Très médiatisé, mais encore peu reconnu, le burn-out toucherait aujourd’hui plus les femmes que les hommes. Créée pour accompagner et sensibiliser, l’association L’Burn propose ‘‘d’enfiler les lunettes du genre’’ sur cette question.
Le 28 mai 2019, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a officiellement reconnu le burn-out comme un « phénomène lié au travail », lui accordant ainsi une plus grande importance et peut-être une meilleure prise en charge. À l’heure actuelle, le burn-out n’est pas reconnu par l’organisme comme une maladie, contrairement aux attentes de multiples associations. Néanmoins, cette classification n’empêche pas une éventuelle prise en charge par l’Assurance Maladie selon certaines conditions.
De manière générale, l’origine des discordes autour du burn-out porte sur la définition de celui-ci, la prévention des risques, la prise en compte de tous les facteurs, et l’accompagnement.
J’avais fini par admettre de façon totalement irrationnelle que j’allais mourir de fatigue au travail.
Mais c’est également dans ce cadre très théorique que se jouent des histoires humaines et personnelles, ainsi que de véritables enjeux sociaux. C’est en tout cas ce que souhaite mettre en avant Anne-Sophie Vives, fondatrice du collectif Les Burn’ettes et de l’association L’Burn. Rencontrée dans un café bordelais, l’ancienne notaire de 37 ans raconte son histoire avec aplomb et bienveillance.
Le burn-out au féminin
« Il y a deux ans, j’ai fait mon propre burn-out. J’étais notaire assistant depuis 10 ans, j’avais deux enfants en bas âge. Je travaillais sans relâche, sans compter mes heures, tout en m’occupant tant bien que mal de ma famille. Mon corps me lançait de partout, mais je n’avais pas le choix, je devais tenir. J’avais fini par admettre de façon totalement irrationnelle que j’allais mourir de fatigue au travail. Et après l’annonce d’un énième problème de santé, c’était trop. J’ai perdu la mémoire immédiate. J’ai explosé en plein vol. Je suis passé de Superwoman à Superlooseuse, du jour au lendemain. J’étais clouée dans mon canapé, et me suis sentie vraiment seule face à l’incompréhension et l’impuissance de mes proches. C’est à ce moment-là que j’ai pu constater la prise en charge complètement lacunaire du burn-out. » C’est ainsi qu’Anne-Sophie raconte la genèse de son projet.
Après avoir surmonté sa propre expérience, elle a souhaité monter un groupe à destination des femmes victimes de burn-out : la communauté des Burn’ettes. Depuis, le projet n’a cessé de croître et d’évoluer.
« Nous avons créé l’association L’Burn au mois de février (2019). Nous proposons surtout des groupes de paroles, essentiels pour échanger de façon décomplexée, en collaborant souvent avec des professionnels extérieurs. La plupart de nos adhérentes ont vécu leur ancien travail comme une expérience traumatique, et se posent de nombreuses questions sur leurs recours et la reconversion. Récemment, nous avons également lancé les “Afternowork“. Un moyen un peu décalé de se retrouver dans un cadre moins formel et d’assumer le fait que nous ne bossons plus, parce que nous avons pété un câble. Enfin, nous proposons des accompagnements individualisés. »
Un des projets à long terme d’Anne-Sophie serait de monter un local pluridisciplinaire permettant une prise en charge complète et personnalisée, de la survenue du burn-out jusqu’à la reconversion professionnelle.
S’intéresser spécifiquement à la population féminine pour parler du burn-out peut surprendre et questionner, mais la volonté de l’association n’a rien d’anodin. Tout d’abord, car les femmes seraient plus touchées par l’ensemble des affections psychiques au travail, dont le burn-out d’après un rapport publié en 2018 par l’Assurance Maladie. Mais ces chiffres sont à nuancer, car ils s’appuient sur d’anciennes définitions qui ont pu évoluer.
‘Il suffit de comparer les chiffres de cabinets privés comme Technologia ou Stimulus avec les rapports de l’INRS et la Haute Autorité de Santé pour se rendre compte de l’incohérence des données entre elles. Les premiers parlent de 3,2 millions de personnes à risque de burn-out, alors que les seconds n’en comptent que 100 000. Les proportions ne sont pas du tout similaires, parce que les critères et les définitions sont très variables. Néanmoins, nous observons presque systématiquement une prédominance des femmes’ affirme Anne-Sophie.
Un constat reconnu par Lise Lenain, psychologue du travail et fondatrice du Cabinet Pamplemousse, qui a ses propres avis sur la question. ‘Tout d’abord, le mot burn-out me gêne un peu. À la base, il s’inscrit dans un tableau clinique très spécifique, différent de celui de la dépression par exemple. Mais il est de plus en plus utilisé comme mot fourre-tout à la mode, ce qui peut conduire à une banalisation du problème. En conséquence, le burn-out est résumé en une fragilité individuelle. Il est sous-entendu que les individus n’ont pas su s’adapter aux exigences de travail qui lui sont imposées.’
L’origine du burn-out, c’est avant tout l’articulation du travail avec ses autres sphères de vie. Et aujourd’hui, la femme a une injonction sociétale à embrasser le plus de sphères possible.
La psychologue redoute notamment qu’une reconnaissance du burn-out en tant que maladie professionnelle renforce cette culpabilisation des victimes. En théorie, la procédure permettrait une prise en charge plus large et plus rapide des cas de burn-out, mais pour Lise Lenain, cela reviendrait à rejeter la faute sur l’employé considéré comme malade, et non sur l’entreprise qui impose des conditions désastreuses. ‘Il est surtout primordial de lutter contre les organisations pathogènes. Alors évidemment, il est nécessaire que les personnes déjà touchées aient un levier juridique. Cependant, nous ne pouvons pas traiter le problème qu’a posteriori. Ce n’est pas si compliqué de l’éviter. J’ai peur qu’une reconnaissance donne l’impression d’avoir gagné le combat en évitant le réel sujet.’
Pour faire genre
Sur la question féminine, Lise Lenain avoue ne jamais s’être réellement posé la question, mais concède qu’il peut y avoir une surreprésentation des femmes victimes de burn-out. ‘Tout d’abord, les femmes vont plus avoir tendance à en parler. Elles communiquent plus facilement leurs états internes et consultent plus aisément, ce qui impacte la proportion à être diagnostiquée. Socialement, les hommes dans le milieu professionnel auront plus tendance à tout enfouir sans rien communiquer, jusqu’au point de rupture totale.’ Les constructions sociales genrées viennent jouer un rôle déterminant dans ces écarts statistiques.
‘L’origine du burn-out, c’est avant tout l’articulation du travail avec ses autres sphères de vie. Et aujourd’hui, la femme a une injonction sociétale à embrasser le plus de sphères possible. Ce sont en tout cas des schémas intégrés, donc un terrain plus propice au burn-out. Pour montrer que nous sommes capables, nous allons nous ajouter des charges jusqu’à ce que le corps dise stop. La charge mentale grossit jusqu’à ce que ce ne soit plus possible.’
Travaillant essentiellement avec des organisations, Lise Lenain a par ailleurs pu constater qu’un des postes les plus couramment touchés par le burn-out est le manager intermédiaire. Une fonction souvent occupée par des femmes. ‘C’est un poste au carrefour de la stratégie de l’organisation et de la déclinaison opérationnelle sur le terrain. Donc un tampon entre la direction et les employés, ce qui génère beaucoup de conflits et des distorsions incroyables entre la vision du métier et sa réalité.’
Pour la fondatrice de la communauté des Burn’ettes, Anne-Sophie, c’est avant tout la différence d’expérience qui l’a menée à créer le collectif. ‘J’ai pu constater que, de manière générale, les femmes parlent du burn-out très différemment des hommes. Lors de ma propre expérience, mon accouchement m’a été reproché et j’ai vécu de nombreuses injustices : des inégalités professionnelles, une difficulté à devenir associée malgré mon investissement, une culpabilisation à moins bien m’occuper de mes enfants, à gérer ma vie de couple… Le résultat est similaire, mais les problématiques sont différentes. La culpabilisation force une approche différente de la reconstruction chez les femmes.’
Projets et débats
En faveur d’une meilleure reconnaissance et d’une prise en charge améliorée du burn-out, l’association L’Burn cherche également à se réapproprier cette question des exigences du genre pour l’élargir au-delà du cadre professionnel.
‘Bien sûr que le burn-out concerne autant les hommes que les femmes, mais je souhaitais faire passer un message spécifique : il y a des facteurs aggravants à l’épuisement. Il existe une pression au sein des entreprises, mais elle est également sociétale, familiale… Nous parlons de charge mentale aujourd’hui, parce que les femmes doivent encore gérer la majorité des tâches parentales et ménagères, en plus d’un travail peu valorisé.’
Pour réfléchir à ces problématiques et apporter des solutions concrètes, le collectif organisait le 4 juin sa première conférence autour du ‘Burn-out des femmes’, afin d’évoquer ses spécificités en présence de plusieurs expertes. Proposant ‘d’enfiler les lunettes du genre’, selon les mots d’une intervenante, l’événement a permis de confirmer l’engouement du public local pour cette problématique, ayant fait salle comble.
Anne-Sophie Vives et sa communauté ne comptent pas s’arrêter là, et travaillent d’ores et déjà avec des représentants locaux et gouvernementaux pour que chacun, femme comme homme, puisse être accompagné au mieux dans sa reconstruction.
« J’ai eu la chance de me sortir de cette épreuve. C’est ce qui m’a permis de réaliser que je fonçais dans un mur, et quelles sont mes priorités. Si tu reprends le travail un mois après ton burn-out, en te disant que ça va passer, tu repars pour la même chose. Cela prend du temps et l’introspection. Il faut mettre en place toutes ces petites choses pour que ta situation soit réparée pour de bon. »