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Samedi 17 février 2018
par Flo LAVAL et Clémence POSTIS
Flo LAVAL
Flo Laval est co-fondateur de Revue Far Ouest. En tant que réalisateur documentaire il collabore avec des médias comme France Télévision, Médiapart, TV5 Monde... Il est aussi co-fondateur du studio transmédia The Rabbit Hole et fait partie des animateurs de la communauté Storycode Bordeaux.
Clémence POSTIS
Journaliste pluri-média Clémence a pigé pour des médias comme NEON Magazine, Ulyces, Le Monde ou encore L'Avis des Bulles. Elle est également podcasteuse culture pour Radiokawa et auteure pour Third Éditions.

La forêt de Rochechouart a plus de mille ans. Un trésor d’histoire et de biodiversité, patrimoine intouchable de la Haute-Vienne. Intouchable, vraiment ? Elle serait sur le point d’être vendue à un groupement forestier. Son avenir potentiel ? Devenir du bois de chauffage ou une table basse. Selon les acteurs locaux, il ne resterait qu’une dizaine de jours pour sauver Rochechouart.

Depuis longtemps, nous souhaitions vous proposer un feuilleton qui raconte nos forêts du Sud-Ouest. Il faut des siècles pour qu’une forêt arrive à maturité. Cela impose l’humilité. Nous souhaitions ainsi prendre notre temps pour trouver le bon chemin pour vous raconter cette histoire.

Mais cette semaine, le temps humain nous a rattrapés. Il nous a même proposé un point de départ, une urgence. Nicolas Thierry, Vice-Président de la Région Nouvelle-Aquitaine, a poussé un cri d’alerte sur Facebook : la forêt de Rochechouart, une forêt millénaire serait menacée. Selon les acteurs locaux, elle est sur le point d’être vendue à un exploitant industriel. La forêt pourrait se transformer en zone de production de bois de chauffage.

Voici notre point de départ pour vous raconter ce nouveau feuilleton. Nous nous sommes entretenus avec Nicolas Thierry pour comprendre comment un bien naturel aussi précieux pouvait se retrouver menacé de disparition.

Bien entendu, dans les jours à venir, nous donnerons aussi la parole aux autres acteurs de cette affaire.

Nicolas Thierry Vice-Président de la région Nouvelle-Aquitaine
Nicolas Thierry,
Vice-Président de la région Nouvelle-Aquitaine

Qu’est-ce qu’il se passe à la forêt de Rochechouart ?

Cette forêt se situe en Nouvelle-Aquitaine, en Haute-Vienne, sur le Parc naturel régional Périgord Limousin. Une très vieille forêt, certainement millénaire, et sûrement la plus vieille forêt de la région Nouvelle-Aquitaine. Il se trouve que cette forêt ne fait l’objet d’aucune protection particulière. Elle n’est pas classée comme réserve nationale ni comme réserve régionale. Elle n’appartient pas non plus au réseau Natura 2000.

Il y a quinze jours environ le maire de la ville m’a appelé en me disant qu’il venait de recevoir une notification, un document administratif, qui montrait que la forêt de Rochechouart était en train d’être vendue à un groupement forestier pour qu’elle soit exploitée. Ce qui signifie très vraisemblablement qu’elle serait utilisée pour produire soit du bois d’œuvre, soit du bois de chauffage. Une des plus vieilles forêts de la région allait disparaître probablement soit pour faire des chaises ou des tables, soit pour brûler dans un poêle à bois.

Ce serait dramatique d’un point de vue patrimonial : cette forêt existe depuis des siècles au moins. Elle n’a jamais été coupée, ce qui est très rare. Nous y trouvons donc un sol à la biodiversité absolument exceptionnelle. D’autre part, les habitants de la région sont extrêmement attachés à cette forêt. De mémoire d’homme elle a toujours été présente.

En tant que Vice-Présidents de la Région Nouvelle-Aquitaine, comment vous impliquez-vous sur ce dossier ?

Depuis dix jours je remue ciel et terre ! J’ai sollicité le préfet et le Conseil national de protection de la nature. Je suis aussi entré en contact avec le propriétaire afin de voir s’il était possible de faire machine arrière. L’acte définitif d’achat n’est pas encore signé. Il reste donc encore une chance de stopper la procédure.

Nous sommes dans une situation d’urgence. Cela va se jouer dans les dix jours à venir.

J’ai proposé au propriétaire que cette forêt soit achetée par la commune de Rochechouart, avec un important soutien financier de la Région. Ainsi nous pourrions établir un bail emphytéotique qui donne la gestion de la forêt pour 99 ans au Conservatoire d’Espaces naturels.

La commune de Rochechouart et le Conservatoire sont prêts à nous suivre dans ce projet. J’essaie de réunir toutes les collectivités, le parc Naturel, l’État, et la Région bien entendu, pour que l’on puisse faire une offre de financement aux particuliers qui souhaitent vendre.

Cette semaine, vous avez fait un post Facebook très remarqué à ce sujet. Pourquoi une telle prise de parole ?

Il y a quelques jours, je ne voyais pas trop d’issue. Nous avions exploré absolument toutes les possibilités juridiques et je pensais que j’étais vraiment au bout du bout. Je me suis un peu épanché sur mon compte Facebook en expliquant la situation. Cela a provoqué une importante réaction. Des milliers de partages et de commentaires sont apparus sur cette publication. J’ai l’impression que cela peut aider à faire bouger les lignes.

Nous allons aussi profiter de cette mobilisation pour lancer une campagne de financement participatif. Une association va être créée afin que les citoyens qui le souhaitent puissent contribuer à l’acquisition des terrains par la commune.

Les gens de ce territoire et des communes voisines se sont emparés de cette situation. Cette mobilisation est très intéressante. Elle montre l’attachement de la population à leur forêt.

Est-il encore temps pour faire évoluer la situation ?

Rien n’est encore perdu, mais la situation semble désormais moins figée. Nous allons rediscuter avec les propriétaires en début de semaine. Ils devaient signer l’acquisition définitive fin février. Nous sommes dans une situation d’urgence. Cela va se jouer dans les dix jours à venir.

Qu’est-ce qui vous permet de croire que la forêt est bel et bien millénaire ?

Le travail des historiens nous le dit. On peut d’ailleurs fixer une première date certaine : dans une grande salle du château de Rochechouart, il y a une fresque qui date du 13e siècle qui fait référence à cette forêt. Il est possible de suivre son histoire à travers les cadastres ou encore les archives de la commune. Ce territoire a toujours été à l’état de forêt. Ce qui est très rare ! Il n’y a jamais eu de zones défrichées ou cultivées à cet endroit, même pas à la Renaissance ou au Moyen-Âge.

Sans oublier d’autres types de travaux, notamment l’analyse des sols, qui a pu prouver la continuité de cet espace et son âge.

Pourquoi la biodiversité de cette forêt est-elle si précieuse ?

Il y a des plantes et des insectes que l’on ne retrouve quasiment nulle part ailleurs et qui ont besoin de forêts très anciennes pour se développer. Nous y retrouvons 5 espèces qui sont sur la liste rouge des espèces protégées par l’UICN (L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature).

On y trouve par exemple ce qu’on appelle le sonneur à ventre jaune. C’est un petit batracien qui fait un chant très particulier. Il vit justement dans des zones un peu particulières, des boisements très anciens, avec de toutes petites flaques d’eau.

Le sonneur à ventre jaune
Le sonneur à ventre jaune — Source : Wikimedia

Comment une telle forêt a-t-elle pu se retrouver dans cette situation critique ?

C’est un vrai questionnement. Comment une forêt aussi identifiée, aussi importante dans l’imaginaire collectif local peut se retrouver dans une telle situation de danger ?

Comment un tel espace a-t-il pu ne jamais bénéficier de la moindre mesure de classement et de protection ? L’intérêt patrimonial et environnemental de cette forêt n’a pas été découvert il y a un mois. On le connait depuis toujours. Peut-être qu’à force d’imaginer qu’il était impossible que cette forêt disparaisse, personne n’a vraiment fait l’effort de faire la démarche de classement.

Or, aujourd’hui il y a une pression énorme pour alimenter des chaudières à bois partout en Europe voire à l’international. Il y a une grosse partie de notre bois qui part en Chine. Il y a besoin de ce qu’on appelle le bois énergie. Les collectivités et les pouvoirs publics financent des chaudières à bois pour de grands bâtiments publics par exemple. Cela nécessite un volume de bois énorme et il est vrai qu’il y a une pression considérable sur la forêt pour avoir du bois de chauffage. Il y a des groupements forestiers qui cherchent maintenant partout des zones qui sont en vente.

Quelles leçons sont à tirer de cette situation ?

Il y a en Nouvelle-Aquitaine un certain nombre de zones extrêmement précieuses et qui ne bénéficient d’aucune protection. Les pouvoirs publics en général doivent faire preuve de plus de vigilance. Il nous faut resserrer les mailles du filet et mieux identifier les zones sensibles comme la forêt de Rochechouart.

En tant que Vice-Président de la Région, je souhaite que nous lancions à ce sujet un travail de recensement et de cartographie sur toute la Nouvelle-Aquitaine. Il nous faut identifier toutes ces zones précieuses et fragiles qui pourraient demain être saccagées si elles ne bénéficient pas de protection.

Je ne ferai pas partie des élus qui verraient d’un mauvais œil que la société civile prenne le relais.

Ensuite, je pense qu’il nous faudra démarrer une politique d’acquisition pour ne plus nous retrouver dans une situation d’urgence comme à Rochechouart. Peut-être devrions-nous aussi impliquer davantage les citoyens : nous pourrions leur proposer de participer à l’acquisition ou au financement de ces espaces par exemple.

La Région a-t-elle les moyens financiers pour de tels projets d’acquisition ?

La région finance à hauteur de plusieurs millions d’euros les Conservatoires Naturels justement pour ce genre d’acquisition. D’autre part, une fois que nous aurons établi un recensement précis des zones fragiles, il nous faudra alors construire une nouvelle politique et si besoin réévaluer les budgets nécessaires. Je suis assez confiant à ce niveau. Vu la mobilisation de la société civile, il sera possible de convaincre l’État, la Région et l’Europe.

Sur les réseaux sociaux, il y a des voix qui s’élèvent pour la création d’une ZAD. Vous y seriez favorable ?

Je fais mon travail d’élu et j’essaie de défendre le bien commun. Politiquement, je considère qu’il n’y a rien de plus important aujourd’hui. Mais je ne ferais pas partie des élus qui verraient d’un mauvais œil que la société civile prenne le relais. Du moment que les choses sont faites de manière pacifique et sans violence bien entendu. Autrement, l’action perdrait tout son sens.

Flo LAVAL
Flo Laval est co-fondateur de Revue Far Ouest. En tant que réalisateur documentaire il collabore avec des médias comme France Télévision, Médiapart, TV5 Monde... Il est aussi co-fondateur du studio transmédia The Rabbit Hole et fait partie des animateurs de la communauté Storycode Bordeaux.
Clémence POSTIS
Journaliste pluri-média Clémence a pigé pour des médias comme NEON Magazine, Ulyces, Le Monde ou encore L'Avis des Bulles. Elle est également podcasteuse culture pour Radiokawa et auteure pour Third Éditions.
Retrouvez cet article dans le feuilleton :

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