Pendant que certains occupent leur temps libre à donner des coups de pied dans un ballon de foot ou à peindre des tableaux, Didier Gomez préfère recueillir les témoignages de rencontres du troisième type. Portrait d’un homme qui a la tête dans les nuages, mais aussi sur les épaules.
Courir après les ovnis est une occupation chronophage. Didier Gomez en sait quelque chose, lui qui a passé une vingtaine d’années à enquêter dans le Tarn, à la recherche des petits hommes verts. Ce mordu d’ufologie a longtemps consacré son temps libre à répertorier les manifestations d’ovni, un terme qu’il utilise peu. « C’est trop restrictif selon moi. Je préfère parler d’apparitions, car ce ne sont pas forcément des objets. Ils ne sont pas nécessairement volants non plus d’ailleurs », rectifie l’ufologue.
Le passe-temps de Didier pourrait prêter à sourire. Pourtant, cet enquêteur établi dans le Tarn, mais d’origine ariégeoise, confie tomber rarement sur des plaisantins. Pris au sérieux, il a même fini par nouer des liens étroits avec les journalistes de La Dépêche du Tarn et différentes brigades de gendarmerie du département.
Les premiers l’ont laissé exploiter leurs archives et les seconds en font leur interlocuteur privilégié en matière d’apparitions étranges. « Ils demandent aux gens si ça ne les dérange pas d’être mis en contact avec “Planète ovni”, l’association qu’on avait créée avec d’autres ufologues dans le Tarn. Après, j’essaie de les rencontrer. Il faut savoir qu’ils ne mentent pas sur les apparitions qu’ils ont aperçues. Au cinéma, quand tu vois des zombis, ils n’existent pas. Mais l’expérience tu l’as vraiment vécue. Eh bien eux, c’est pareil ! »
Une fois informé d’un cas, sa traque peut commencer. Pour ce facteur de profession, l’ufologie ne s’improvise pas et demande minutie et méthodologie. Ce passionné, écoute beaucoup, questionne à volonté et cherche systématiquement une explication rationnelle. Bien souvent, il la trouve. « Tu vois dans ce cas, les témoins avaient tout simplement vu une boule de foudre, un phénomène naturel », montre Didier en parcourant son livre, 50 ans d’enquêtes dans le Tarn.
Parfois, c’est plus complexe. Il faut alors recouper, appeler l’aviation civile, les aérodromes et interroger les témoins plusieurs fois dans le temps pour s’assurer de la véracité de leur histoire. « Mon livre m’a pris quatre ans et demi d’écriture. Je menais toujours différentes enquêtes en parallèle, certaines peuvent prendre six mois. »
Didier ne lâche rien. Comme la fois où il a retrouvé un joueur de foot tarnais qui, quelques années auparavant, avait déclaré aux journalistes locaux avoir aperçu un objet triangulaire grimé de traits de guêpes. « Au début, il ne voulait pas témoigner parce qu’il avait peur qu’on le prenne pour un fou. » Pour le retrouver, l’ufologue a dû ruser et passer par le président de son club pour obtenir le contact du footballeur. Après une enquête méticuleuse étalée sur plusieurs mois, il ne réussit pas cette fois-ci à trouver une origine à cette apparition qui reste mystérieuse et inexpliquée.
Les nations nucléaires comme la France et les États-Unis sont celles qui sont les plus sujettes à ces apparitions. Ce n’est pas un hasard.
Il n’en a peut-être pas conscience, mais Didier possède deux atouts facilitant son travail : une bonhomie naturelle et une bouille franchement sympathique. Alors les gens se confient : « Généralement, ils m’accueillent bien. » Même si cela l’aide dans ses enquêtes, cela ne résout pas tout. À défaut de trouver des ovnis, il tombe parfois sur un os, comme dans le cas du footballeur et des ovnis triangulaires. « Il y a environ 10 % de cas pour lesquels je n’arrive pas à trouver d’explications. »
Des extraterrestres écocompatibles ?
S’il ne peut expliquer toutes les apparitions, Didier Gomez a une piste les concernant. Pour lui, pas de petits hommes verts venus détruire l’humanité, coloniser la Terre ou passer du temps avec un petit garçon américain. Rien de tout ça. Paradoxalement, même s’il a consacré une partie de sa vie aux extraterrestres, Didier Gomez doute de leur existence. « Les témoins les ont vraiment vus. Mais je ne crois pas qu’ils existent réellement. »
Didier Gomez a une autre explication. Pour l’ufologue, le phénomène a toujours existé et n’est qu’un prolongement des légendes et croyances, variables selon l’époque et le lieu. Parfois, il s’agissait de petits lutins, de trolls. D’autre fois de dames blanches, des fantômes ou du Drac, un démon issu du folklore occitan. Désormais, il s’agit de soucoupes volantes. « Selon moi, ce sont des signes, comme ceux laissés dans les champs. Et moi, c’est la symbolique de tout ça qui m’intéresse. »
Didier Gomez lie ces apparitions à la dégradation de la Terre, elles ne seraient rien de moins que des messages de notre planète pour nous alerter. Les extraterrestres, des militants écologistes ? « Dans chaque témoignage que je recueille, les témoins ne font pas qu’une simple description, ils mettent en avant ce que les extraterrestres ont fait et ont dit. Et il y a toujours un côté écologiste autour de la nature. On retrouve ça aussi dans le message de la Vierge à Fatima, à Lourdes… C’est pareil ! » Tout est lié.
Pour le Tarnais, ces messages envoyés par la Terre sont donc une mise en garde, principalement tournée contre le nucléaire et les dangers qu’il fait courir à l’humanité. Après des années à recueillir des témoignages, il remarque que de nombreuses apparitions d’ovni sont proches de sites nucléaires. Selon certains témoins, le sujet est aussi parfois abordé par les extraterrestres eux-mêmes « Les nations nucléaires comme la France et les États-Unis sont celles qui sont les plus sujettes à ces apparitions. Ce n’est pas un hasard », argumente l’ufologue. « Le phénomène extraterrestre est d’ailleurs apparu après le projet Manhattan et le développement atomique. »
Cette interprétation de ce phénomène l’éloigne d’une partie de la communauté d’ufologues qui croit dure comme fer à l’existence des ET et à leur représentation classique. Il souffle : « C’est difficile d’avoir des débats avec ceux qui sont persuadés que ce sont des petits hommes verts s’ils ne sont pas ouverts au débat. » Car s’il n’est pas seul à partager cette vision, Didier Gomez et les siens restent minoritaires. « J’essaie d’éviter les querelles de clocher, tout en laissant une place au doute. Si c’était si simple, on aurait trouvé une explication depuis longtemps de toute façon », pense l’Ariégeois.
Vague belge et déclic
Cette passion a débuté assez simplement. « À 18 ans, je regardais des témoignages d’apparitions extraterrestres sur la 5 et j’ai été fasciné », raconte-t-il. Contrairement à nombre de ces confrères, il n’a pas été témoin d’une de ces apparitions avant de se lancer dans l’ufologie. Son moteur à lui, c’est la curiosité. Elle a d’abord été alimentée par les émissions autour de la fameuse « vague belge ». De 1989 à 1991, de nombreux Belges déclarent avoir vu des ovnis, principalement de formes triangulaires. Plus de deux mille observations en deux ans tout de même. « Je me demandais si c’était explicable et pourquoi on en parlait autant. »
Je suis cartésien, mais j’essaie d’être le plus neutre possible.
À cette période, Didier Gomez se rend sur Paris pour le concours des PTT. Concours en poche, le facteur se meut peu à peu en ufologue. Sa profession facilite sa passion : au cours de ses tournées, il lui arrive d’échanger sur le sujet avec des témoins. En 1993, il se jette à l’eau et lance le magazine UFO Mania, un nom qui renvoie à « Unidentified Flying Object », l’acronyme d’ovni en anglais. Ce trimestriel consacré aux apparitions extraterrestres devient très vite « une partie énorme » de sa vie, « vingt-deux ans » pour être précis.
Vendu autour de 6,5 euros pour une quarantaine de pages dédiée à la littérature, les controverses et l’actualité ufologique, UFO Mania est tiré à plus de trois cents exemplaires à son apogée. Une fierté, mais surtout une énorme responsabilité pour un homme qui doit gérer seul la parution et l’édition de ce trimestriel. Dès sa conception UFO Mania est un magazine éclectique ne s’interdisant pas de traiter des méthodes permettant d’éviter un enlèvement Alien ou d’une potentielle origine divine des ovnis alors que son fondateur n’y croit pas. « Je suis cartésien, mais j’essaie d’être le plus neutre possible. Je n’exclus pas le reste, mais tu verras peu de têtes d’extraterrestres en parcourant les pages », résume-t-il en sortant un tas d’anciens numéros de la revue.
« Je suis même passé à la télévision moldave ! »
Depuis 2015, l’ufologue à la barbe grisonnante fournie et aux cheveux longs a fait un choix radical : passer moins de temps à chasser l’extraterrestre. La livraison de courriers est également de l’histoire ancienne. Finies les tournées, le postier est devenu secrétaire départemental du syndicat Sud, toujours pour les PTT. Cela peut surprendre, mais malgré son engagement syndicaliste, il confesse ne pas être « très engagé politiquement ». Il reconnaît tout de même être intéressé par l’écologie et faire attention à son impact pour la planète.
De plusieurs heures par jour dédiées à cette occupation, il ne s’y intéresse plus que deux ou trois heures par semaine. « Je rentrais chez moi et je pouvais travailler sur l’ufologie de 21 h à 1 h du matin. Je me suis investi pleinement dans cette passion. » Peut-être un peu trop. Après des années à dédier son temps libre aux extraterrestres, il le passe dorénavant avec les membres de son groupe de rock. Didier avait besoin de faire un break et surtout de dépenser son énergie dans d’autres projets. « Lâcher un peu les ovnis me permet de me consacrer à d’autres choses, comme la marche et la musique. Dans deux mois, on sort un album de compositions en anglais », annonce fièrement le guitariste.
Mais Didier a beau s’être mis en retrait, l’ufologie est toujours très présente dans la vie de cet hyperactif. On ne se refait pas. Son troisième livre sur les liens entre nucléaire et apparitions extraterrestres est en cours d’écriture. Difficile de lâcher une lubie aussi dévorante. De toute façon, Didier Gomez est encore invité à animer des conférences.
En octobre prochain, il hésite à accepter une invitation pour une rencontre ufologique à Montréal. Peut-être qu’il s’y rendra, peut-être pas. L’ufologue n’a pas encore décidé. Mais à force de fréquenter les conférences, sa notoriété a largement dépassé le Sud-ouest. « Je suis même passé à la télévision moldave ! », s’enorgueillit cette figure de l’ufologie. Et il en est convaincu, cette passion pour l’étrange durera encore longtemps : « Je continuerai à me passionner pour le sujet jusqu’à 90 ans. »