Épisode 13
5 minutes de lecture
Mardi 12 janvier 2021
par Sevan Hosebian-Vartanian
Sevan Hosebian-Vartanian
Originaire de la Drôme, Sevan Hosebian-Vartanian a rejoint le Sud-Ouest pour intégrer l'Institut de journalisme Bordeaux Aquitaine (Ijba) en 2019. En alternance à Far Ouest pour l'année, ses sujets de prédilection sont les problématiques sociétales et les questions religieuses.

Avant même la crise sanitaire, L’Insee estimait que 20 % des étudiant·e·s en France vivaient sous le seuil de pauvreté. Créé au début du premier confinement, l’association Solidarité Continuité Alimentaire Bordeaux — composée de doctorants, d’étudiants et de quelques jeunes maîtres de conférences — aide les étudiant·e·s en situation de précarité alimentaire. Une bénévole, anonyme et doctorante à l’université Bordeaux Montaigne, a accepté de répondre à nos questions sur la situation.

Pourquoi cette association s’est-elle créée ?

Nous avons créé un collectif, à peine une semaine après le début du premier confinement, le 16 mars. Nous étions plusieurs à savoir qu’il y avait une situation de précarité pour les étudiants en général. Nous savions que le confinement allait entraîner une complication de leur situation. Cela s’est révélé vrai très rapidement.

Les restaurants universitaires ont fermé, une mesure d’exonération des loyers a été prise pour les étudiants habitant en résidence universitaire… Certains ont donc décidé de retourner chez leurs parents. Ceux dont la famille habite loin en revanche — notamment les étudiants étrangers — se sont retrouvés confinés pour la première fois dans de petites chambres, que nous savons insalubres ou vétustes pour certaines.

La situation a été compliquée. Sur le campus, il n’y avait pas de restaurants ou de commerces pour se fournir en denrées alimentaires. Beaucoup de gens qui occupent des petits boulots en temps normal ont perdu leur emploi et donc leur source de revenus essentielle.

le stock de l'association pour lutter contre la précarité étudiante
200 colis préparés par l’association — Source : Twitter

Nous avons aussi reçu des appels à l’aide d’étudiants. Certains nous ont écrit en disant qu’ils et elles n’avaient pas mangé depuis 24 h, 48 h… Face au risque de mourir de faim, il nous semblait inenvisageable de ne rien faire. Nous avons donc mis en place un système pour fournir des denrées alimentaires le plus vite possible.

Votre démarche ne s’est pas terminée à la fin du premier confinement…

Le système s’est pérennisé. Nous avons continué la livraison de paniers de mi-mars à mi-juillet. Notre financement principal provient d’un appel à dons sur internet. Nous avons récolté 60 000 € de dons. Nous avons donc pu livrer environ 1 800 personnes sur cette période.

Nous avons ensuite arrêté pendant un petit laps de temps, car nos bénévoles étaient fatigués et nous manquions de financements. Lors du second confinement, nous sentions qu’il y avait à nouveau des situations de détresse, donc nous avons relancé le collectif, qui entre temps est devenu une association.

Certains n’ont plus d’économies, alors qu’ils en avaient lors du premier confinement. Cela s’aggrave vraiment de mois en mois et nous le constatons parce que les demandes augmentent par rapport au premier confinement, alors même qu’il y a de nouvelles solutions. Des mesures ont été prises par des institutions peu présentes, notamment le Crous, comme la distribution alimentaire en partenariat avec la banque alimentaire. Il y a aussi le marché solidaire de l’Université Bordeaux Montaigne. (UBM)

Comment vos bénévoles s’organisent-ils pour aider les étudiants ?

Lors du premier confinement, nous faisions des livraisons à domicile. La logistique était très complexe, car nous partions de Pessac avec nos voitures chargées de paniers et livrions deux fois par semaine en centre-ville et jusqu’à Cenon.

Nous avons décidé de changer le dispositif de livraison lors du second confinement. Le nouveau système est plus simple pour nous. Il consiste à distribuer nos denrées alimentaires à des points fixes : sur le parking du STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives) près de l’Université Bordeaux Montaigne et près de l’arrêt François Borde sur la ligne B du tramway.

Nous avons été à court d’argent récemment, donc depuis deux semaines, nous ne distribuons notre panier qu’une fois par semaine au lieu de deux, le samedi. Je pense que nous allons rester sur cette cadence.

Est-ce que de base les étudiants constituent une population fragilisée ?

Complètement. Les étudiants représentent une population précaire parce qu’ils ne perçoivent pas un salaire confortable et sont exposés au stress normal des études, aux inquiétudes de l’avenir… Mais aussi à des conditions de vie difficiles, à la montée du coût de la vie et des loyers à Bordeaux. Moi qui suis dans l’Université Bordeaux Montaigne, ce que je constate c’est qu’il y a des problèmes liés au logement qui sont sans précédent et de pire en pire au fil des années.

Nous avons d’ailleurs reçu un message de la part de la présidence de l’université indiquant que des étudiants sont sans domicile fixe, ou vivent dans des appartements insalubres ou/et ont des difficultés financières. Les situations de confinement accentuent ces difficultés, car il est plus dur de trouver un emploi étudiant pendant les confinements, mais aussi pendant l’été qui a précédé cette année scolaire. Beaucoup d’étudiants comptaient sur leur emploi saisonnier pour financer leurs études.

Pourquoi des étudiants sont-ils amenés à bénéficier d’une aide alimentaire dans une des plus grandes puissances économiques mondiales qu’est la France ?

La précarité alimentaire touche beaucoup de monde. Cela me surprend et ne me surprend pas. Nous avons les moyens dans notre pays de donner à chacun des conditions de vie descentes. Sauf que notre société capitaliste a fait des choix qui ne sont pas allés dans le sens des financements des services publics. L’absence de financements se fait ressentir dans plusieurs domaines : dans la recherche, dans l’hôpital, l’aide aux personnes les plus démunies et fragiles. Je trouve cela terrible, mais cela ne me surprend pas vu l’économie dans laquelle on vit.

Ils sont fragilisés psychologiquement et nous voyons mal ce qui justifie qu’ils soient les seuls à ne pas aller en cours. 

Est-ce que vous considérez qu’il y a un manquement de l’État à aider les étudiants ?

Oui, c’est très clair. Cela est d’autant plus clair que, comme nous alertons depuis quelques mois, il y a une situation d’exception pour l’université publique. Dans le primaire et secondaire, les cours ont lieu. Les classes préparatoires sont ouvertes. Ce sont les lieux d’enseignement et supérieurs qui ne sont pas publics sont ouverts… Nous nous demandons comment cela se fait que l’on accorde si peu d’importance au sort économique, social et à la situation psychologique des étudiants de l’université.

Nos étudiants confinés depuis un mois ne vont pas bien. Ils sont fragilisés psychologiquement et nous voyons mal ce qui justifie qu’ils soient les seuls à ne pas aller en cours. Pourquoi seulement les étudiants doivent rester à la maison alors qu’ils ne représentent pas une population à risque ?

Comment peut-on bénéficier de vos aides ?

Il n’y a aucun critère de sélection concernant nos bénéficiaires. Cela est l’un des principes de notre association : nous ne demandons à aucun moment de prouver que nos bénéficiaires sont pauvres ou étudiants. Nous savons que nous aidons aussi des non-étudiants et nous en sommes très heureux et heureuses. Au départ, le collectif a été créé pour les étudiants, car nous nous sentions proches d’eux en tant que jeunes chercheurs ou étudiants. Jamais nous n’avons mis en place un contrôle et jamais nous ne le ferons.

Comment peut-on vous rejoindre ou vous soutenir ?

Tout fonctionne par internet. Il y a un questionnaire en ligne pour les bénéficiaires et une adresse mail à contacter [aide-etudiants-bordeaux@protonmail.com] si on souhaite nous donner un coup de main. Nous fonctionnons via Discord. Tout s’organise dessus.

Certains peuvent se proposer pour les différentes actions et peuvent prendre part aux assemblées générales de manière hebdomadaire. Si vous souhaitez nous financer, vous pouvez faire un don à notre cagnotte. Par ailleurs, nous sommes en recherche de financements plus pérennes.

Lors du second confinement, des aides sont mises à disposition par le Crous et d’autres organismes :

  • Certains restaurants universitaires proposent une formule avec un plat chaud + 2 items (dessert et entrée) à emporter pour 3,30 € ou 1 € pour les étudiants boursiers. Liste des restaurants universitaires partenaires de cette opération à retrouver ici.
  • Des colis alimentaires sont distribués par la Fédération ATENA en partenariat avec la Banque Alimentaire de Gironde. Pour s’inscrire : bit.ly/DistributionA.

Sevan Hosebian-Vartanian
Originaire de la Drôme, Sevan Hosebian-Vartanian a rejoint le Sud-Ouest pour intégrer l'Institut de journalisme Bordeaux Aquitaine (Ijba) en 2019. En alternance à Far Ouest pour l'année, ses sujets de prédilection sont les problématiques sociétales et les questions religieuses.
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