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Mardi 25 février 2020
par Laurent Perpigna Iban
Laurent Perpigna Iban
Il travaille principalement sur la question des nations sans états, des luttes d'émancipation des peuples aux processus politiques en cours, des minorités, et des réfugiés. Il est souvent sur la route du proche et du moyen Orient pour son site Folklore du quotidien.

Oumou Baldé semble infatigable. Cette Guinéenne de 31 ans, installée en France depuis 2009, est sur tous les fronts. Celui des stades de football où elle a réussi à se faire une place dans le corps arbitral puis en tant que Déléguée, mais également sur ceux du théâtre et du cinéma, qui lui ont permis de bâtir un pont avec son pays d’origine. Rencontre.

Chaque histoire à son point de départ. Celle d’Oumou Baldé débute en 1989 à Labé, une ville du nord de la Guinée Conakry. À l’heure d’évoquer ses souvenirs d’enfance, la jeune femme marque un temps d’arrêt, puis lance avec assurance : « Moi, c’était le football ! » Comme s’il s’agissait d’une évidence. De sa jeunesse guinéenne, Oumou garde en mémoire ses interminables parties de ballon, disputées avec ses frères sur des terrains artisanaux où l’imaginaire est au moins aussi important que la conduite de balle.

C’est sur ces domaines réservés qu’elle va aiguiser son caractère, dans un pays où le football ne se conjugue pas au féminin : « C’était très mal vu qu’une jeune femme musulmane joue au football avec des garçons. Si j’ai subi de nombreuses remontrances, j’ai tout de même eu la chance d’être issue d’une famille instruite, qui ne m’a pas empêchée de faire ce que j’aimais, ni à ce moment ni plus tard dans ma vie », confesse-t-elle.

Des embûches, la jeune femme va néanmoins en trouver sur son chemin. Ce n’est alors qu’une gamine comme tant d’autres, qui rêve de théâtre, de cinéma et surtout de ballon rond. L’absence totale de perspectives en la matière — le football féminin n’existant qu’à l’état embryonnaire en Guinée — va la convaincre à l’adolescence de prendre la tangente. Là où beaucoup auraient renoncé, Oumou décide en 2004 de se tourner vers l’arbitrage. Le destin lui donne alors un coup de pouce : un arbitre international vit à quelques kilomètres de son domicile. Elle part à sa rencontre. Une entrevue qui sera décisive.

Portrait de l'arbitre guinéenne Oumou Baldé
Oumou Baldé est né en Guinée Conakry — Photo : Laurent Perpigna Iban

Sifflet au bec, Oumou ne tarde pas à faire ses classes, bien décidée à se faire respecter. « Évidemment, là aussi, j’ai rencontré de grandes difficultés. Une femme en short, en train de courir devant tout le monde et de donner des ordres, c’était plutôt mal vu », rapporte-t-elle, hilare. « Mais c’est ce que je voulais faire, alors je l’ai fait. »

Elle ne le cache pas : du bord du terrain, les noms d’oiseaux fleurissent. Peut-être encore davantage quand c’est une femme qui est au sifflet. Pourtant, Oumou Baldé ne va pas se décourager. Elle gravit un à un les échelons, gagne Conakry, la capitale, et devient arbitre fédérale. « J’ai fini par arbitrer les matchs de Ligue 1 guinéenne. Nous étions sept femmes à officier, les pionnières de l’arbitrage féminin en Guinée. » Peu à peu, le regard porté par les joueurs et par les spectateurs change : « Au début, personne ne voulait de moi, mais au fil des mois, j’ai fini, comme les autres femmes arbitres, par être réclamée : nous avions la réputation d’être moins corrompues que les hommes », s’amuse-t-elle.

Un sentiment de fierté anime la jeune femme. Pourtant, elle se montre très réticente à ce que sa famille vienne la soutenir depuis les gradins guinéens. Les propos insultants envers le corps arbitral, eux, n’ont pas cessé : « On ne m’insultait pas moi directement, on insultait souvent ma mère pour me déstabiliser. Alors, dès que je touchais des primes je lui offrais des cadeaux, parce que c’était elle qui était insultée. »

En France, l’intégration par le football

En 2009, Oumou Baldé arrive en France, afin de rejoindre son compagnon, Amadou Diallo. Footballeur professionnel, il partage cette passion du ballon rond avec elle. Les deux se connaissent depuis leur enfance. Lui évolue alors en Normandie, dans le club de Granville, après un passage par le Gazelec d’Ajaccio ainsi que le Stade lavallois.

Son intégration en France, elle en parle encore avec émotion : « J’ai rencontré des personnes incroyables, qui m’ont aidé sans rien attendre en retour. J’ai signé presque immédiatement à Granville. Le club a fait les démarches afin de récupérer mes dossiers d’arbitrage, puis ils les ont transmis à la Ligue. Très vite, ils m’ont demandé d’arbitrer un match de PH ; le week-end suivant, un autre de DH. Tout cela alors qu’il n’y avait pas de femme arbitre en Basse-Normandie. » L’arbitre français Mikael Lesage va devenir son mentor : tous les 15 jours, il se rend en Normandie afin de former Oumou afin qu’elle puisse officier en CFA. « Le football a été le vecteur de mon intégration en France. Quand tu arrives de Guinée et que tu arrives ici, tu es éblouie. Les infrastructures, les personnes… Et puis le peu d’insultes envers ma mère, aussi… »

L'arbitre Oumou Baldé en bord du terrain.
« Les statistiques montrent que la Guinée est le deuxième pays demandeur d’asile en France. C’est cette histoire que j’ai voulu raconter » — Photo : Laurent Perpigna Iban

Amadou Diallo ne tarde pas à prendre sa retraite. Ensemble, ils déménagent à Bruges, où le désormais ex-footballeur monte une affaire avec un ami. Oumou, elle, signe une licence d’arbitre avec les Girondins de Bordeaux et officie dans des matchs de DH, puis de CFA en tant qu’arbitre de touche. Début 2019, à la suite de quelques complications de santé, elle arrête l’arbitrage. Mais hors de question de s’éloigner des terrains pour autant. La jeune femme occupe désormais le poste de Déléguée : « Mon but, c’est d’aller encore plus haut, et de contourner les difficultés que je rencontre. J’ai un objectif, et je vais me battre pour. »

Au carrefour des cultures

Oumou Baldé en est consciente : si le football lui a permis de s’intégrer rapidement en France, tous les Guinéens qui arrivent n’ont pas cette chance, loin de là. En 2017, elle crée le Carrefour des cultures, une association domiciliée à Bruges, qui se donne pour objectif de promouvoir la diversité. Suivie par le Département de la culture de Gironde dans le cadre du dispositif PLACE, la structure devient, par la force des choses, de plus en plus humanitaire : « Nous tentons d’aider les Guinéens qui sont dans le besoin, en les aidant parfois dans leurs démarches administratives. Quand je vois la situation de mes compatriotes ici, je ne peux pas rester les bras croisés. Je dois les aider. »

L’exode des jeunes guinéens et les problèmes que cette émigration massive soulève en Guinée — autant pour les candidats au départ que pour ceux qui restent — sont au centre des préoccupations d’Oumou. Face à un phénomène qui s’est développé de manière exponentielle ces dernières années à la faveur de la crise politique et sociale qui fait rage dans le pays, les solutions viennent à manquer. Afin de documenter cette situation, elle décide il y a deux ans de se lancer dans la réalisation d’une fiction documentaire. Une manière aussi de rattraper sa deuxième passion, le cinéma. « J’avais contacté des maisons de production. Toutes étaient réticentes, à cause des coûts : mon scénario imposait de nous rendre en Afrique. J’ai contacté l’Observatoire International des Migrations (OIM), ils étaient intéressés, mais le dossier n’a finalement pas avancé. J’ai frappé à toutes les portes, tout en mettant de l’argent de côté, au cas où », rapporte-t-elle.

Je vais continuer à frapper à toutes les portes, dans le cinéma, le football, le théâtre…
Des portes souvent fermées, mais il faut lutter pour les ouvrir.

Son projet : retracer le destin de deux groupes d’amis qui tentent, chacun à sa manière, de survivre. Un d’entre eux décide de tenter la traversée vers l’Europe, l’autre décide de rester en Guinée. « C’est un docu-fiction sur l’immigration, surtout sur les causes des départs et sur les conséquences là-bas. Il y a des familles qui vendent tous leurs biens afin de financer le départ de l’un des leurs. Des familles qui se retrouvent à la rue, sans rien. Et ce n’est pas anodin : les statistiques montrent que la Guinée est le deuxième pays demandeur d’asile en France. C’est cette histoire que j’ai voulu raconter », explique Oumou Baldé.

Faute de financeurs, et lasse d’attendre, elle prend les devants. Après avoir rassemblé ses économies, elle s’entoure d’une équipe technique guinéenne, et se lance dans la réalisation du long-métrage. Le travail est titanesque, mais rien, ou presque, n’effraie Oumou, qui tient par ailleurs un rôle dans son film. Plusieurs mois de tournage plus tard, c’est avec une immense satisfaction qu’Oumou Baldé vient à bout de son projet : « L’Europe à tout prix ».

« Quand j’ai présenté mon film, en Guinée, j’ai fait la tournée des plateaux télé. Lors de sa diffusion au centre culturel franco-guinéen, la salle était bondée. Il y avait des personnes de l’Union européenne, de l’ambassade de France, de l’OIM. Ce film a touché ceux qui l’ont vu. Quant au message critique qu’il délivre sur les autorités du pays, il n’a pas plu à tout le monde », raconte-t-elle

Ouvrir les portes

Il faut dire que les difficultés rencontrées par la population en Guinée sont nombreuses, et que le manque absolu de perspectives maintient le pays tout entier dans l’impasse. Le Président, Alpha Condé, jugé par de nombreux Guinéens comme responsable de l’enlisement du pays, tente actuellement de modifier la constitution afin de pouvoir briguer un troisième mandant, à 81 ans. Résultat, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues du pays lors des derniers mois de l’année 2019 — des manifestations qui ont déjà été marquées par une trentaine de morts du côté des protestataires. « Ils essayent de monter les différentes ethnies les unes contre les autres ; la majeure partie de la population est analphabète, ce qui leur facilite la tâche sur le plan de la manipulation. Les gens qui détiennent le pouvoir ne pensent qu’à s’enrichir », explique-t-elle.

Les mains croisées d'Oumou Baldé, arbitre guinéenne.
Oumou Baldé veut continuer à faire passer son message — Photo : Laurent Perpigna Iban

Oumou, si elle reste attentive à la situation en Guinée, continue son bout de chemin sur les bords de la Garonne. Et elle ne manque pas de projets ni d’ambition. En attendant de l’apercevoir sur les bords d’une pelouse de Ligue 1 française en tant que Déléguée, elle sera à l’écran à l’occasion d’une série tournée pour TF1 ; son film, lui, a été adapté en conte théâtral, où elle tient un rôle.

Mais elle l’assure : rien n’est simple pour autant. « Financièrement, j’ai dépensé jusqu’au dernier centime que j’avais pour la réalisation du film. Mais mon objectif n’était pas de faire de l’argent, je voulais surtout que le message puisse passer. Et j’ai été très touchée quand en Guinée, lors d’une diffusion, j’ai vu une volontaire de l’UE en train de pleurer pendant le film. Cela signifiait que je touchais au but. Maintenant, je vais continuer à frapper à toutes les portes, dans le cinéma, le football, le théâtre, ou pour mon association. Des portes souvent fermées, mais il faut lutter pour les ouvrir », conclut-elle.

Laurent Perpigna Iban
Il travaille principalement sur la question des nations sans états, des luttes d'émancipation des peuples aux processus politiques en cours, des minorités, et des réfugiés. Il est souvent sur la route du proche et du moyen Orient pour son site Folklore du quotidien.
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