Épisode 3
5 minutes de lecture
Samedi 9 juin 2018
par Gabriel TAÏEB
Gabriel TAÏEB
Jeune journaliste pigiste et rédacteur web, je travaille notamment pour Objectif Méditerranée, les Mots de Mai et le Journal du Dimanche. Avant cela, j'ai aussi pu collaborer avec Radio Campus Bordeaux et Bordeaux Gazette. Travaillant sur des sujets très divers, je m'intéresse particulièrement aux domaines de la santé, de l'autoritarisme et de la culture culinaire.

Optimistes ou pessimistes, nos employés interrogés se questionnent sur l’avenir de leurs professions. Leur statut n’est pas le seul remis en cause : notre quotidien, dans les transports, l’éducation ou la santé pourrait bientôt changer du tout au tout. Pour le meilleur ou pour le pire ? Entre les réformes, la méfiance des usagers et la numérisation, le Service public pourrait bien changer en profondeur très rapidement. Professeur, infirmier, contrôleur SNCF et employée à Pôle emploi nous expliquent tout, de l’intérieur.

« Alors, plutôt confiant ou méfiant sur l’avenir ? ». Cette question a été posée à l’ensemble de nos travailleurs de la fonction publique lors de nos entretiens. Pour anticiper les changements à prévoir selon les premiers concernés, mais aussi pour tenter de dégager quelques solutions. Certains futurs semblent plus probables que d’autres, mais ils reflètent tous la vision qu’ont nos employés de leur avenir professionnel.

Dystopie précaire

En octobre 2017, le gouvernement lançait le programme « Action Publique 2022 ». Un outil de réflexion ouvrant le débat sur une refonte de l’action publique « en interrogeant en profondeur les métiers et les modes d’action publique au regard de la révolution numérique », d’après le site dédié au programme. Il est certain que le Service public va subir des modifications. Provenant de décisions politiques, économiques ou de facteurs structurels. Mais des évolutions peuvent sembler injustifiées pour certains employés de la fonction publique.

À quoi ressemblera le quotidien du Service public ?
À quoi ressemblera le quotidien du Service public ? — Illustration : Gabriel Taïeb

« Les priorités ont changé. Maintenant on mise tout sur la numérisation, au détriment de l’humain. Mais ça ne fait pas sens dans notre profession », déplore Sarah, notre salariée à Pôle Emploi. Celle-ci explique que les interfaces numériques qui se développent dans son secteur présentent de nombreux inconvénients. En premier lieu, elles excluent les personnes ne disposant pas des outils ou des compétences nécessaires, renforçant ainsi les disparités qui subsistent sur le milieu du travail.

Mais le problème principal selon Sarah reste le manque d’accompagnement que suggèrent ces outils. Pour elle, son travail consiste avant tout à diriger les personnes qui se présentent vers des solutions en prenant compte de leur situation particulière et individuelle. Et beaucoup ne savent pas vers quoi s’orienter. Une interface entièrement numérique pourrait alors nuire à la reconversion professionnelle et enfermer beaucoup de demandeurs d’emploi dans une situation précaire.

Pour Sébastien, contrôleur à la SNCF et syndicaliste chez Sud Rail, l’avenir semble incertain pour les plus jeunes. « On tente de faire changer les mentalités. Mais les décisionnaires veulent précariser, accorder moins de protections, changer les postes, etc. Et le bien-être, ce n’est pas seulement économique et financier. » Alors que la légitimité de son statut est remise en question, le cheminot tente d’ouvrir le débat et de réunir le maximum d’acteurs pour faire converger les luttes.

Une tâche nécessaire selon lui, mais qui deviendra de plus en plus difficile. « On l’oublie souvent, mais il va aussi y avoir une réforme des syndicats et des formes de représentation bientôt. Très vite, on aura de moins en moins de possibilités de se défendre. » Au-delà des professions et du secteur public, les moyens de le protéger pourraient alors être menacés eux aussi.

Utopie à l’étrangère

Malgré une situation qui peut sembler compliquée, tous les employés du Service public ne voient pas l’avenir comme une menace, mais bien comme une opportunité de refonder le système. En partant sur de nouvelles bases, plus saines.

José, professeur de mathématiques au collège, évoquait déjà les possibilités qu’accordaient les nouvelles réformes de l’éducation. Mais pour lui, l’Éducation nationale pourrait aller plus loin. « Même si c’est difficile, je pense qu’on peut arriver petit à petit à parvenir à un bon modèle en s’inspirant des autres pays. C’est l’avantage de la mondialisation et du numérique. Qui remet d’ailleurs parfois en question la parole du prof. Alors on peut apporter autre chose. »

Le jeune homme souhaiterait notamment intégrer un modèle plus transversal, comme celui expérimenté aux États-Unis. « Des écoles se montent avec l’exigence “toute réponse trouvable en 15 minutes sur Google ne sera pas enseignée”. Et ça ouvre plein de possibilités. Comme le modèle des “big questions”, on pose des interrogations comme “pourquoi ça vole un avion ?” et les élèves tentent d’y répondre à travers toutes les matières. »

Pour l’enseignant, la pédagogie française traditionnelle est déjà arrivée à bout et tout le monde commence à s’en apercevoir en regardant les résultats des élèves, notamment à l’échelle européenne. Un modèle basé sur le développement personnel et l’apprentissage par la réflexion lui semble plus pertinent. Mais pour cela, José persiste à croire que ce ne sera possible qu’avec une entière collaboration de l’équipe pédagogique tout au long de l’année. « Les profs sont trop enfermés dans leurs matières. Il faut faire sauter ses cases de cours et travailler ensemble. »

S’inspirer d’autres modèles ? — Illustration : Gabriel Taïeb

Cela demande néanmoins des moyens. Surtout lorsque le jeune homme préconise des interventions d’associations et de professionnels chaque jour pour permettre aux élèves de « voir autre chose et s’ouvrir à la société ». Pas un réel problème pour José. « On a des moyens, et des économies à réaliser. Il faut juste bien les investir. »

Les exemples étrangers peuvent aussi beaucoup apporter à la santé selon Marc, infirmier en psychiatrie. Pour lui, le principal problème dans son service et l’ensemble du secteur de la santé publique est le manque de moyens. Pourtant, la situation pourrait simplement s’inverser. « Il faut investir massivement. Il faut justifier les coûts, alors on ne prend aucun risque. Effectivement ils ne rentreront pas dans leurs frais dans l’année, mais il faut voir sur le long terme. » L’infirmier soutient qu’une rentrée de fonds importante ne peut être que bénéfique, car plus de moyens suggèrent de meilleurs soins et donc moins d’hospitalisations, très coûteuses à l’État. Et des pays voisins ont déjà eu des résultats probants.

« En Angleterre ils ont essayé de trouver un moyen pour que la psychiatrie coûte moins cher. Leur solution a été d’accorder des fonds immenses à la santé pour développer des équipes psychiatriques mobiles, se déplaçant à domicile. Ils ont eu de super résultats. Les patients sont plus en confiance, donc mieux traités et les hospitalisations ne se font qu’en cas d’urgence. Plein de lits sont alors libérés. Donc à long terme, d’immenses économies sont réalisées, parce que ce qui coûte cher, c’est l’hospitalisation. » Mais pour le moment, difficile d’être optimiste pour Marc. Quelque chose ne fonctionne pas et tout le monde serait conscient du fait qu’il faut revoir le système.

Ceux qui comptent

Le Service public appartient avant tout aux citoyens. Les travailleurs qui le composent sont aussi des usagers, et souhaitent interpeller sur les menaces qui pèsent sur leurs professions et leurs conditions de travail. Ils partagent tous un certain idéal ; celui de se mettre à la disposition des autres et d’accorder à chacun un accès aux services de base, sans négliger la qualité. Mais seul l’avenir montrera si leurs craintes ont été fondées, et leurs paroles écoutées.

Gabriel TAÏEB
Jeune journaliste pigiste et rédacteur web, je travaille notamment pour Objectif Méditerranée, les Mots de Mai et le Journal du Dimanche. Avant cela, j'ai aussi pu collaborer avec Radio Campus Bordeaux et Bordeaux Gazette. Travaillant sur des sujets très divers, je m'intéresse particulièrement aux domaines de la santé, de l'autoritarisme et de la culture culinaire.
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