Mise à mal par la pandémie de Covid-19, Ramset NSO, une petite entreprise girondine spécialisée dans la distribution de ramettes de papier et produits d’impression grand format, s’est inventé un nouveau destin. Fort d’un coup de pouce du hasard et d’un imparable instinct d’adaptation, Stéphane Mangnez, son PDG, est devenu en quelques jours le n° 1 de la distribution de visières de protection. De quoi donner un peu de relief à une notion « étendard » de cette crise : la résilience.
Stéphane Mangnez est un chef d’entreprise sur le pont. À la tête de Ramset NSO, cet entrepreneur chevronné, naviguant à vue dans les eaux troubles du Covid-19, vient d’ouvrir une voie dans la distribution de produits destinés à la préservation des gestes barrières. Mais contrairement à ce que peuvent laisser penser les apparences aujourd’hui, Ramset NSO n’a pas toujours été spécialisée dans le matériel préventif.
Jusqu’à la déclaration du confinement par le gouvernement, la petite société girondine était le leader régional des solutions d’impression. Machines de façonnage, impression grand format, ramettes de papier…
Repensez donc à toutes ces heures passées devant la photocopieuse, judicieusement placée à côté de la machine à café de votre boîte ou de votre université. À combien de fois vous y êtes-vous repris avec la relieuse perforeuse du service « Repro » pour réaliser le précieux rapport d’activité de votre direction ? Ou le rapport de stage de votre petit dernier, imprimé en « loucedé » ? Si cette belle couverture ornée d’un feuillet transparent fait votre fierté, sachez-le, vous la devez certainement à la société de distribution de Stéphane.
Et il serait juste de préciser ici que ce commerce n’a en effet que peu de choses en commun avec la gestion de pandémies. Mais dès le 17 mars, le couperet tombe, l’activité est au point mort. « Pétole », pourrait-on dire… L’entreprise et ses 12 employés sont au chômage technique.
Malgré une conjoncture désastreuse, il aura suffi d’un seul élément et d’une invraisemblable inclinaison du hasard à bien faire les choses pour redonner du vent dans les voiles à cette entreprise en difficulté, et en faire un des fleurons français de la lutte contre le Covid-19. Et le fameux transparent en polyester qui a permis de « saper comme jamais » votre précieux rapport n’y est pas pour rien.
Coup de poker : constituer un stock énorme
Stéphane, visionnaire s’il en est, détaille le récit d’une aventure commerciale peu banale : « Nous étions au chômage, on assurait 30 % de l’activité environ et l’usine voisine, PSD, était fermée également. PSD est une usine de transformation de mousse et ils m’ont demandé s’il nous restait des feuillets transparents servant à la reliure, produit que nous distribuons dans le cadre de notre activité initiale. Un premier prototype de visière a été réalisé en assemblant un socle de mousse et un feuillet transparent en guise de visière. J’ai suggéré des modifications, notamment sur la fixation des deux éléments et nous sommes parvenus à un modèle que j’ai trouvé fabuleux. »
De cette improbable rencontre naît en quelques jours à peine « Face protect », la première visière de protection 100 % made in France et 100 % recyclable. En effet, qu’il s’agisse du support, réalisé en mousse d’origine non chimique, ou du feuillet transparent en polyester, ces matériaux ont été retenus pour leur prédisposition naturelle au recyclage et pour le fait qu’ils ne contiennent ni bisphénol ni nanoparticules. Dès lors, une organisation se met en place : PSD fournit le support en mousse, Ramset NSO fournit les visières en polyester. La première produit, la seconde distribue. Une formule sans fioritures qui connaît aussitôt un franc succès.
L’entrepreneur poursuit : « Au tout début, PSD pouvait fabriquer 1000 visières par jour, mais les commandes ont explosé. Il y avait alors pénurie de masques. Nous sommes passés de 1000 à 10 000 unités par jour. Les trois usines de PSD qui étaient à l’arrêt ont été réactivées et nous sommes passés à 50 000 unités par jour. Alors que l’essentiel du marché est localisé en Chine, en 7 jours, nous sommes devenus le 1er distributeur français de visières de protection. »
Les entreprises voisines, soucieuses de poursuivre leur activité, passent les premières commandes de visières de protection. La mairie de Saint-Jean-d’Illac à son tour s’approvisionne auprès de sa « jeune pousse ». Hervé Seyve, édile illacais, est alors en première ligne sur la gestion communale de la pandémie. « Lorsque nous avons eu connaissance de ce nouveau produit distribué par Ramset, nous avons tout de suite été intéressés. Dans le contexte du confinement, nous ne savions pas quels seraient les équipements requis et il nous fallait protéger nos salariés. »
300 pièces sont commandées pour équiper les agents communaux, puis 700 visières supplémentaires pour les enfants de la commune dans l’optique de la rentrée des classes. Bordeaux Métropole suit le mouvement. De même que le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine qui passe commande de 30 000 pièces. Pour les collectivités territoriales en attente de masques, la disponibilité sur le sol girondin de ces visières de protection est un soulagement.
Aujourd’hui, des négociations auprès de grands groupes français sont en cours. Mais l’emballement pour les produits préventifs tels que masques, gants et gel hydroalcoolique et les promesses de contrats à venir ont enseigné à notre entrepreneur une leçon : la préservation du stock et la disponibilité du produit sont primordiales.
Raccourcir les délais de paiement pour survivre
Convaincu de devoir agir vite, Stéphane sort le chéquier et passe une commande record de 1,2 million de feuillets transparents. Une « cagnotte » constituée en prévision d’une prochaine pénurie de matière première qui permet à Ramset NSO d’avoir un, sinon deux, coups d’avance dans la course à l’armement anti-Covid-19. « Nous étions pratiquement les seuls à avoir du stock », confirme Stéphane Mangnez. « Personne ne fait ça, le risque est trop important. Il y a une énorme part de risque, c’est toute la difficulté et c’est pourquoi nous avons demandé un soutien de la part des institutions. »
Cette gestion du risque devient dans le développement de cette nouvelle activité une donnée permanente dans le processus décisionnel. Pourquoi ? Parce que l’entreprise choisit d’investir et de payer d’avance ses fournitures. Dans un second temps, les délais de paiement de la commande publique représentent en soi un danger imminent pour la pérennité de la société. Pour tenir, l’assurance d’une trésorerie et d’un fonds de roulement adapté est essentielle.
Sensible à ce fragile équilibre, Florence Lassarade, sénatrice de la Gironde est rapidement venue au secours de Ramset NSO. « Le règlement des commandes génère toujours un décalage qui peut mettre en péril l’activité. Or là, il y a urgence sur le plan sanitaire et nous savons que la visière de protection, de même que les masques, sont des outils que l’on devra utiliser de manière courante jusqu’à la fin de l’année au moins. Il est donc impératif d’aider Ramset NSO à obtenir des sources de financements. »
Stéphane Mangnez confirme l’impérieuse nécessité de ce soutien : « Suite à la sollicitation de la sénatrice, la Préfecture est intervenue afin de faciliter les délais de paiement, le but étant de ne souffrir d’aucun défaut de trésorerie. » Cette bonne santé financière a par ailleurs été confiée à la surveillance étroite d’un nouveau directeur administratif et financier, recruté pendant le confinement. Une « aide précieuse » pour accompagner la croissance singulière de Ramset NSO.
Ramset NSO, au chômage technique il y a encore quelques semaines, a aujourd’hui recruté deux autres salariés afin de suivre la marche. Son métier initial, les solutions d’impression grand format et les ramettes de papier, est toujours en berne. L’entreprise doit composer avec de nouveaux clients, de nouveaux produits et une commercialisation menée à train d’enfer dans un contexte où le cadre réglementaire est connu « à la semaine ».
« Aujourd’hui, le long terme, c’est 7 jours. »
« Il y avait au tout début du confinement un stress lié à la peur du lendemain. Désormais, les équipes connaissent un stress lié au surcroît d’activité et au rythme quotidien. Ça a beaucoup perturbé le personnel. Les gens sont fatigués, nerveusement et psychologiquement. Mais quand on voit que l’on fait du chiffre d’affaires, on s’estime heureux. » Jamais à court d’idées, Stéphane Mangnez a depuis le début de cette aventure consolidé son offre avec la création d’une gamme dédiée à la lutte contre le Covid-19.
Séparateurs, hygiaphones, accessoires individuels multi-usages ou encore poignée de porte universelle sans contact palmaire, les innovations ne manquent pas et la production suit un schéma de conception basé sur l’agilité, les itérations et l’expérience utilisateur. « On peut concevoir un prototype en 48 h, le tester chez nos clients et le mettre en production aussitôt. Une semaine après leur conception, nous sommes déjà en capacité de distribuer nos produits. »
À l’heure où nous écrivons ces lignes, le chef d’entreprise a ralenti sa cadence et a décidé d’arrêter la production. Un stock de 160 000 unités a été ainsi constitué afin d’alimenter « les plus grosses centrales d’achat ». Si les entreprises privées et les collectivités locales s’approvisionnent toujours chez Ramset NSO, l’entrepreneur note toutefois « une petite baisse chez les particuliers, qui s’explique certainement par un relâchement de l’application des gestes barrières ».
Que restera-t-il de ce rebondissement singulier dans la vie de Ramset NSO dans les mois ou les années à venir ? Personne ne saurait le dire. Si la fourniture de produits de prévention a permis de « sauver » l’année, Stéphane Mangnez ne peut se prononcer sur le maintien de cette activité sur le long terme, pas plus qu’il ne peut prévoir la reprise de son activité initiale. « On ne sait jamais ce qu’il va se passer la semaine suivante. Aujourd’hui, le long terme, c’est 7 jours. »