Épisode 4
5 minutes de lecture
Mercredi 2 mai 2018
par Laurent Perpigna Iban
Laurent Perpigna Iban
Il travaille principalement sur la question des nations sans états, des luttes d'émancipation des peuples aux processus politiques en cours, des minorités, et des réfugiés. Il est souvent sur la route du proche et du moyen Orient pour son site Folklore du quotidien.

Iñaki Egana est historien. Il vient de signer un nouvel ouvrage, « Le désarmement – la voie basque » (Mediabask Elkartea Editions, 2018) qui vient ponctuer des années de recherche menées au plus profond des entrailles du processus de paix. Depuis la conférence d’Aiete en 2011 et jusqu’à la dissolution d’ETA programmée pour le mois de mai, il détaille la complexité d’une quête semblable à aucune autre.

ETA vient de publier un communiqué dans lequel l’organisation se dit « sincèrement navrée » des dommages engendrés par ses actions. Dernière étape avant sa dissolution ?

Fruit d’un débat interne qui dure depuis près d’un an, c’était attendu depuis des mois. Comme beaucoup de monde, c’est le contenu du communiqué, essentiel pour la suite, qui attire mon attention. Et plus particulièrement le fait que l’organisation endosse la responsabilité du conflit et des victimes que celui-ci a occasionné.

Je crois que cette déclaration a surpris beaucoup de monde, car personne, en 2011, ne s’attendait à ce que le processus de désarmement d’ETA se termine de cette manière. Sur la question des victimes et de leurs proches, ces excuses et cette reconnaissance de responsabilité étaient indispensables pour finaliser du processus de paix. La dissolution de l’organisation est désormais possible.

Couverture du livre de Iñaki Egana

Vous faites référence à la conférence internationale d’Aiete en 2011. Mais, en décembre 2016, à la veille de l’affaire de Louhossoa, rien ne laissait non plus présager une évolution si rapide de la situation après des années d’immobilisme…

Oui, c’est vrai. Sachant qu’Aiete était déjà le fruit d’un travail de l’ombre de plusieurs années, notamment sur la question du cessez-le-feu définitif.

Que la société civile prenne les devants n’était pas une option, pas même un plan B. Les états français et espagnols auraient dû être les interlocuteurs indispensables à la résolution du conflit, mais ils n’ont pas été ouverts à cela ; la solution présentée par les membres de la société civile était la seule issue. Au départ, cela n’était prévu sur aucune feuille de route. Je pense également que le processus de dissolution va faire l’objet d’une nouvelle feuille de route au sein de l’organisation, pour envisager la réintégration à la société, et l’articulation de leur futur.

Votre ouvrage est donc en quelque sorte le témoignage d’un moment clé de l’histoire du Pays basque ?

Oui, et c’est également une présentation du processus d’Aiete. Il y a beaucoup de témoignages antérieurs de participants et d’intermédiaires. Nous tâchons d’y expliquer pas à pas quelles ont été les circonstances du désarmement d’ETA. Il y a 3 phases qui s’en dégagent. La première s’est déroulée après Aiete, où une délégation d’ETA part durant 16 mois en Norvège pour négocier, mais sans recevoir de réponse de la part de l’État espagnol ; les membres d’ETA qui y étaient présents retournent dans la clandestinité.

La deuxième un peu plus tard, avec les mêmes acteurs, les gouvernements français et espagnols, et des messages passés au travers d’intermédiaires, notamment suisses, et qui se solde par un nouvel échec.

En 2014, les membres d’ETA se sont rendu compte qu’ils n’obtiendraient pas ce qu’ils attendaient.

La troisième et dernière tentative, tout le monde la connaît : suite aux échecs répétés arrive l’époque des Artisans de la Paix, qui vont mener le processus à la place des États. Cependant, les contacts ou les relations menées par différentes personnalités politiques existent depuis 2011 et n’ont jamais été rompus : elles ne sont contestées par aucun des acteurs, que cela soit le gouvernement français, ou même le gouvernement espagnol. Paris fait passer le message : à partir de février 2017, il n’opposera plus d’obstacles à la remise d’armes par ETA.

C’est en partie grâce à cela qu’a pu se dérouler le désarmement. Pour qu’un désarmement unilatéral obtienne de la crédibilité, il doit être validé par des institutions tutélaires. Et là, il faut aussi valoriser le travail du groupe de résolution de conflits du Vatican piloté par Matteo Zuppi, qui a également joué un rôle essentiel dans cette remise d’armes.

Malgré l’engagement de la communauté internationale, ce processus s’est démarqué de tous les autres par son unilatéralité…

Oui il est très singulier et authentique. Je crois qu’aucun des acteurs en 2011 n’avait imaginé que cela se terminerait ainsi. C’est inédit, jamais un groupe de personnes issues de la société civile n’avait mené un tel processus de désarmement et de démilitarisation. La seule similarité que l’on pourrait trouver se situe déjà au nord du Pays basque, avec le processus de désarmement d’Iparretarrak. Mais cette organisation n’a jamais publié de communiqué de dissolution et les deux organisations ne sont pas vraiment comparables, notamment en termes d’influence.

C’est un processus que l’on peut qualifier d’artisanal. En 2014, les membres d’ETA se sont rendu compte qu’ils n’obtiendraient pas ce qu’ils attendaient. Après des négociations ratées avec le gouvernement espagnol socialiste de José Luis Rodríguez Zapatero, ils ont gardé cette volonté de désarmement. Durant deux ans et demi, ils ont continué de rassembler et de mettre sous scellés leur arsenal, soit 3,5 tonnes d’armes. Ils l’ont fait d’une manière très particulière étant donné les problèmes que le transport d’armes implique, a fortiori en plein état d’urgence.

ETA était une organisation politique, qui a décidé de lutter par les armes dans un contexte favorable, face au franquisme et à la décolonisation.

Ce processus a été long et compliqué, et sans visibilité : à ce moment-là, tout le monde ignorait le futur scénario. Notons aussi que génération qui a mené ce processus a vécu le conflit dans un contexte qui n’était pas le même, en prenant progressivement ses distances avec la violence.

Quelles sont les perspectives pour le peuple basque ? Il semble qu’une partie de la société basque vive mal ce scénario du vainqueur et du vaincu présenté par l’État espagnol. Cela ne risque-t-il pas de diviser la société basque ?

Non je ne crois pas. Dans la déclaration d’Aiete, le conflit était présenté comme le dernier conflit armé en Europe. En réalité ce n’est pas le dernier conflit armé, mais le dernier conflit politique armé en Europe. Après, pour ce qui est de la division au sein du peuple basque, ou même de sa reddition, il y a en effet des personnes qui estiment qu’ETA se rend, et cela est vrai d’un point de vue militaire. Mais continuer une lutte armée en plein cœur de l’Europe à notre époque n’a aucun sens.

ETA était une organisation politique, qui a décidé de lutter par les armes dans un contexte favorable, face au franquisme et à la décolonisation. En 1978, lors de la rédaction de la constitution espagnole, ils ont pris la décision importante de poursuivre la lutte armée, considérant que le régime franquiste n’avait pas disparu, mais avait seulement été réformé. Ils se sont donc engagés en faveur d’une réelle rupture et ont décidé de continuer la lutte armée.

Et il s’agit là d’un moment clé de l’engagement politique d’ETA. Je pense que cela conclut un cycle notamment sur la lutte armée, mais les conflits politiques existent toujours comme en Catalogne ou même en Corse où l’on note un changement de posture depuis les dernières élections.

Laurent Perpigna Iban
Il travaille principalement sur la question des nations sans états, des luttes d'émancipation des peuples aux processus politiques en cours, des minorités, et des réfugiés. Il est souvent sur la route du proche et du moyen Orient pour son site Folklore du quotidien.
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