de nous.

Si elles souhaitent transitionner, comment les personnes non-binaires le font-elles ?

Je pense qu’on peut rester la même personne sociale si que cela nous va comme cela. On demande ensuite aux gens de nous genrer avec les pronoms que l’on souhaite. On peut aussi faire une transition médicale pour avoir un passing binaire, même si on est non-binaire. Cela dépend du besoin — ou non — de cette personne de transitionner.

Pour la transition sociale, on peut demander à changer notre prénom et/ou notre mention de genre sur nos papiers d’identité.

En Angleterre, des personnes non-binaires connues et influentes, qui sont des porte-parole de la communauté, demandent que la mention de genre « non-binaire » existe. Je sais que de telles revendications existent en France, mais elles sont très faibles et peu médiatisées.

De mon point de vue, cela paraît très difficile à mettre en place, car il y a beaucoup de choses à faire. On n’en est pas du tout au point au niveau de la visibilité des minorités. On a toujours un train de retard… Peut-être dans 20 ans, qui sait ? (Rires)

Nous n’avons pas encore de place dans ces standards. Visibiliser les corps trans, binaires et non-binaires, est donc important.

Il y a aussi le rapport à la dysphorie qui fait qu’on transitionne plus ou moins… Je ne pense pas en tout cas qu’il y ait une transition « standard ». Chacun·e vit sa transition comme iel veut. Il ne faut surtout pas tomber dans une standardisation.

La dysphorie de genre est le contraire de l’euphorie. C’est un sentiment de malaise et de mal-être par rapport au genre avec lequel on est perçu ou par rapport à son corps. Certaines parties de ton corps, ton expression de genre ne conviennent pas à ton identité de genre vécue. La dysphorie est créée par le regard de l’autre qui ne sait pas. La dysphorie est créée par la société à laquelle on veut se conformer.

Toutefois, je ne pense pas que toutes les personnes non-binaires sont dysphoriques. Il faut sortir du cliché qu’une personne transgenre ressent forcément de la dysphorie. La dysphorie est une réaction au regard cisnormé de la société. C’est-à-dire qu’on nous pousse à nous conformer à des standards qui ne sont pas les nôtres. Nous n’avons pas encore de place dans ces standards. Visibiliser les corps trans, binaires et non-binaires, est donc important. Il faut que le reste du monde soit au courant que nous existons, et ce depuis longtemps.

Vous avez utilisé un pronom neutre, « iel ». Pourquoi est-ce que certaines personnes non-binaires utilisent ce pronom ?

Dans mon quotidien, j’évite de me genrer au masculin ou au féminin par volonté personnelle. C’est une façon pour moi de m’affranchir du binaire, de me défaire de cette injonction à donner soit un pronom masculin, soit féminin. Dans certaines langues, en anglais par exemple, quand on ne connaît pas l’identité de genre de quelqu’un, on utilise « they ». En français, on va toujours aller vers le féminin ou le masculin selon des stéréotypes.

Le fait d’inventer des pronoms permet aussi d’arrêter de supposer le genre de quelqu’un. Cela peut être très violent pour certaines personnes de supposer, car elle est féminine, que son pronom est « elle ». Il faut laisser la porte ouverte à la transidentité.

La non-binarité vient toujours avec une liberté d’exprimer son genre tel qu’il est.

Certaines personnes sur les réseaux sociaux encouragent à demander les pronoms. Même les personnes cisgenres sont encouragées à le banaliser. Cela peut mettre à l’aise une personne et cela fait toute la différence de créer des espaces safe. C’est bien de la part des personnes cisgenres d’être attentifs aux autres.

Est-ce que les personnes non-binaires ont forcément une expression de genre androgyne ?

Dans l’imaginaire collectif, les personnes non-binaires sont androgynes parce que, souvent, celles qui sont visibilisées le sont. Pour ma part, je n’y peux rien, j’ai une expression de genre androgyne depuis toujours. Mais je suis sûr·e que des personnes non-binaires ont des expressions de genre neutre, passe-partout, un peu plus féminine ou masculine.

La non-binarité vient toujours avec une liberté d’exprimer son genre tel qu’il est. Il peut être flou ou confus pour la personne en face de toi, mais c’est ton genre et il est comme ça. C’est aussi s’affranchir des normes genrées, en enlevant le genre sur les vêtements ou les accessoires, les comportements, les stéréotypes…

Porter une jupe ou des talons par exemple, quand on est perçu comme un homme, peut être violent pour des personnes cisgenres. Violent dans le sens où elles ne comprennent pas. Elles ont peur, car elle voit la non-binarité comme une déviance et une dérive. Violent aussi dans la manière avec laquelle elles peuvent réagir alors que ce ne sont que des vêtements ! Cela ne change en rien qui tu es à l’intérieur. Le vêtement ne fait pas la personne.

Sevan Hosebian-Vartanian
Originaire de la Drôme, Sevan Hosebian-Vartanian a rejoint le Sud-Ouest pour intégrer l'Institut de journalisme Bordeaux Aquitaine (Ijba) en 2019. En alternance à Far Ouest pour l'année, ses sujets de prédilection sont les problématiques sociétales et les questions religieuses.
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