Dans le Labourd, région frondeuse et prospère, la chasse aux sorcières a fait rage. Entre accusations, tortures et procès tronqués, environ 80 femmes meurent à cause de leur indépendance et de leur culture basque.
Un sujet PopEx (France 3 Nouvelle-Aquitaine), incarné par Hermine Costa.
Aujourd’hui, nous allons nous replonger dans l’une des pages les plus sombres de notre histoire néo-aquitaine. Ça se passe ici au Pays basque, entre les terres et le littoral. Il y a un peu plus de 400 ans, environ 80 femmes accusées de sorcellerie sont brûlées vives.
Nous sommes au XVIIème siècle. À cette époque le Pays basque est une région qui s’enrichit notamment grâce au commerce de fourrure avec les autochtones du Canada. Mais c’est aussi une région particulièrement frondeuse et pas vraiment soumise à l’autorité du « bon roi » Henri IV.
Alors il va décider de les mater… Et sa stratégie c’est de prendre le prétexte de la sorcellerie. Ça tombe bien, il y a des rumeurs de plus en plus nombreuses sur les mœurs peu catholiques des femmes basques. Henri IV envoie donc un juge pour rétablir l’ordre dans le Pays basque.
Sa mission officiellement est de « purger le pays de tous les sorciers et sorcières sous l’emprise des démons ». Ce juge, c’est Pierre de Lancre.
En seulement quelque mois, il condamne au bûcher entre 60 et 80 personnes. Principalement des femmes, mais aussi des enfants, quelques hommes et notamment des prêtres. Cette chasse aux sorcières prendra fin avec le retour des marins partis commercer au Canada. Ils mettront un terme au massacre de leurs femmes.
Le souvenir de cette chasse aux sorcières est encore très présent dans la mémoire basque. Chaque année, à Ciboure, on célèbre le shorgin gaua, « la nuit des sorcières ». Une fête traditionnelle de février, en l’honneur de la mémoire de ces femmes massacrées.
Pour raconter cette histoire, rendez-vous avec Luna, une sorgina.
C’est quoi une sorgina ?
Sorgina c’est le mot basque pour désigner les sorcières, mais littéralement ça signifie « faire naître » et moi je suis une « doula »… Cela veut dire que j’accompagne des femmes dans leur grossesse et leur accouchement.
Ici, on est sur le port de Saint-Jean-de-Luz, c’est ici que Pierre de Lance arrive dans le Pays basque. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Alors déjà il faut bien comprendre qu’il arrive avec l’idée d’en découdre avec cette province très indépendante, mais aussi très riche sur le littoral (l’intérieur des terres est encore pauvre à cette époque). Et quand il arrive, il n’y a presque que des femmes dans le Labourd, c’est le nom de la région. Eh oui à ce moment-là, 5000 hommes basques sont partis commercer avec le Nouveau Monde, donc il y a quasiment que des femmes. Et toutes ces femmes sont donc très indépendantes, elles ont des responsabilités politiques, ce qui d’ailleurs est tout à fait commun dans la culture basque. Mais, Lancre, lui il y voit une première anomalie… On peut même se demander s’il ne leur reproche pas leur aspect trop basque.
Mais c’est peut-être pas une raison pour toutes les tuer …?
Alors déjà rien que ça, ça énerve le juge, on est au XVIIème siècle et voir des femmes qui ont leur mot à dire dans la cité c’est presque choquant. Mais en plus ces femmes, elles parlent basque et pas français… Là, le juge y voit une provocation. Et puis Lancre entend dire qu’elles ont la connaissance des plantes, qu’elles organisent ou participent à des soirées dans des grottes ou des forêts à l’occasion de la fête de sabbat… Et là le magistrat y voit clairement la marque du diable, assez pour les accuser de sorcellerie et les envoyer au bûcher.
Mais ces femmes… Elles ont été tuées, comme ça, sans procès ?
Alors si, il y avait des procès… Et même de très grande envergure. Les écrits mentionnent qu’entre 400 et 500 témoins ont été auditionnés dans le cadre de cette affaire. Souvent, c’était l’occasion de régler certains différends, il y a eu sans doute eu des mensonges, des accusations à tort… Des enfants pauvres des terres sont payés pour dénoncer de riches bourgeoises du littoral.
Pierre de Lancre utilise constamment les services d’une très jeune sorcière repentie, La Morguy. Son rôle consistait à trouver la marque du diable sur le corps des accusées. Les interrogatoires se font sous la torture. La Morguy était experte en la matière. C’est elle qui pratiquait le test de l’aiguille : elle enfonçait une longue aiguille dans plusieurs endroits du corps de la suppliciée, le point indolore étant l’endroit où se trouvait la marque du Diable.
Autre point : de Lancre avait fait appel à un traducteur pour les procès, car les accusées étaient majoritairement bascophone. Seulement, ledit traducteur n’était autre qu’un noble basque, très hostile à cette bourgeoisie enrichie et donc très favorable à cette chasse aux sorcières… autant dire que les dés étaient pipés dès le début et on peut même se demander si les traductions étaient exactes.
Les sorcières n’ont pas d’avocat et ne peuvent pas faire appel. Et puis faut bien s’imaginer qu’il suffisait qu’une femme accusée reconnaisse soigner par les plantes, pratiquer la cartomancie ou participer à des fêtes de sabbat pour qu’elle soit reconnue coupable…