« Nous avions une grande maison en Dordogne. Il est arrivé que l’on sonne chez nous, et que l’on me dise : « Bonjour, est-ce que je pourrais parler au propriétaire ? » ». Doudou, professeur d’anglais à Castillon-la-Bataille, s’amuse de ces anecdotes, qu’il a appris à traiter avec recul et discernement. Sarah et Babacar, deux de ses trois enfants, vivent désormais à Bordeaux où ils étudient. La famille nous reçoit au marché cosmopolite de St-Michel où ils ont leurs habitudes, en un samedi ensoleillé. L’occasion de faire le point sur le parcours de leur famille venue de Dakar, autant que sur des questions identitaires devenues brûlantes en France. La famille se livre, avec sourire et optimisme.
« Mais mon histoire est d’une banalité sans nom ! » s’exclame Doudou. Ce professeur d’anglais a pourtant bien des choses à raconter. Né à Dakar, il y a « quelques dizaines d’années », il a grandi dans un Sénégal à un tournant majeur de son histoire. Ce pays, qui faisait partie de l’empire colonial français était devenu en 1946 un territoire d’outre-mer, avant que les luttes anticolonialistes menées à cette époque en Afrique n’emmènent le pays vers un statut d’autonomie.
L’aboutissement, c’est une déclaration d’indépendance, proclamée le 20 juin 1960. Comme un symbole, c’est le poète national Léopold Sédar Senghor qui devient alors le premier président de la République, et dessine les contours d’un pays aux cicatrices profondes, qui sera l’un des premiers à revendiquer sa « négritude ».
À Dakar, les années 1960 et 1970 se sont révélées être une période charnière. Doudou se souvient : « Le quartier du Plateau, à Dakar, c’était le quartier des Français chics. Progressivement, une partie des Sénégalais, ceux que l’on pourrait appeler les indigènes, se sont implantés dans le quartier de la Médina, qui était lui un quartier très populaire. »
C’est ici que Doudou a grandi. Avec beaucoup d’affection, il évoque le souvenir de son grand-père, un comptable officiant occasionnellement en tant qu’Imam à Dakar, qui lui offrira un cadeau que Doudou n’oubliera pas : sa première clarinette. « Mon grand-père était un érudit de l’Islam, et c’est amusant de le signaler, c’est avec lui que j’ai fêté mes premiers Noëls. Je crois qu’il a eu la première voiture de la Médina. Nous habitions dans une maison en pierre, un peu semblable à la maison que nous acquerrons ici plus tard. Et il y avait un pied de vigne aussi, c’est marrant. Comme si c’était un présage », raconte-t-il, le sourire aux lèvres.
Pourtant, à l’époque, Doudou et les siens sont parfois considérés comme des Sénégalais un peu à part, à cause de leur rang social et de leurs influences. « On nous traitait parfois de toubabs. Nous avons appris la culture française très tôt. Mon grand-père me parlait en français, parfois. Surtout quand il était en colère. La langue de l’autorité, déjà » s’amuse-t-il. […]
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Retrouvez cet article dans Revue Far Ouest : Courage.
Qu’ils portent de grandes causes ou qu’ils luttent au quotidien pour leur survie, nous avons voulu vous raconter ces courageux et ces courageuses, qui souvent s’ignorent.