Supprimer la prison. Le courant abolitionniste qui porte cette proposition a souvent du mal à se frayer un chemin dans les discours autour des peines carcérales. Gabi Mouesca, ancien membre d’une organisation armée basque, a troqué son 7 millimètres contre des armes juridiques pour défendre une conviction profonde : la prison est une barbarie moderne.
Les mains dans le dos, le corps droit, Gabriel — Gabi — Mouesca, marche six pas par six dans une maison de Tarnos à côté de la communauté Emmaüs où il nous a donné rendez-vous. Le bruit des chaussures sur le sol sonne comme une aiguille d’horlogerie, tant la régularité de son pas semble mécanique. Six pas par six. « Ce fut la taille de ma cellule pendant des années. » L’homme a dédié sa vie d’adulte à la lutte contre la prison.
À l’intérieur des murs, comme prisonnier d’abord, avec une série de records dont il se serait bien passé : sur ses 17 années passées derrière les barreaux, il en compte trois à l’isolement complet, 12 en maison d’arrêt et 16 avant son principal procès. Sa carrière carcérale comprend également une évasion réussie. La date est un point indélébile de sa mémoire : « C’était le 13 décembre 1986. Dans ta ligne de vie, il y a des événements qui marquent, celui-ci en est un. » Elle lui a offert quelques mois de liberté avant d’être repris.
À sa sortie définitive en 2001, le militant indépendantiste basque, membre d’Iparretarrak, organisation armée révolutionnaire indépendantiste au Pays basque nord, fait de sa lutte contre la détention son métier. « Je suis devenu militant anticarcéral dès mon premier jour de prison », affirme-t-il. En détention il passe une licence de droit pour mieux s’armer. En 2001, il devient référent prison pour la Croix-Rouge française. En 2004 il est élu président de l’Observatoire International des Prisons (OIP), poste qu’il occupera pendant 5 années. Pendant un temps, il travaillera également pour Harrera, une structure qui aide au retour des prisonniers et exilés basques au Pays basque nord. Poste qu’il a quitté depuis deux ans.
Son nouveau projet en cours de construction dans une maison de Tarnos — ancien centre des Missions africaines, toute proche du centre communauté Emmaüs, est de créer une ferme de maraîchage qui accueillera en placement extérieur des femmes condamnées à de longues peines. Actuellement en travaux, le lieu permettra à chaque femme de disposer d’une chambre individuelle au sein de la ferme, où elles cultiveront trois hectares en maraîchage bio et assureront la vente de la production sur les marchés tout en bénéficiant d’un suivi individualisé avec des travailleurs sociaux pour leur réinsertion. Le projet est réservé aux femmes avec plus de 5 ans de détention et en fin de peine, avec une priorité accordée pour les personnes que la détention a privées de liens sociaux. L’ouverture est prévue en 2020 avec sept femmes, il est prévu que les capacités d’accueil seront par la suite augmentées progressivement.
Ce parcours de vie hors du commun a fait de lui une personnalité connue sur ses terres natales. S’il affirme n’avoir pas changé de point de vue sur le système carcéral depuis leur première rencontre, son discours officiel a évolué vers une lutte abolitionniste. Pourquoi ce changement de position ? Il sourit : « il y a quelques années, j’ai fait mon “coming-out pénal”. Lors de l’assemblée générale du Génépi dont je suis l’un des membres d’honneur, j’ai dit devant la garde des Sceaux de l’époque, Christiane Taubira : “je suis abolitionniste”. » Auparavant, au vu de ses fonctions dans les différentes institutions il ne s’avouait que : « réductionniste », tout en ajoutant malicieusement : « l’objectif de la réduction, c’est d’arriver au point zéro de l’utilisation de la prison. »
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Retrouvez cet article dans Revue Far Ouest : Courage.
Qu’ils portent de grandes causes ou qu’ils luttent au quotidien pour leur survie, nous avons voulu vous raconter ces courageux et ces courageuses, qui souvent s’ignorent.