Qu’est-ce que la malédiction des cagots ? Du Moyen-Âge jusqu’au début du XX° siècle, les cagots ont été victimes dans le Sud-Ouest d’une ségrégation sans précédent.
Les cagots étaient une partie de la population qui, soupçonnée de transmettre la peste et autres maladies, avait pour obligation de vivre à l’écart. À Orthez, on trouve “la Fontaine des cagots” ; à Sauveterre-de-Béarn, une toute petite porte et un minuscule bénitier dans l’église marque également la présence des cagots.
Dans les Pyrénées-Atlantique, pour celui qui sait quoi chercher, les cagots sont partout. Découvrons l’histoire tragique de milliers d’habitants de la Nouvelle-Aquitaine, où se mêlent peur et superstitions. C’est Danièle Ganchou-Lumier, experte des cagots, qui fait revivre cette histoire oubliée à Lescun.
Un sujet PopEx (France 3 Nouvelle-Aquitaine), incarné par Alexia Gallesio.
Qui étaient les cagots ?
Cagot, ou Chrestia, est un mot assez générique, dont on trouve la première trace écrite près de Monin, aux alentours de l’an 1000. C’est un paria qui subissait le racisme comme on dirait aujourd’hui. Il était mis à l’écart, au ban de la société ou même du village. Cette ostracisation a perduré en vallée d’Aspe jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
Est-ce que c’est parce que leur physique faisait peur ? On trouve des photos très particulière sur internet.
Alors, elles ont été bien choisies ces photos. On les disait consanguins, donc avec un physique à faire peur. Mais il n’y avait pas plus de consanguinité chez les cagots qu’ailleurs. C’est une légende urbaine pour faire peur. On disait aussi qu’il n’avait pas de lobe de l’oreille. Mais ce sont des rumeurs, il n’y a aucune trace pour corroborer ça.
Cette histoire de consanguinité, c’est un peu une légende. Ces photos, elles ont été bien choisies, ce sont des arguments avancés sans preuve, des rumeurs. Il n’y a nulle part, aucune mention d’une particularité physique.
La mise à part des cagots, elle était inscrite dans la loi ?
Il y a peu de traces écrites, de textes de loi précis, mais les comtes du Béarn ont édité plusieurs décrets sur les cagots, notamment sur les métiers qui leur étaient réservés.
Ils travaillent le bois, sont majoritairement charpentiers. Tous les métiers de la terre leur sont interdits. Ils ne peuvent pas posséder de bétails, être meuniers, vendre de la viande consommable… On a peur qu’ils contaminent l’eau, la nourriture, la terre… On ne veut pas qu’ils touchent quoi que ce soit.
Ici, à Lescun, on a une fontaine, un abreuvoir et un lavoir qui étaient réservés aux cagots. Il est très en aval au sud du village, ce qui veut dire que l’eau qu’ils touchent n’est pas la même que celle des autres habitants du village. Géographiquement, on leur attribuait des quartiers. Il y a des chemins qui délimitent vraiment les quartiers cagots, des quartiers classiques.
Dans l’église de Lescun, on trouve encore la chapelle qui était réservée aux cagots. Ils entraient par une porte dérobée et suivaient la messe à l’écart.
Pourquoi les cagots étaient-ils mis à part ?
Franchement ? On n’en sait rien. Au 19° siècle, on a émis la théorie que c’est parce qu’on les imaginait porteurs de la lèpre. Sauf qu’une fois la lèpre éradiquée, il n’y avait aucune raison de continuer à les discriminer.
On a aussi cherché des explications raciales : ils étaient des descendants des Goths et des Wisigoths. Ou encore qu’ils étaient des peuples autochtones des Pyrénées, christianisés sur le tard. Mais tout ça, c’est pour trouver une justification acceptable au fait de les avoir mis au ban de la société. La vérité, c’est qu’on ne sait pas pourquoi.
Mais pourquoi ça a duré comme ça ?
C’était comme une sorte de tradition. Depuis toujours on avait peur d’eux, ils étaient mis à part, et ça a continué. Juste comme ça.
Au 18° siècle, il y a eu des écrits interdisant les séparations dans les cimetières et les églises. Les cagots ont commencé à partir. Ils étaient les premiers à vouloir être oubliés. Il y a même eu des mariages mixtes.
Les cagots ont existé jusqu’à la moitié du 20° siècle. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Quand arrive la Seconde Guerre mondiale en 1939, le phénomène des cagots est déjà marginalisé. La cause ? La Première Guerre mondiale, avec une chute spectaculaire de la population, notamment masculine. Pour continuer à vivre normalement, les populations de cagots se mélangent peu à peu au reste des citoyens.
Des idées nouvelles de tolérance et de mixité ont circulé grâce à l’éducation. Par exemple, à Lescun, les cagots qui vivaient dans le quartier du bas, le quartier de Beziat, ont commencé à acheter des maisons dans la ville haute. Ils sont remontés.
Sans oublier l’exode rural où beaucoup de gens ont quitté la campagne : du coup, ceux qui sont restés se sont accommodés petit à petit de cette mixité, du fait de vivre avec des cagots et leurs descendants.
À Lescun, jusque tard, des mariages mixtes ne se faisaient pas, on menaçait de déshériter les enfants. J’ai recueilli le témoignage d’un homme qu’on avait menacé de renier.
Une autre dame, amoureuse d’un cagot, qu’elle n’a pas pu épouser car elle-même n’était pas cagote. Et à Lescun aussi, il y a eu des lettres anonymes, au début de la Seconde Guerre mondiale, prévenant les parents : « votre fille Marie est en train de se faire dompter par un cagot ». Et puis, ça a fini par se calmer.
Vous parlez de gens avec qui vous avez discuté, donc qui ont connu des cagots jusque tard au 20° siècle. Comment on a pu les oublier aussi vite ?
Il y a une volonté d’oublier de ne pas en parler. Et les premiers à vouloir ça, ce sont les cagots ! On trouve encore des noms de rues, de quartiers qui rappellent les cagots, mais les gens ne savent plus à quoi ça correspondait.