Épisode 1
5 minutes de lecture
Mardi 5 juin 2018
par Gabriel TAÏEB
Gabriel TAÏEB
Jeune journaliste pigiste et rédacteur web, je travaille notamment pour Objectif Méditerranée, les Mots de Mai et le Journal du Dimanche. Avant cela, j'ai aussi pu collaborer avec Radio Campus Bordeaux et Bordeaux Gazette. Travaillant sur des sujets très divers, je m'intéresse particulièrement aux domaines de la santé, de l'autoritarisme et de la culture culinaire.

Alors que les grèves et les manifestations se poursuivent, certains employés du Service public ont bien voulu livrer pour un moment leur « version des faits ». Sébastien est un contrôleur SNCF syndiqué. Marc est infirmier dans un service psychiatrique. Ils aiment leur métier, le contact humain et veulent les moyens d’offrir un service de qualité.

« Mesdames et messieurs, bonjour. Suite à un mouvement de manifestation, nous vous informons que le trafic est interrompu… ». Des soupirs, des « encore ? », des « et allez ! » se font entendre. Les chaînes d’informations en continu diffusent des chiffres. Sondages d’opinion, nombres de manifestants. Puis le micro-trottoir d’un manifestant, suivi de l’analyse d’un politique. Parfois, la question surgie « Pourquoi ils manifestent encore, ceux-là ? ». Sur le banc des accusés, le Service public.

Des professionnels différents, de secteurs différents, regroupés sous une même bannière. Et avec la volonté de se faire entendre. Mais quand le chef de l’État déclare que « la démocratie, ce n’est pas la rue », la question de l’utilité de ces mouvements sociaux peut être légitime. Des professionnels répondent.

Railleries

« Cela fait souvent débat quand je parle de ma profession. Surtout quand je dis que je suis syndicaliste engagé. » Sébastien, quadragénaire, contrôleur SNCF depuis 20 ans et syndicaliste chez Sud Rail raconte « son » Service public. « Le Service public doit permettre à chaque citoyen d’être épanoui. De bénéficier de l’éducation, de la santé, des transports, etc. » Pour le contrôleur, il est important de défendre encore son statut et sa profession telle qu’il la conçoit, mais cela devient de plus en plus compliqué. « Le dialogue social, auquel on attache tant d’importance, est rompu. […] Les gens ont encore l’espoir d’obtenir des choses par la grève et moi je suis intimement convaincu de son utilité. »

Sébastien, contrôleur SNCF depuis 20 ans
Sébastien, contrôleur SNCF depuis 20 ans : « Le dialogue social est rompu. » — Illustration : Gabriel Taïeb

La notion de « service public » au sens où on l’entend aujourd’hui est apparue à la fin du XIXe siècle. Son émergence coïncide avec l’implication grandissante de l’État dans les processus économiques et le progrès de l’idée de justice sociale. De nombreuses infrastructures de transport ont été construites, le développement industriel et agricole était alors soutenu, et les aides sociales ont fait leur entrée. Au centre de toutes ses actions, une volonté : défendre « l’utilité commune ».

Selon Sébastien « quand on fait ce genre de métiers, on veut aller à la rencontre des gens. C’est ça le service public. » Et c’est cet idéal que l’employé de la SNCF souhaite défendre. Car pour lui, il pourrait être menacé.

“pourquoi ne pas arrêter le contrôle et instaurer la gratuité ?”. On aimerait nous, mais c’est condamnable légalement.

Sébastien nous explique que dans son secteur, la montée en compétences n’existe plus. Les postes de cadres et de direction sont généralement occupés par des personnes issues d’autres entreprises, du privé, voire directement d’écoles de commerce, explique-t-il. Ce qui a pour conséquence une méconnaissance des réalités du terrain, et des décisions qui peuvent sembler arbitraires aux employés. « Le personnel d’exécution se sent concerné par la profession. Les “hiérarchiques” sont beaucoup plus détachés de tout ça, au détriment de l’humain et de la communication. »

Sur les moyens pour lutter contre la détérioration du service qu’il défend, le syndicaliste est clair : « Pour moi, la seule chose qui marche, c’est la grève reconductible illimitée. » Actuellement, le mode de grève en place suit le schéma « 2 jours de grève, tous les 5 jours », mais c’est inefficace pour Sébastien. D’autres solutions sont parfois évoquées en réunion, mais le cadre légal finit généralement par les rattraper. « On nous demande souvent “pourquoi ne pas arrêter le contrôle et instaurer la gratuité ?”. On aimerait nous, mais c’est condamnable légalement. On pourrait être ennuyés professionnellement. » Des moyens d’action limités pour un résultat limité pour le cheminot. Mais dans de nombreux secteurs, les conséquences de cette situation deviennent de plus en plus préoccupantes.

La santé, ça va ?

« Pourquoi je fais ce travail ? Je ne me suis jamais vraiment posé la question. J’aime le contact humain, c’est tout. » Marc est infirmier depuis 2 ans. Il travaille dans un service psychiatrique particulier, où la prise en charge se doit d’être la plus efficace possible sur une courte durée. Le jeune homme aime son travail et son service, mais il a conscience de la difficulté que celui-ci peut représenter. « On a du mal à garder les infirmiers très longtemps. C’est assez lourd d’un point de vue psychologique, ce n’est pas un service où tu feras toute ta carrière. C’est sûr, ça n’arrivera jamais. »

Parmi les problèmes qu’il constate dans sa profession, l’infirmier souligne le manque de moyens évident. « En théorie on doit hospitaliser les patients sur une période de 10 jours à 3 semaines. (…) Parce qu’on manque de moyens et que les autres services sont occupés, on les garde bien plus longtemps. Et par manque de lits, on doit mettre les autres patients sur liste d’attente. Ce qui est absurde pour traiter des crises. »

« On a du mal à garder les infirmiers très longtemps — Illustration : Gabriel Taïeb  

Dans son service, une hospitalisation coûte à l’État près de 900 euros par jour et par patient. Un coût élevé qui pourrait être rapidement réduit selon Marc. Mais les décisions, même économiques, n’iraient pas dans le bon sens. “La réflexion ne se fait qu’à court terme. On veut savoir combien on a dépensé dans l’année. […] Alors on ferme des services, on réduit les effectifs. Et ça crée un cercle vicieux. Les patients sont moins bien traités et reviennent, et le personnel infirmier s’épuise et devient patient à son tour. Tu ne peux pas gagner de l’argent comme ça.

Comme Sébastien, notre contrôleur SNCF, Marc croit en un certain idéal du Service public. “Quel que soit le patient en face, tu es obligé de le prendre en charge. Si le Service public ne s’en occupe pas, des gens crèvent dans la rue. Et les associations sont déjà débordées.” Mais pour lui, les usagers ont aussi leur part de responsabilité dans certains dysfonctionnements du système. “Soins pour tous, ça ne devrait pas dire service inférieur au privé. Mais cela a tendance à le devenir pour plein de raisons. Les gens ne se rendent pas compte de la chance qu’ils ont d’avoir un système de santé pratiquement gratuit. Beaucoup vont aux urgences pour rien, et ça, c’est un vrai problème. On surprofite de la gratuité du service.”

Service public et rentabilité, ce n’est pas compatible selon moi

L’infirmier explique que le manque de moyens à disposition mène parfois à des situations presque absurdes. Comme dans son service, où un patient est présent depuis environ un an, parce que toutes les tentatives de prises en charge sociale ont échoué. “On le garde en attendant de trouver une meilleure solution. Mais on ne traite plus rien, ça ne relève plus de nos compétences. Alors à tous nos lits disponibles, il faut en réalité en enlever un. Mais quand on a qu’un psychologue pour vingt patients dans le coin, on ne peut pas faire autrement.

La tête haute

Selon Sébastien, “il ne faut pas baisser la tête, tout le monde doit continuer à lutter”. Pas question pour beaucoup de travailleurs du Service public de devoir restreindre les services pour des raisons politiques ou économiques. “Service public et rentabilité, ce n’est pas compatible selon moi”, poursuit le contrôleur.

Mais les modèles changent et de nombreuses réformes du travail, du Service public et de la représentation syndicale sont en préparation. Alors, les employés s’organisent et réfléchissent déjà à comment contourner les nouvelles contraintes. Et pour certains, cela signifie continuer à se mettre au service des autres, coûte que coûte.

Gabriel TAÏEB
Jeune journaliste pigiste et rédacteur web, je travaille notamment pour Objectif Méditerranée, les Mots de Mai et le Journal du Dimanche. Avant cela, j'ai aussi pu collaborer avec Radio Campus Bordeaux et Bordeaux Gazette. Travaillant sur des sujets très divers, je m'intéresse particulièrement aux domaines de la santé, de l'autoritarisme et de la culture culinaire.
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