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Samedi 24 février 2018
par Flo LAVAL
Flo LAVAL
Flo Laval est co-fondateur de Revue Far Ouest. En tant que réalisateur documentaire il collabore avec des médias comme France Télévision, Médiapart, TV5 Monde... Il est aussi co-fondateur du studio transmédia The Rabbit Hole et fait partie des animateurs de la communauté Storycode Bordeaux.

Selon Thomas Modori, le groupement forestier de M. Gheerbrant souhaite défendre la biodiversité de la forêt de Rochechouart et non pas la raser.

Qui est le mystérieux acheteur de la forêt de Rochechouart évoqué par Nicolas Thierry dans notre premier épisode du feuilleton Sous Les Canopées ? Quelles seraient ses intentions s’il devenait finalement le propriétaire des 40 hectares de la forêt ? Une partie du voile a été levée ces derniers jours : il s’agit du Groupement forestier de la Grange du Noir, dirigé par Hervé Gheerbrant.

Depuis plusieurs jours, nous tentons de le solliciter pour répondre à nos questions. Son entourage nous a fait savoir « qu’il était exaspéré et qu’il n’allait pas se laisser faire ». Le gérant n’a pas souhaité nous répondre. Il a en revanche demandé au gestionnaire de son domaine forestier de s’entretenir avec nous. Il s’agit de Thomas Modori, expert forestier au sein d’Alliance forêt Bois.

Selon lui, Hervé Gheerbrant achète des domaines forestiers pour le plaisir de s’y balader et ne souhaite surtout pas y altérer la biodiversité des lieux. D’autre part, nous avons été contactés par Maitre Gaillard, avocat de Monsieur Gheerbrant, afin de publier un droit de réponse. Celui-ci est donc disponible à la fin de cet épisode. 

Pourriez-vous nous expliquer votre rôle auprès de Monsieur Hervé Gheerbrant et du Groupement forestier de la Grange du Noir dont il est le gérant ?

THOMAS MODORI : Je suis expert forestier. Depuis dix ans, j’ai en charge la gestion de tous les biens forestiers de la famille Gheerbrant. Le Groupement forestier de la Grange du Noir est propriétaire de 150 hectares, répartis entre la Dordogne, la Gironde, et autour de Rochechouart. Sur la forêt de Rochechouart, cela représente 75 hectares. D’ailleurs quand ces 75 hectares ont été achetés par M. Gheerbrant, cela n’a posé de problème à personne.

De plus, il a été indiqué dans la presse que M. Gheerbrant avait une société d’exploitation forestière et qu’il faisait du bois de chauffage. Ce n’est pas du tout cela. M. Gheerbrant est une personne de 80 ans. Il a fait toute sa carrière dans les assurances. Si son but avait été de gagner de l’argent, je pense qu’il aurait agi différemment. Il a déjà réussi sa vie et il n’a pas besoin d’aller s’embêter à couper du bois de chauffage dans les forêts. Il a d’autres actifs pour gagner des sous. Nous ne sommes pas du tout sur l’approche qui a été évoquée dans les médias.

S’il n’est pas financier, quel est l’objectif poursuivi par Monsieur Gheerbrant à travers ses achats forestiers ?

Hervé Gheerbrant souhaite seulement pouvoir se balader en forêt sans être dérangé. Il a donc acheté des petites parcelles au fil des opportunités. Souvent les parcelles qu’il rachetait étaient très mal en point, leurs précédents propriétaires y ayant fait des coupes rases. Derrière, lui, il achetait le terrain nu, simplement pour récupérer du foncier et pour que l’on stoppe ce type de coupe.

Passionné par la forêt, il y passe sa vie. Il rachète depuis une dizaine d’années des parcelles laissées à l’abandon ou qui ont été ruinées sur le plan de la biodiversité. M. Gheerbrant achète des massifs pour les remettre en état et valoriser tout ce qui pourra l’être en feuillu.

En réalité son objectif c’est bien de tout laisser en place !

À Rochechouart, il a acheté, il y a environ trois ans, un massif de 75 hectares quasiment attenant à celui qui est cité dans la presse, sur la commune de Saint Auvent. Après la tempête, il y avait des mélanges de résineux et de feuillus. Le précédent propriétaire avait tout exploité. Il ne restait plus rien. Tout ce qui pouvait être coupé avait été coupé. Il y avait même eu des ventes de bois de chauffage.

Pourquoi M. Gheerbrant ne vient-il pas s’expliquer lui-même à ce sujet ?

Il a été très meurtri par ce qui a été écrit. Il ne souhaite pas s’exprimer publiquement. Les élus locaux ont expliqué dans la presse qu’il avait une entreprise de bois de chauffage et qu’il allait flamber les 40 hectares de forêt. En réalité son objectif c’est bien de tout laisser en place !

Sa soi-disant société d’exploitation forestière destinée à faire de l’argent et du bois de chauffage… eh bien en réalité il s’agit d’une société familiale constituée de deux associés : M. Gheerbrant, bientôt 80 ans, et sa fille.

Quels sont les objectifs que M. Gheerbtrant vous a fixés pour gérer ses biens ?

La feuille de route que m’a assignée M. Gheerbrant est très claire : comment faire pour avoir des peuplements mélangés privilégiant les feuillus et non pas les résineux ? Comment remettre en état des parcelles après des coupes portefeuilles ? J’ai quinze ans devant moi pour faire le nécessaire afin que son domaine soit une forêt en bonne santé.

L’autre contrainte que m’impose M. Gheerbtant est que, une fois mon intervention terminée, elle ne se voie pas. Il ne doit pas rester une seule trace d’exploitation. Il a donc fait un bond sur sa chaise quand il a lu dans la presse qu’on lui prêtait l’intention de raser les 40 hectares. Il ne souhaite pas faire de coupe rase sur les parcelles ! Je m’occupe de toutes ses forêts depuis une dizaine d’années. Je peux attester qu’il n’a pas coupé un seul stère de bois de chauffage sur ses propriétés depuis 10 ans.

Que pensez-vous de la volonté des élus locaux de créer une forêt communale respectueuse de la biodiversité ?

Sur le fond, je trouve la communication des élus très intéressante. Mais il y a un problème : pourquoi personne n’a souhaité prendre contact avec M. Gheerbrant ? En tant que conseiller de divers propriétaires, j’ai à plusieurs reprises signé des conventions avec des administrations pour la conservation de forêts. Des baux sur 30 ou 50 ans pour mettre en place une gestion coordonnée sur des propriétés privées. Il suffirait de contacter M. Gheerbrant et de réfléchir avec lui pour faire un travail en commun pour la préservation de la biodiversité.

M. Gheerbrant a déjà signé la promesse d’achat avec le vendeur et la vente est quasi faite. Il suffit maintenant de passer l’acte. Donc que demandent les élus ? De casser la vente pour un motif qui n’est pas légitime ? Veulent-ils surenchérir alors que la promesse a déjà été signée ?

Dans quelle position met-on aussi le vendeur ? Car il va certainement y avoir des dommages et intérêts si la vente est cassée. Est-ce que les élus ont bien expliqué aux vendeurs qu’ils vont devoir payer des pénalités ?

Les élus locaux ont annoncé qu’il prendrait en charge le paiement des pénalités.

Certes, mais il suffisait de signer une convention comme on le fait partout : une convention qui stipule que le propriétaire, en contrepartie d’une indemnité annuelle, s’engage à laisser venir le Conservatoire du Littoral par exemple. Ou bien de présenter le dossier au CNPL (Conservatoire National de la Protection de la Nature) afin de proposer un mode de gestion qui correspond aux modes de vie des espèces sensibles présentes sur le domaine.

Le CNPL accueille avec bienveillance les conventions. Les propriétaires sont très contents de participer à ce type d’opération. Et les élus peuvent faire avancer leurs projets correctement.

La Mairie souhaite faire de ces 40 hectares une forêt communale et en transmettre la gestion au CEN. Que vous inspire cette solution ?

Constituer une forêt communale représente une très bonne initiative. Les 40 hectares en question ont longtemps appartenu au vendeur. Mais savez-vous qu’au pied du chêne de Bramefan il a été effectué une coupe rase récemment ? Est-ce qu’il y a eu un article dans la presse pour le dénoncer ? Personne n’a rien dit. Avant que M. Gheerbrant signe une promesse de vente, la commune n’a jamais contacté le vendeur pour racheter les parcelles. Et maintenant, dans l’urgence, il y a une mobilisation générale.

M. Gheerbrant est décidé à se battre jusqu’au bout. Mais dans le même temps, si les positions veulent bien un tout petit peu évoluer, il est tout à fait ouvert à la signature d’une convention.

Il faut se poser sérieusement, prendre du temps. Le vendeur est en porte à faux. L’acheteur se retrouve dans une position désagréable. Il va y avoir des frais de justice. Il y a d’autres moyens de s’y prendre que de vouloir bloquer dans l’urgence cette vente. Il y a aussi d’autres parcelles dans la forêt sur lesquelles la commune peut se positionner. D’ailleurs je ne pense pas que la commune se soit positionnée auprès des propriétaires de la forêt pour dire qu’elle était candidate à des rachats éventuels. En quinze ans de carrière, je n’ai jamais vu une telle situation.

Quelle est désormais la position de votre client dans cette affaire ?

Vu ce qu’il a été dit dans la presse, M. Gheerbrant est décidé à se battre jusqu’au bout. Mais dans le même temps, si les positions veulent bien un tout petit peu évoluer, il est tout à fait ouvert à signer une convention. Car sur le fond il est en parfait accord avec la démarche de protection de la biodiversité du domaine. J’ai d’ailleurs laissé un message à la Mairie de Rochechouart et aux élus qui se sont exprimés sur ce dossier, mais personne ne m’a rappelé. (NDLR Nicolas Thierry que nous avons interviewé précédemment affirme ne pas avoir été contacté)

Mais, sur le plan juridique, avec ce qui a été publié dans les journaux, Hervé Gheerbrant ne va pas se laisser faire. La promesse a été signée, et il apprend dans la presse que la commune va casser sa vente. Je ne vais pas retranscrire les termes exacts qu’il a employés… Disons qu’il ne va pas se laisser traîner dans la boue. Si les élus ne souhaitent pas rentrer dans un dialogue avec lui, il utilisera malheureusement la voie juridique.

Si la volonté des élus locaux est de protéger les espèces et la biodiversité, alors on peut se mettre d’accord. En revanche si la commune souhaite se constituer un patrimoine foncier alors je ne vois pas comment on pourra avancer.

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Voici le droit de réponse demandé par le GROUPEMENT FORESTIER DE LA GRANGE DU NOIR suite à la publication de notre article sur la forêt de Rochechouart mis en ligne le 17 février 2018 :

« Le GROUPEMENT FORESTIER DE LA GRANGE DU NOIR a été injustement accusé d’avoir pour objectif, dans le cadre de l’acquisition de 40 hectares de forêt sur la Commune de Rochechouart, d’anéantir la forêt en vue de produire du bois de chauffage.

De manière incidente le GROUPEMENT FORESTIER DE LA GRANGE DU NOIR a également été mis en cause quant aux conséquences d’une déforestation sur la faune de cette forêt.

L’emballement médiatique sur ce projet d’acquisition, d’une extrême banalité, ne repose sur aucun fondement sérieux, vérifié et documenté.

Le GROUPEMENT FORESTIER DE LA GRANGE DU NOIR tient à rappeler qu’il trouve son origine dans la Loi à l’article L 331-1 du Code Forestier.

L’objectif des groupements forestiers ne peut donc être de produire du bois de chauffage dès lors que leur objet social est défini en ces termes : “Un groupement forestier est une société civile créée en vue de la constitution, l’amélioration, l’équipement, la conservation ou la gestion d’un ou plusieurs massifs forestiers ainsi que de l’acquisition de bois et forêts”.

L’objet d’un groupement forestier est donc nécessairement rigoureusement l’inverse de celui annoncé dans les médias.

Par ailleurs, la détention à titre privé des bois et forêts n’est pas une nouveauté, spécialement en Haute-Vienne, où la forêt est privée à 95 % et est partagée entre 140 000 propriétaires environ.

Aucune espèce animale ne se trouvera davantage menacée par ce changement de propriétaire qu’elle ne l’était avant cette cession.

La forêt limousine en général, et celle de Rochechouart en particulier, est composée pour 2/3 de feuillus (chênes et châtaigniers) et pour 1/3 de résineux (épicéas et douglas).

La cession de 40 hectares à un groupement forestier privé en vue de sa conservation et de sa mise en valeur sur 660 hectares que comporte la forêt de Rochechouart n’a donc aucune incidence sur les espèces d’oiseaux ou d’amphibiens, qui sont par ailleurs présentes dans toute l’Europe, mais dont la présence dans les forêts limousines n’est nullement menacée.

Le GROUPEMENT FORESTIER DE LA GRANGE DU NOIR rappelle que de tout temps la forêt limousine a été travaillée et entretenue et qu’à ce jour la filière bois est en première place dans l’économie productive de la région et fait vivre près de 30 000 personnes.

Cette cohabitation de l’homme et de la forêt dans le Limousin est ancienne.

Elle n’a pas jamais mis en péril la forêt et son écosystème.

Au contraire, l’accroissement biologique annuel représente 4 300 000 m3 ce qui fait du Limousin un des territoires les plus productifs de France.

Le GROUPEMENT FORESTIER DE LA GRANGE DU NOIR est choqué de constater que, pour cette forêt qui ne fait l’objet d’aucun classement ni d’aucune protection particulière, il soit envisagé de mobiliser des fonds publics pour s’immiscer et faire échec à une vente par un propriétaire privé à un groupement privé.

Il y a là une violation manifeste des règles d’engagement des fonds publics français et européens et une atteinte grave à l’article 1200 du Code civil qui impose aux tiers de respecter les contrats ».

Flo LAVAL
Flo Laval est co-fondateur de Revue Far Ouest. En tant que réalisateur documentaire il collabore avec des médias comme France Télévision, Médiapart, TV5 Monde... Il est aussi co-fondateur du studio transmédia The Rabbit Hole et fait partie des animateurs de la communauté Storycode Bordeaux.
Retrouvez cet article dans le feuilleton :

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