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Vendredi 29 octobre 2021
par Mejdaline MHIRI

Alors que depuis la Coupe du monde 2019, le football au féminin gagne en reconnaissance, en première division, neuf équipes sur douze sont liées à de grands clubs masculins. Dans la banlieue d’Angoulême, l’ASJ Soyaux – club historique de l’élite – poursuit son développement en toute autonomie. Un véritable défi.

Photos : Maëlle Fonteneau

« Quand je suis arrivée pour jouer à Soyaux, je ne connaissais même pas le nom de la ville, se remémore, le sourire aux lèvres, Siga Tandia. Mais une fois qu’on est là, on adhère au projet. Ici, il y a des personnes avec un grand cœur. Par contre, je ne suis pas certaine qu’on arrive à changer notre image. Dans la tête des gens, quand ils entendent “Soyaux”, c’est toujours négatif. On aura beau finir troisième du championnat, ils diront que c’est du hasard… » Cette confession, c’est celle du milieu de terrain et capitaine de l’ASJ Soyaux, l’un des clubs historiques du football hexagonal pratiqué par les femmes.

Une structure riche de son passé. En 1968, l’Association Sportive de Soyaux est créée et compte dans ses rangs une équipe de femmes, précédant ainsi d’une année la fédération qui ne reconnaît les pratiquantes qu’en 1969. L’histoire raconte qu’en 1982 les dirigeants du club avaient supprimé la section féminine, car ses résultats faisaient de l’ombre aux garçons. Une cinquantaine de licenciées et quelques diri- geants avaient alors mené la fronde, puis répliqué en créant l’Association Sportive Jeunesse de Soyaux.

Entre juin 2017 et octobre 2020, sous la houlette du coach Sébastien Joseph, des moyens supplémentaires ont été alloués à l’effectif.

Depuis, le club n’a quasiment jamais quitté l’élite. Dès 1984, l’ASJ remportait le titre de championne de France. C’est également ce maillot que Corinne Diacre, actuelle sélectionneuse des Bleues, défendait comme joueuse durant dix-neuf saisons (1988- 2007). À la fin de sa carrière, ce fut le premier banc que « Coco » occupa comme entraîneure (2007-2013). Descendues à deux reprises à l’échelon inférieur, en 2010 et 2012, les Charentaises étaient à chaque fois parvenues à retrouver immédiatement les sommets. Voilà pour les souvenirs et les heures de gloire de l’ASJ Soyaux.

Aujourd’hui, le club est confronté au plus grand défi qu’il n’ait jamais rencontré : passer le cap de la professionnalisation et de ses exigences. Quitter le monde de l’amateurisme et des bonnes volontés pour devenir une structure pérenne et ambitieuse. Dans une ville de moins de 10 000 habitants, que peu de monde situe sur une carte, le challenge relève presque de la gageure. Mais les différents acteurs de l’ASJ Soyaux travaillent dur pour y parvenir.

Un effectif totalement professionnel

À commencer par les principales intéressées: les joueuses. Depuis la saison 2018- 2019, chacune est sous contrat fédéral, ce qui s’apparente à un contrat professionnel. Une évolution majeure qui permet très concrètement de s’entraîner de manière biquotidienne pour affiner encore et toujours le projet de jeu. Entre juin 2017 et octobre 2020, sous la houlette du coach Sébastien Joseph, des moyens supplémentaires ont été alloués à l’effectif. Durant son passage à Soyaux, le technicien s’est entouré d’un staff, composé de deux préparateurs physiques et d’une entraîneure des gardiennes, pour répartir les tâches et peaufiner les détails. De son propre aveu, Sébastien Joseph aurait aimé un ou une analyste vidéo et un·e préprateur·trice mentale supplémentaires si le club en avait eu les moyens.

Sur l’encadrement médical, une étape a également été franchie ces derniers mois. « Nous avons des créneaux fixes chaque semaine avec les kinés auxquels nous devons toutes nous rendre, affirme Siga Tandia. Un kiné nous accompagne sur les matchs à l’extérieur et un médecin est présent à domicile. Un partenariat a été mis en place avec la clinique de la ville et on a vite un rendez-vous lorsqu’on a besoin de passer une IRM. On peut encore faire mieux, mais on va dans le bon sens. »

Le club est confronté au plus grand défi qu’il n’ait jamais rencontré : passer le cap de la professionnalisation.

Si le club s’est doté depuis seulement un an d’un commercial pour développer ses partenariats, l’entité soljadicienne n’est pourtant pas la moins bien lotie sur le plan financier. Même si les écarts de budget sont abyssaux dans ce championnat à deux vitesses. Selon différentes sources, l’Olympique Lyonnais (7,5 millions) et le PSG (6,5 millions) se partagent plus de la moitié de la totalité des budgets de la division (autour de 26 millions d’euros). L’ASJ Soyaux (900000 euros) se situe dans la moyenne de la division.

Mais dans le football, ces disparités sont monnaie courante. Selon nos confrères de l’Équipe, chez les masculins, sur la saison 2018-2019, le PSG affichait 500 mil- lions d’euros lorsque Nîmes, plus petit budget de Ligue 1, plafonnait à 20 millions d’euros. Il faut préciser que l’ASJ, avec le promu GPSO Issy 92, sont désormais les deux seules formations à ne pas être structurées au sein d’un club masculin. Leurs adversaires se nomment les Girondins de Bordeaux ou Montpellier. En effet, ces dernières années, de nombreux cadors du ballon rond ont lancé une section fémi- nine, y trouvant de nombreux intérêts : grossir leur nombre de licenciés, développer leur marque et s’approcher d’un nouveau public. […]

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Retrouvez cet article dans Revue Far Ouest : Courage.
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