Épisode 3
9 minutes de lecture
Lundi 19 mars 2018
par Clémence POSTIS et Flo LAVAL
Clémence POSTIS
Journaliste pluri-média Clémence a pigé pour des médias comme NEON Magazine, Ulyces, Le Monde ou encore L'Avis des Bulles. Elle est également podcasteuse culture pour Radiokawa et auteure pour Third Éditions.
Flo LAVAL
Flo Laval est co-fondateur de Revue Far Ouest. En tant que réalisateur documentaire il collabore avec des médias comme France Télévision, Médiapart, TV5 Monde... Il est aussi co-fondateur du studio transmédia The Rabbit Hole et fait partie des animateurs de la communauté Storycode Bordeaux.

Rochechouart : une forêt de 660 hectares, à l’héritage millénaire et à la biodiversité exceptionnelle. 40 hectares, parmi les plus remarquables, ont été rachetés par un groupement forestier privé. Au-delà de la polémique de ce rachat, ce sont des questions de préservations et de politique forestière en France qui se posent.

Début février, l’opinion publique et les médias (nous compris) découvrent la forêt de Rochechouart. Présentée comme millénaire et sur le point de se transformer en bois de chauffage, son rachat par un groupement forestier secoue les réseaux sociaux. Les élus s’en mêlent, une campagne de financement participatif est lancée : il faut sauver la forêt !

Mais quelles sont réellement les intentions de l’acheteur ? Tantôt présenté comme exploitant forestier sans vergogne tantôt comme un simple passionné de biodiversité, que compte-t-il faire de ses parcelles ? L’acheteur, mécontent d’être présenté comme industriel, envoie son avocat convaincre les vendeurs de ne pas céder à la proposition de la Région. Et il achète la forêt comme prévu. Que va-t-il se passer maintenant ?

Rochechouart : une forêt privée et exploitée

La forêt de Rochechouart est 100 % privée. Ce qui ressort de plus intéressant dans la médiatisation de cette vente est qu’elle est loin d’être un cas isolé. Tout comme l’exploitation de la forêt de Rochechouart, rarement raisonnée. Chaque propriétaire, en fonction de la taille de sa parcelle, n’a pas les mêmes comptes à rendre.

Lorsque l’on possède une parcelle de plus de 25 hectares, la loi française oblige à fournir à la validation des services de l’État un Plan simple de gestion (PSG). Il définit la gestion de la forêt, dans le cadre de la loi, pour une période de 10 à 30 ans et définit le programme d’exploitation des coupes et des travaux à effectuer. Tar contre, en dessous de 25 hectares, tant qu’il ne défriche pas le terrain pour en faire une piscine municipale, le propriétaire fait ce qu’il veut. Tant qu’il respecte la loi.

L’exploitation de la forêt, souvent irraisonnée, a toujours existé.

Justement, dans le cas de Rochechouart, aucune protection légale n’existe : les propriétaires n’ont pas de contraintes. La forêt de 660 hectares est simplement considérée comme une Zone naturelle d’intérêt écologique (ZNIEFF) depuis fin 2017. Il ne s’agit en aucun cas d’une protection ou d’une réglementation, mais simplement d’un inventaire.

Officiellement, Rochechouart est considérée comme un espace remarquable. Et c’est tout. Laure Dangla du Parc Naturel Régional nous explique que la seule restriction concerne l’artificialisation du lieu. Si un propriétaire voulait y construire des bâtiments, une carrière ou des éoliennes, il rencontrerait des difficultés certaines.

En revanche, raser la forêt peut se faire sans aucun retour. Si ce n’est l’obligation légale de replanter une futaie dès qu’on en coupe une. La loi forestière française oblige un propriétaire qui coupe un hectare de forêt à en replanter un autre dans les cinq ans. Une solution de protection du bien forêt en tant que telle, mais absolument pas de la biodiversité : les essences replantées sont au choix du propriétaire.

Toutes les forêts ne se valent pas : feuillus VS résineux

Un enjeu majeur de la préservation de Rochechouart, et des forêts françaises en général, se joue entre la présence de feuillus et celle de résineux. La forêt de Rochechouart existe depuis au moins le XIIe siècle, mais cela ne signifie pas que les arbres ont mille ans. « On commence à parler de maturité pour une forêt à partir de 200 ans ». Laure Dangla nous explique que dans ce cas précis, on parle d’ancienneté de la forêt et non pas de maturité. « Quelques ilots matures subsistent dans la forêt, le chêne de Bramefan a même 300 ou 400 ans. Mais la majorité du boisement a entre 60 et 80 ans. » Une jeunesse due à l’exploitation de la forêt, souvent irraisonnée, qui a toujours existé.

En outre les propriétaires privés, dont la majorité n’a guère de notion en sylviculture, lancent des appels d’offres ou répondent à des opportunités de récolte. Bien souvent en coupe rase. Cette méthode dégrade déjà énormément les sols, détruisant la biodiversité du site. S’ajoute à cela que les obligations légales de replantes se soldent bien souvent par la réinsertion de résineux.
« On arrache alors les souches, on retourne la terre, et on y plante un résineux. » L’âge de la forêt, autant au niveau du boisement que du sol, repart alors de zéro. « Alors qu’on avait de très belles essences de hêtres et d’arbres magnifiques, le cœur de la forêt est maintenant principalement résineux. »

Une coupe rase à Rochechouart
Une coupe rase à Rochechouart — Photo : Flo Laval

Une parcelle de résineux est bien plus rentable économiquement. Ils poussent plus vite : sur une vie, un propriétaire peut espérer faire deux récoltes de résineux. Contre une, voire aucune sur un peuplement de feuillus. « Difficile d’expliquer à un propriétaire de feuillu qu’il devra attendre 80 ans avant de pouvoir récolter ses arbres. »

À cela s’ajoute la politique d’enrésinement des forêts française à partir des années 1950. Dans la France d’après-guerre, les populations ont besoin de bois, et le commerce du bois de chauffe est en plein essor. L’État finance alors de grandes campagnes d’enrésinement dans toutes les forêts de France. On pensait alors que les feuillus ne servaient à rien.

Si aujourd’hui cette politique est terminée, la forêt de Rochechouart a déjà été grignotée considérablement par les résineux. Cela continue avec des propriétaires privés qui, par manque de connaissances ou par pur intérêt économique, récoltent leurs feuillus pour les remplacer par des résineux, plus rentables. Leur intérêt environnemental est nettement moindre en revanche : mais d’un intérêt environnemental nettement moindre : ils n’abritent pas les lichens rares des feuillus, et ne sont pas un terrain propice pour le développement d’espèces de batraciens ou d’insectes reconnus comme extrêmement rares.

L’avenir de la forêt de Rochechouart

Un lundi matin glacé de février, nous passons la porte de la mairie de Rochechouart pour rencontrer le maire, Jean-Marie Rougier. Il nous explique que l’acheteur s’est montré intraitable : il n’abandonnera pas la vente et n’hésitera pas à avoir recours à la justice pour acquérir ce qui lui revient de droit. « L’erreur dans cette affaire est d’avoir présenté le rachat de la forêt comme une affaire d’argent. Il s’agit avant tout d’une affaire de droit. »

La Région avait proposé aux vendeurs de leur racheter la forêt, pour en faire un bien public. Une campagne de crowdfunding, qui a atteint en quelques jours 25 000 euros, avait été lancée dans la foulée. Au stade où en était la vente, les vendeurs auraient eu à payer 22 000 euros de pénalités. Une somme que la Région s’engageait à payer.

Le chêne de Bramefan, iconique de la forêt
Le chêne de Bramefan, iconique de la forêt — Photo : Flo Laval

L’emballement médiatique et la révélation du nom de l’acheteur font avorter les négociations pour un rachat public. Menacés de poursuite judiciaire par l’acheteur et son avocat, les vendeurs finalisent la vente. La campagne de crowdfunding est annulée, la Région ne sera pas propriétaire de ces parcelles de Rochechouart.

Les négociations ne sont pas terminées pour autant : une convention va être discutée entre les acteurs locaux et le nouveau propriétaire pour que tout le monde trouve son compte dans la protection et la valorisation de la forêt. Suite à leur rencontre avec la mairie, l’expert forestier a envoyé un modèle de convention. Elle va être discutée par les acteurs locaux dans les semaines qui viennent afin de garantir les intérêts de chacun et surtout ceux de la forêt de Rochechouart.

Une solution que Nicolas Thierry, vice-président de la Région Nouvelle-Aquitaine est loin de trouver idéale. « Cela rend l’avenir incertain. Rien ne nous garantit que d’ici quelques années ils ne revendent pas la forêt. La convention serait cassée, sans aucune garantie du prochain acquéreur. »

Laure Dangla, chargée de mission forêt pour le Parc Naturel Régional où se trouve la forêt de Rochechouart nous en apprend beaucoup sur la forêt et comment on peut exploiter une parcelle. La sylviculture permet d’améliorer la qualité du bois : on sélectionne les belles tiges, on coupe ce qui gêne… Plutôt que du bois de feu, une belle parcelle produit du bois d’œuvre, pour la menuiserie ou les charpentes.

Il faut accepter de faire des sacrifices. La valorisation économique du site ne pourra pas être maximale.

Laure Dangla a déjà pu rencontrer l’acheteur, notamment lors d’une étude sur les propriétaires de la forêt de Rochechouart. Il a en effet déjà racheté il y a quelque temps un gros massif à la Grange du Noir. Elle nous le décrit comme une personne ouverte, avec qui la discussion est possible, et qui connait son métier. « Mais il a aussi les pieds sur terre. Il investit lorsque cela a un intérêt et de la valeur, avec un retour sur investissement. »

Elle nous explique que face à l’exploitation d’une forêt, deux intérêts sont à concilier : l’intérêt privé d’un gestionnaire qui cherche une valorisation économique, et l’intérêt environnemental. « On peut concilier les deux, mais il faut accepter de faire des sacrifices. La valorisation économique du site ne pourra pas être maximale. »

En sylviculture, plusieurs méthodes sont possibles. Celle de la coupe rase, dont on a d’abord soupçonné l’acheteur. Il s’agit d’abattre la totalité des arbres d’une parcelle. Le sol, mis à nu, est privé de protection contre les UV. Il souffre aussi de déshydratation et de minéralisation des matières organiques et perd ainsi toute sa biodiversité.

On distingue cette méthode de celle de la futaie jardinée, où un mélange de feuillus et de résineux, aux rythmes de croissance différents, sont mélangés. Prélevés périodiquement, ils permettent d’avoir un volume sur pied constant.

M. Modori nous explique que sur les 40 hectares de Rochechouart récemment acquis, il va faire ce que l’on appelle des éclaircies. Il s’agit de prélever quelques arbres précédemment sélectionnés au profit de ceux laissés sur place. En réduisant ainsi la densité d’une parcelle, une redistribution de l’eau du sol s’opère, ainsi que des nutriments et les taches de lumière ainsi dégagées encouragent le développement des autres arbres. « Je sais que beaucoup pensent que ce que je vous dis c’est du greenwashing. Mais ils n’ont aucune preuve qu’il en sera autrement. »

Un enjeu patrimonial

L’expert forestier affirme qu’une gestion durable de la forêt est prévue. « Il n’y a pas d’opposition frontale entre l’aspect économique, écologique et social. » Dans les 40 hectares dont il est désormais responsable, peuplés principalement de feuillus, il prévoit « d’accompagner les dynamiques naturelles de la forêt ». D’allier maturité économique des arbres et préservation de la biodiversité. De faire des prélèvements qui encouragent la pousse d’autres arbres, en laissant sur pied les arbres les plus remarquables ou les plus intéressants pour la biodiversité. Thomas Modori, comme le Parc Naturel Régional et les élus locaux reconnaissent que, pour le moment, il ne s’agit que de paroles.

À Rochechouart, des hectares de bois récoltés attendent
À Rochechouart, des hectares de bois récoltés attendent — Photo : Flo Laval

L’enjeu environnemental n’est pas le seul dans le cas de la forêt de Rochechouart. À l’état de forêt depuis au moins le XIIe siècle, on y trouve des restes de la préhistoire ou encore de la Seconde Guerre mondiale. Avec plus de 20 kilomètres de chemins publics qui la traversent, la forêt de Rochechouart représente également un fort patrimoine social. « L’acheteur est un peu connu des organismes d’État qui gèrent les forêts. Et il n’est pas réputé pour son ouverture en ce qui concerne la valorisation du patrimoine, » nous raconte Laure Dangla.

Il trouve plutôt un intérêt économique certain en louant son terrain pour la chasse. Une source de revenu confortable et annuel. « Quand il y a un intérêt public aussi fort, le gestionnaire le plus à même de préserver la forêt est une collectivité ou même une association. Ils sont davantage dans l’ouverture, la valorisation et la préservation, que dans l’intérêt économique. »

M. Modori, lorsque nous lui parlons d’une possible valorisation pédagogique du site, s’exaspère légèrement. « Il suffit d’en discuter avec nous. On vient nous parler de tous ces projets extraordinaires, mais il y a encore six semaines, rien de tout cela n’existait. Quand on nous le demandera, on en discutera. »

L’heure est maintenant à la remise en question des politiques locales. Cette histoire, en se cristallisant autour d’un propriétaire en particulier, a révélé une réalité grave : la forêt est exploitée inconsidérément et perd peu à peu tout son aspect remarquable et sa biodiversité. Même si elle reste une forêt au fil des décennies, Rochechouart disparaîtra quand même si l’enrésinement continue.

Le temps de la forêt ne fonctionne pas sur le rythme humain, et l’Homme a souvent tendance à l’oublier.

Nicolas Thierry s’est immédiatement interrogé : comment un site si remarquable pouvait-il ne pas être classé ? Même la mairie de Rochechouart reconnaît un défaut de protection : « Comme les usagers s’y promènent librement, dans l’inconscient collectif on a fini par croire que la forêt était un bien commun. »

Cette leçon pourrait ne pas rester lettre morte dans la politique régionale. Nicolas Thierry, vice-président de la Région Nouvelle-Aquitaine, a l’intention de commencer par cartographier précisément tous les lieux remarquables, forêts ou autres, de la Région. « L’accueil du conseil Régional, même de l’opposition est unanime. » Une fois tous les lieux abritant une forte biodiversité recensés, il compte travailler à l’acquisition publique de ces espaces et à un travail de classement. Même si ces idées sont porteuses d’espoir, elles mettront du temps à être mise en œuvre.

Dans cette histoire de Rochechouart, quoi qu’il arrive, il faut laisser le temps au temps. Lancer aujourd’hui les actions concrètes, et revenir dans dix ans pour voir les conséquences, bénéfiques ou non. Dans dix ans, l’acheteur aura-t-il tenu toutes ses promesses ? Les acteurs locaux auront-ils pris des mesures pour acquérir d’autres parcelles de la forêt ? La Nouvelle-Aquitaine connaitra-t-elle encore des zones non protégées ? Seul le temps nous le dira. Le temps de la forêt ne fonctionne pas sur le rythme humain, et l’Homme a souvent tendance à l’oublier.

Clémence POSTIS
Journaliste pluri-média Clémence a pigé pour des médias comme NEON Magazine, Ulyces, Le Monde ou encore L'Avis des Bulles. Elle est également podcasteuse culture pour Radiokawa et auteure pour Third Éditions.
Flo LAVAL
Flo Laval est co-fondateur de Revue Far Ouest. En tant que réalisateur documentaire il collabore avec des médias comme France Télévision, Médiapart, TV5 Monde... Il est aussi co-fondateur du studio transmédia The Rabbit Hole et fait partie des animateurs de la communauté Storycode Bordeaux.
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