Aveugle de naissance, Nicolas est supporter des Girondins de Bordeaux et fréquente assidûment leur stade depuis 1996. Il effectue aussi un certain nombre de déplacements, y compris ceux considérés à risque. Rencontre avec un passionné, qui rejette l’idée de courage personnel et préfère mettre en avant ses copains.
C’est un tremblement, d’abord. Imperceptible presque, si léger, si ténu que l’on doute de l’avoir ressenti. Et puis non, il s’accentue, c’est le siège que l’on voit tressauter, c’est le sol que l’on sent vibrer, c’est la clameur qui paraît sortie des entrailles de la Terre pour gagner celles des hommes, c’est l’ébahissant râle de 30 000 poitrines, leurs cris qui ne font qu’un et parviennent comme une tempête, refluent, reviennent, tanguent, écrasent, reviennent, tanguent et écrasent encore.
C’est l’assourdissement, c’est l’étourdissement, c’est l’incrédulité, ce n’est pas une question de vie ou de mort, non, c’est bien plus que cela ; c’est le football, dans l’une de ses cathédrales. Quartier du Pirée à Athènes, Stade Karaïskakis. 23 février 2010. Nicolas est là, dans ces travées connues pour être parmi les plus chaudes et les plus dangereuses d’Europe, théâtres 19 ans plus tôt d’un drame qui avait couté la vie à 21 supporters.
En cette soirée glaciale, Bordeaux s’impose sur le plus petit score, et le doit à son défenseur central, Mickaël Ciani. Son quart de finale aller de la Ligue des champions est gagné, l’Olympiakos a plié, rompu. Nicolas exulte, au milieu de sa poignée d’amis et de quelques autres irréductibles Ultras girondins venus pousser Gourcuff, Chamakh, Planus et consorts à un exploit improbable tant la ferveur transcende les Grecs, intrinsèquement moyens.
Pour tout supporter, il faut du courage pour venir encourager les siens au stade Karaïskakis. Beaucoup de courage.
« Le courage de mes copains »
Alors maintenant, imaginez. Fermez les yeux. Revivez la même scène. Le grondement animal, la vague qui vous emporte, vous relâche, vous relâche, vous emporte, ne rouvrez pas les yeux, les râles hostiles de 30 000 poitrines, l’assourdissement, l’étourdissement, vous ne pouvez rien voir, seules une main et des voix amies vous guident. L’apogée, la fusion, le stade qui hurle sa rage de perdre un match de cette importance, le tremblement total, absolu, et vous ne pouvez toujours rien voir. Alors ? Alors vous n’avez fait qu’effleurer ce que Nicolas a ressenti ce soir-là.
Ce qui est extraordinaire, c’est que j’arrive à traverser l’Europe en totale sécurité. Et cela, je le dois à un courage, c’est vrai. Mais pas le mien : celui de mes copains.
Car Nicolas est privé de la vue, depuis son enfance. Lui faut-il du courage pour oser pareille expérience ? « Ah non, je ne crois pas. Je n’ai aucun mérite à suivre mon équipe partout, c’est mon équilibre. Je concilie cette passion avec ma vie professionnelle et privée, moi qui suis agent de bar associatif et papa d’une petite fille de neuf ans. Mais ce qui est extraordinaire en revanche, et les proches me le font souvent remarquer, c’est que j’arrive à traverser l’Europe sans trop de difficultés et surtout en totale sécurité. Et cela, je le dois à un courage, c’est vrai. Mais pas le mien : celui de mes copains. Eux ne se posent pas la question de savoir si je suis en situation de handicap ou non, quels sont les obstacles qu’ils vont rencontrer en m’accompagnant… C’est ça qui me rend plus fort. Je m’échappe, je m’évade grâce à eux. »
Une histoire de copains, donc; voilà ce qui résume le mieux la passion qui lie Nicolas au football. Ce sont eux, déjà, ses copains, qui étaient à ses côtés lors de son épiphanie, de sa révélation, un soir de mars, lors de la saison 1996-1997. Lycéen, il entend depuis l’autre côté du vieux Parc Lescure la clameur monter du Virage Sud, où se regroupent les supporters les plus actifs des Girondins de Bordeaux. […]
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Retrouvez cet article dans Revue Far Ouest : Courage.
Qu’ils portent de grandes causes ou qu’ils luttent au quotidien pour leur survie, nous avons voulu vous raconter ces courageux et ces courageuses, qui souvent s’ignorent.