Coincée entre la Gironde, les Landes et le Lot-et-Garonne, la hêtraie du Ciron existe depuis près de 40 000 ans. Elle était donc déjà présente pendant la période glaciaire, et a côtoyé les mammouths.
La forêt du Ciron est la plus vieille forêt de France, et l’une des plus anciennes d’Europe. Pourtant, les hêtres du Ciron n’auraient jamais dû survivre aussi longtemps. Sa présence actuelle dans les gorges a poussé les scientifiques à s’y intéresser, et découvrir que le microclimat du Ciron résiste aux périodes les plus froides et les plus chaudes.
Cela fait de ce lieu le seul cas mondial connu de site utilisé comme refuge glaciaire par une espèce. Aujourd’hui, les scientifiques s’intéressent à l’évolution de la forêt dans un contexte de changement climatique : va-t-elle survivre au réchauffement comme elle a résisté à la période glaciaire ?
Alexis Ducousso, ancien ingénieur de recherche à l’INRA et spécialiste de la génétique des arbres, nous emmène avec lui à la découverte des hêtres qui bordent le Ciron.
Un sujet PopEx (France 3 Nouvelle-Aquitaine), incarné par Ana Hadj-Rabah.
Vous êtes un passionné de la forêt du Ciron. Pourquoi cette passion pour cette hêtraie ?
Lorsque j’ai emménagé ici dans les années 1990, j’étais généticien et je travaillais sur la préservation des chênes. En me promenant dans la forêt, j’ai découvert ces hêtres, qui semblaient très vieux. J’ai ravalé toutes mes connaissances scientifiques, car la probabilité de tomber sur une forêt aussi vieille est très, très faible. Je me suis dit que ça devait être protégé et analysé.
Comment avez-vous su que cette forêt était aussi ancienne ?
Dans la vallée, on a retrouvé un charbon de bois qui a 43 000 ans. C’est à partir de ça que l’on peut dater le plus vieux hêtre de la forêt. On a aussi découvert que pendant la période glaciaire, la vallée du Ciron n’était qu’une petite forêt. Mais vu le climat de l’époque, c’est une forêt qu’on aurait plutôt dû retrouver en Laponie !
Est-ce étonnant de retrouver des hêtres aussi vieux ici ?
Très étonnant ! Le hêtre n’aurait pas dû résister à la période glaciaire. Il a pu survivre dans les gorges du Ciron grâce à un climat humide continu, un substrat calcaire riche et une faible intervention humaine liée à l’encaissement des gorges. Surtout que dans la région, on ne trouve plus de hêtre ailleurs. C’est ce qu’on appelle un refuge climatique.
Dans 10 ans, on ne parlera plus de la hêtraie, car elle n’existera tout simplement plus.
La présence actuelle du hêtre dans les gorges fait de ce lieu le seul cas mondial connu de site utilisé comme refuge glaciaire et refuge postglaciaire par une espèce.
Comment se fait-il que cela se soit produit ici et pas ailleurs ?
En étudiant la largeur des arbres, on s’est rendu compte que l’eau utilisée par les hêtres venait du sol, c’est ce qui a fait tenir la forêt. On a aussi appris que la vallée du Ciron abrite plusieurs microclimats différents, avec des différences de températures de 6 à 7 degrés entre le bord de la rivière et le plateau, sur maximum 15 mètres de dénivelé !
La LGV reliant Bordeaux à Toulouse en une heure devrait passer près d’ici. Quel est le risque pour la forêt ?
La rivière a un rôle très important pour l’écosystème de la vallée. Le TGV va couper les affluents, cela risque de couper d’eau des zones qui ont un rôle très important pour la biodiversité. Ça va forcément modifier l’écosystème et le climat local.
Il y a aussi des coupes rases qui sont faites par les propriétaires de la forêt, par le biais de coopératives forestières… Si ça se trouve, dans 10 ans, on ne parlera plus de la hêtraie, car elle n’existera tout simplement plus.
La forêt aurait résisté à la période glaciaire, mais ne résisterait pas à l’Homme ?
C’est possible, oui. La hêtraie perd du terrain chaque année, notamment à cause de l’activité humaine. En 1992, quand je suis arrivé sur le territoire, la forêt faisait 35 km de long. Aujourd’hui, elle n’en fait plus que 4,5 km…
En plus, le microclimat de la vallée du Ciron pourrait également être bouleversé par le réchauffement climatique : il y a un risque que la hêtraie sorte de son enveloppe bioclimatique, donc de sa zone de confort, ce qui pourrait conduire à sa disparition.
Qu’est-ce que vous faites, vous les scientifiques, pour empêcher cela ?
On récolte les faînes, les fruits du hêtre. D’une part, pour planter des hêtres et régénérer la population dans la forêt du Ciron. Mais aussi pour les planter beaucoup plus au nord, comme à Verdun, pour étudier la génétique de cette espèce et voir si elle pourrait survivre ailleurs.
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