Épisode 4
12 minutes de lecture
Samedi 7 juillet 2018
par Nathan Reneaud
Nathan Reneaud
Nathan Reneaud est journaliste, enseignant et programmateur au Festival International du Film Indépendant de Bordeaux. Il a co-fondé Accréds.fr, site dédié à l'actualité des festivals de cinéma, et a collaboré avec plusieurs publications : Etudes, Vodkaster.fr., Slate.fr, Popcorn, Soap, Rockyrama, Kiblind. Il fait également partie du comité de rédaction de Carbone, revue de pop culture où il anime la rubrique « Black Pop ».

Gabriel Okoundji est né au Congo-Brazzaville et est arrivé à Bordeaux en 1983. Il a été et est encore le témoin et l’acteur de toutes les Présences Noires qui ont émaillées la vie économique, littéraire, intellectuelle et politique de Bordeaux. Il partage avec nous son parcours et l’incroyable richesse de cette histoire. Notre histoire.

Présences noires : ce feuilleton doit beaucoup à deux ouvrages essentiels, La France Noire — Trois siècles de présences, superbe travail collectif dirigé par l’historien Pascal Blanchard et La condition noire de Pap Ndiaye, livre fondateur des « Black Studies » en France.

Ndiaye insiste sur le fait que l’histoire noire française n’est pas associée à de grandes victoires comme celles des États-Unis, avec les leaders que l’on connaît (Marcus Garvey, Malcolm X, Martin Luther King Jr.).

En ce sens, ce feuilleton souhaite raconter les présences noires en Nouvelle-Aquitaine et célébrer ainsi leur apport à la vie intellectuelle, culturelle, artistique et politique du Sud-Ouest. Un tel travail suppose de revenir sur des figures mythiques des luttes pour les droits humains (comme Joséphine Baker), mais aussi de faire la lumière sur des trajectoires plus confidentielles, qu’il fallait les sortir de l’invisibilité sinon d’une zone visitée seulement par les spécialistes.

Nous étions des « pionniers », nous étions tous des « camarades militants marxistes-léninistes », des « boucliers héroïques du Congo ».

Cela implique également d’échanger directement avec un témoin et un acteur de cette histoire. Né au Congo-Brazzaville et arrivé à Bordeaux en 1983, Gabriel Okoundji exerce en tant que psychologue clinicien et délégué à la culture au Centre Hospitalier Charles Perrens. Cet ancien militant communiste, qui travaille à « faire jaillir la lumière de la parole », est un intellectuel solaire et une grande voix de la poésie contemporaine.

Vous êtes arrivé à Bordeaux lorsque vous étiez étudiant. Votre biographie dit que vous y avez été « envoyé par l’État congolais ».
Qu’est-ce que cela signifie ?

Le Congo est le premier pays marxiste-léniniste d’Afrique francophone. À partir de 1968-1969, il était question que nous devenions des marxistes purs et durs, et la jeunesse, conçue comme fer de lance de cette révolution. Il y avait alors des enseignants indistinctement russes, cubains, français, et aussi bien évidemment, des Congolais. L’objectif était de former le plus vite possible cette jeunesse afin qu’elle porte au mieux les valeurs de cette révolution prolétarienne, qu’elle serve d’exemple pour les autres pays alentour. Sans le marxisme, un garçon comme moi, né dans un petit village dans les profondeurs du Congo-Brazzaville, n’aurait pas pu aboutir ses études.

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Illustration : Camille Mazaleyrat

Ce régime a eu beaucoup d’avantages, surtout sur la politique scolaire, mais aussi des inconvénients. Nos études étaient prises en charge, avec fournitures scolaires, des manuels, etc. Mais dès lors que nous étions marxistes, nous n’avions pas le choix d’autres modes de pensée. Nous étions des « pionniers », nous étions tous des « camarades militants marxistes-léninistes », des « boucliers héroïques du Congo », nous appartenions à une organisation : l’Union de la Jeunesse Socialiste Congolaise, qui disposait de statuts et des articles de lois, dont le premier stipulait : « Le pionnier est un militant conscient et efficace de la jeunesse. Dans tous ses actes, il obéit aux ordres du Parti »… Nous étions donc au service du parti !

Une fois mon bac obtenu, c’est donc tout naturellement l’état congolais qui a décidé de ma venue à Bordeaux pour y effectuer des études de médecine. Nous étions une poignée d’étudiants envoyés en France. À cette époque, plus de 80 % des cadres étaient formés en ex-URSS, en Roumanie, en Tchécoslovaquie, en Chine, à Cuba… Cette petite poignée, jugée représentative de la réussite du modèle, était orientée vers des filières de médecine, pharmacie, sciences économiques… Tout était pris en charge et nous avions une bourse. Cela a duré une partie de mes études. Mais l’irrégularité de ces bourses, due aux fluctuations du cours du pétrole dont le Congo est pays producteur, mais aussi à l’aide aléatoire que mon pays bénéficiait de l’URSS, m’a poussé, comme nombre de mes compagnons, à effectuer des petits boulots.

Puis la perestroïka est arrivée. Elle a sonné le glas de cette période de la guerre froide, lorsque Gorbatchev a ouvert les vannes qui ont précipité l’écroulement du mur de Berlin. Le Congo s’est retrouvé emporté par la vague. Le pays a donc perdu ses repères du jour au lendemain. Il ne pouvait plus subvenir à nos besoins…. Vous l’aurez compris, je suis un pur produit de ce système socialiste, d’obédience marxiste.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre vie militante ?

Arrivés en France, nous avons été accueillis par des aînés, des « camarades membres » de l’Union de la Jeunesse Socialiste Congolaise (UJSC) qui étaient déjà là pour des études. Dès lors, je me suis naturellement tourné vers les manifestations et les rencontres organisées dans le milieu communiste, notamment par le PCF lors de la fête de l’huma. Du fait de la culture révolutionnaire rigoureuse reçue dans notre jeunesse, je me suis très vite rendu compte que notre discours était décalé de celui des communistes bordelais. Peu à peu, je me suis ouvert à d’autres mondes. J’ai adhéré à l’UNEF, puis j’ai pris une carte pour le GENEPI (Groupement d’Étudiants National pour l’Enseignement aux Personnes Incarcérées).

La volonté était de montrer aux Bordelais qu’il y avait une réelle et riche production artistique, filmographique africaine.

J’allais à la maison d’arrêt de Gradignan donner des cours de maths et de biologie aux détenus. Tout cela était très bien, mais assurément éloigné de ma culture. Ainsi je me suis rapproché des cercles culturels africains, avec leurs manifestations annuelles, et aussi ce qui se passait par exemple du côté de la Maison d’Afrique Noire, aujourd’hui disparue.

Avec quelques amis, dont le Malgache Bacar Halidani et le Haïtien Rafaël Lucas, nous avons entrepris de créer une radio locale à la dimension plus intellectuelle que ce qui se faisait à l’époque sur les deux références communautaires : radio Équinoxe, qui passait de la musique afro-antillaise toute la journée, et Carib FM, qui était perçue comme la radio des ressortissants des Caraïbes. Le projet fut dénommé Radio Acajou et avait pour objectif de rassembler indistinctement la communauté des Africains et des Antillais de Bordeaux et sa région, au-delà de leurs différences. Pendant l’écriture du projet, la radio La Clé des Ondes nous a offert une plage pour nous familiariser avec la technique et les réalités du micro. On a expérimenté, et testé des émissions. Le projet avait une connotation intellectuelle non dissimulée.

Déposé selon les règles de l’art, il fut néanmoins refusé par le CSA, jugé par trop élitiste. Il nous fallait revoir les grilles de programmation, diversifier le mode de financement, etc. Alors nous avons agrandi le cercle, d’autres voix sont arrivées. Mais entre temps, une autre radio venait d’être autorisée par le CSA : Radio Black Box, avec son fondateur Edgar Gomez. Il n’était plus pour nous possible d’espérer l’aboutissement de notre projet. Quelques mois plus tard, une autre aventure s’est présentée, du côté du cinéma. Avec le même Bacar Halidani et le Burkinabè Dragoss Ouédraogo, nous avons fait renaître de ses cendres un vieux projet et l’avons nommé : le festival Cinéma Africain Promotion.

La volonté était de montrer aux Bordelais qu’il y avait une réelle et riche production artistique, filmographique africaine. Nous faisions venir des réalisateurs, je me souviens encore de m’être rendu à l’AUDECAM, à Paris, à bord d’une voiture de location, chercher des films que nous tenions à faire connaître, malgré nos maigres moyens de l’époque.

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Illustration : Camille Mazaleyrat

Mais vous co-fondez aussi l’Association Culturelle des Congolais de Bordeaux. Quel était son but ?

Quand je suis arrivé sur le campus de Bordeaux, c’était comme si l’univers m’avait ouvert ses bras. J’ai découvert d’autres cultures, d’autres modes de pensée. L’Union des Étudiants et Travailleurs sénégalais organisait chaque année des manifestations auxquelles nous participions. Les Burkinabè avaient une troupe de théâtre. Plus tard j’ai intégré celle-ci et nous avions joué « De Pas à Trépas », une pièce très engagée décriant les effets pervers de l’aide au développement et du FMI. Pièce écrite et mise en scène par Dragoss Ouédraogo, avant qu’il ne devienne le cinéaste que l’on connaît. Partout la présence artistique grouillait sur le campus à Talence et surtout au BEC (Bordeaux étudiant club), et j’étais tout le temps fourré dans ces milieux, au point de délaisser sévèrement mes études universitaires.

Nous allions aux fêtes haïtiennes, antillaises, malgaches, calédoniennes, sénégalaises… Cependant, le constat est que le Congo était totalement absent de ce fourmillement culturel. On parlait uniquement de sa musique, laissant sous le couvert ses artistes, ses écrivains, ses sculpteurs, ses peintres avec l’école de Poto-Poto qui a influencé les Picasso, Giacometti, etc. Il fallait rétablir l’équilibre et mettre tout ça en lumière en créant une association.

Je me suis lié à J. Claude Mounkala, qui à l’époque était le premier secrétaire de l’UJSC et de Simon Lebos, aujourd’hui médecin. Il fallait frapper fort. Alors la création de l’association a eu pour première et audacieuse manifestation l’organisation d’une Semaine de la culture congolaise. Elle fut épuisante, mais une belle réussite, avec ses colloques, ses débats, ses expositions, ses concerts, ses spectacles de danse. À partir de là fut décidé que notre événement culturel annuel se passerait la semaine du 17 mars, date de la mort de Marien Ngouabi, le père de la révolution congolaise.

Dans quelle mesure l’expérience bordelaise a-t-elle a été pour vous une source d’inspiration intellectuelle ou poétique ?

Il y avait là un vivier culturel qui m’a nourri. Beaucoup ! Je pense au Camerounais Bruno Mayi, un garçon magnétique, qui n’est malheureusement pas resté longtemps à Bordeaux. Mais il a servi de modèle, en nous ouvrant les yeux sur l’œuvre de Cheikh Anta Diop. « Pour que les Africains puissent célébrer leurs cultures, il faut au préalable qu’ils connaissent leurs origines », inculquait-il à qui voulait l’entendre. C’est lui qui nous a fait redécouvrir avec force détail l’histoire des Kamits, les peuples noirs d’Égypte, justement à partir des travaux du grand Cheikh Anta Diop. Bruno Mayi proclamait jusqu’à lasser son auditoire : « Vous êtes tous des Kamites ! ». De cette période s’inscrit une prise de conscience autour du passé esclavagiste de Bordeaux. Mayi a donné sans toutefois le formuler explicitement, l’élan de cette prise de conscience du combat que porte aujourd’hui le téméraire Karfa Diallo, et sous d’autres formes, l’adjoint au maire Pierre de Gaétan Njikam-Mouliom, et bien d’autres encore.

Ce que je réclame, c’est un statut d’homme qui parle de la condition d’Homme.

Personnellement je reconnais en Mayi l’homme qui a impulsé les mouvements de revendication de notre identité. Mais il y a eu aussi le Professeur Sory Camara, brillant enseignant en ethnologie à l’université de Bordeaux. Il demeure sans conteste le pilier de l’inscription de l’identité africaine et sa culture à Bordeaux. Il y a encore le sociologue Mar Fall. Tous ces aînés et ces cadets ont agi comme autant de boussoles et de sources. On ne peut pas porter les choses au loin, dédiées à notre cause, si l’on oublie ces sources.

Pour ce qui relève strictement de ma création poétique, c’est ma rencontre avec les Occitans qui m’a véritablement ouvert le chemin. C’était en 1991 lors du Festival International de poésie de Bordeaux. À la fin de ma lecture, Christian Rapin que je voyais pour la première fois vint me féliciter et me demanda une copie du texte « Combien de fleurs », que je venais de lire. Il a traduit quelques semaines plus tard ce poème dans sa langue, l’a proposé à l’immense poète Bernard Manciet, en vue de sa publication dans la revue « OC ». Pour faire court, cette histoire peut se résumer ainsi : Christian Rapin fut le découvreur, l’initiateur de mes textes, le poète Jean-Pierre Tardif le révélateur, et Bernard Manciet le passeur. Si je suis devenu ce que je suis en ce qui concerne mon parcours poétique, c’est grâce au hasard de la rencontre avec ces noms.

Quelle place le passé négrier de Bordeaux trouve-t-il dans vos engagements, vos combats, votre prise de parole ?

Plus d’une fois, on m’a proposé de prendre parole sur ce thème. À une certaine période, je me suis exprimé, non sans fougue. J’ai écrit des textes sur le sujet, comme cette nouvelle publiée dans un opuscule édité à l’époque par la Librairie Olympique. Mais je ne veux pas pas qu’on me consigne dans un statut uniquement de Noir, d’Africain qui serait seul légitime à réclamer les droits, pour une cause et un drame qui nécessairement convoque l’humanité dans sa part de responsabilité. Ce faisant je refuse les débats qui m’enferment, malgré moi, dans mon identité de Congolais, de Noir et d’Africain. Refuser de tels débats n’est pas renoncer au combat, bien au contraire.

Ce que je réclame, c’est un statut d’homme qui parle de la condition d’Homme. Comment ensemble assumer cette position par rapport à l’Histoire, par rapport au présent. Comment ensemble trouver les issues, créer des balises pour ne pas que l’histoire encore ne se répète. Comment ensemble faire en sorte que les fléaux de l’humanité ne se résolvent pas d’abord par des automatismes à valeur de mécanismes de défense. Où l’un cherche à crever l’œil de l’autre quand ce dernier cherche à lui ôter une dent. La formule « Œil pour œil, dent pour dent » est inepte, car généralement cela aboutit à ce que, et l’un, et l’autre deviennent, tous deux, simultanément, aveugles et édentés.

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Illustration : Camille Mazaleyrat

Nous devons tout faire pour trouver comment composer ensemble malgré les contradictions inhérentes à la condition humaine. Qu’est-ce qui nous rassemble au-delà de nos différences ? Et qu’est-ce qui nous différencie dans notre ressemblance humaine, au-delà de nos singularités culturelles ? Voilà, telle est ma position, je la tiens désormais, tout en soutenant et en ayant un profond respect des combats qui défendent une cause noble, et de ceux qui les mènent avec sincère engagement.

Vous exercez en tant que psychologue clinicien et délégué à la culture au Centre Hospitalier Charles Perrens.
Y a-t-il des croisements entre cette activité professionnelle et ce que vous écrivez en tant que poète ?

Ce sont des activités qui n’ont rien à voir les unes avec les autres, bien qu’elles soient menées par le même homme. Sauf à penser, comme j’aime à le croire, qu’elles sont reliées par les mêmes « forces miraculeuses » comme dirait Aimé Césaire. Le psychologue en moi applique une méthode héritée de l’université, donc scientifique, donc livresque, s’articulant autour des concepts. On lui a appris à diagnostiquer, émettre des hypothèses, établir des projets thérapeutiques.

Mais là où le psychologue lorgne vers des concepts et des théories, le poète les détruit, car la beauté comme la joie, comme les larmes, n’ont pas besoin de théories et de concepts. Et le poète est l’homme de peu de mots. Un rien lui suffit pour faire jaillir la lumière de la parole. Celle qui procure l’émerveillement, celle qui aide l’Homme à se tenir debout malgré les dénivellations de la terre.

La vocation de ce feuilleton est de raconter les présences noires en Nouvelle-Aquitaine.
Selon vous, quels sont les récits et les figures qui restent invisibles et qu’il faut mettre en avant ?

Bordeaux a développé beaucoup de liens avec l’Afrique, pendant l’esclavage et la colonisation, et bien après. Qu’a-t-on retenu de ces liens ? Le clown Chocolat, Joséphine Baker. D’autres personnalités ont fondé la dignité de cette cité. Je pense au grand poète David Diop : voilà un homme 100 % bordelais, né ici de père sénégalais et de mère camerounaise, mais elle est où la trace de son nom sur une rue ou une place ? David Diop a écrit ce poème « Afrique, mon Afrique », que tout le monde récite, il est de nos chants fondamentaux. Un texte écrit depuis sa terre natale, Bordeaux, dans un rapport imaginaire à l’Afrique. Lorsqu’il termine ses études, Diop va enseigner au Sénégal. Tout de suite, il est rattrapé par l’expérience de la révolution. Il mourra très tôt d’un accident d’avion.

Je pense à celles et ceux qui, au quotidien, participent au dynamisme de la vie économique, littéraire, intellectuelle et politique de Bordeaux.

Il y a aussi René Maran qui était d’origine guyanaise et a fait ses études au Lycée de Talence. C’est le premier Prix Goncourt noir. Quand il publie Batouala, l’ouvrage porte en couverture l’empreinte : « roman nègre », chose qui ne se ferait plus aujourd’hui. Ce livre naît de son expérience aux colonies et vient bousculer l’ordre établi. Un scandale donc. C’est quelqu’un que Bordeaux a oublié, alors qu’il fait partie de notre fierté girondine. Il n’y a que Michel Suffran, le doyen des écrivains de Bordeaux aujourd’hui, qui dans son ouvrage Génération perdue, lui concède une digne place parmi les écrivains phares de notre région de cette époque.

Enfin, citons le Congolais Tati Loutard, une figure de la poésie francophone qui a célébré Bordeaux où il vécut pendant ses années de fac. À côté de ces écrivains, il y a aussi d’autres artistes, à l’image de Ousseynou Sarr, grande voix de la peinture contemporaine. Mais aussi des femmes qui ont forcément apporté leur pierre à l’édifice et qui méritent d’être révélées à la mémoire.

Diriez-vous qu’il y a une « condition noire » spécifiquement bordelaise ?

Je ne parlerais pas de condition, mais de présence effective. Je pense à celles et ceux qui, au quotidien, participent au dynamisme de la vie économique, littéraire, intellectuelle et politique de Bordeaux. On a évoqué des cas, mais aujourd’hui, on ne compte plus les médecins, les psychologues, les délégués à la culture, les universitaires de renom, qui façonnent au quotidien l’identité de notre ville et sa région. Pour ne citer que quelques un, le Camerounais Njikam a accédé au poste d’adjoint du maire de Bordeaux. Une première. À Pessac, au même poste, il y a eu le malien Ibrahim N’Diaye. Et je ne tomberai pas dans l’énumération. Il faut savoir dignement saluer ce bel élan d’une présence africaine qui, dorénavant, occupe des rangs importants, même si beaucoup, je le concède, reste à faire.

Nathan Reneaud
Nathan Reneaud est journaliste, enseignant et programmateur au Festival International du Film Indépendant de Bordeaux. Il a co-fondé Accréds.fr, site dédié à l'actualité des festivals de cinéma, et a collaboré avec plusieurs publications : Etudes, Vodkaster.fr., Slate.fr, Popcorn, Soap, Rockyrama, Kiblind. Il fait également partie du comité de rédaction de Carbone, revue de pop culture où il anime la rubrique « Black Pop ».
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