Épisode 5
4 minutes de lecture
Vendredi 1 février 2019
par Karfa DIALLO
Karfa DIALLO
Karfa Sira Diallo est un essayiste, éditorialiste, fondateur de l'association Mémoires & Partages. Il est une figure emblématique à Bordeaux de la préservation et de la mémoire de l'histoire noire et de la traite négrière.

Après le succès de la première édition du Black History Month, cet évènement sur l’histoire et l’identité noire revient pour une deuxième édition. Projections, conférences et débats émailleront tout le mois de février. Un mois avec pour thème « la réinvention de soi », avec pour figure emblème Michael Jackson. 10 ans après sa disparition, pourquoi lier le King of Pop au Black History Month 2019 ? Karfa Diallo, coordinateur du festival nous l’explique dans une tribune.

Tout le programme du Black History Month 2019

C’est un choix éditorial qui surprend, intrigue et provoque diverses réactions qui témoignent d’interrogations sur le sens de l’identité.

Comment réhabiliter une histoire négligée et militer pour la reconnaissance politique par l’utilisation d’une figure aussi ambiguë que celle de Michael Jackson ? N’est-ce pas faire fi des multiples accusations et procès qui ont entouré la vie et la carrière de Michael Jackson ? Ne serait-ce pas dévitaliser un militantisme noir qui peine à convaincre ? Quel écho cela pourrait engendrer dans les consciences et les imaginaires ? Avec quelles images la diaspora noire peut-elle faire face à son actualité ?

Qu’est-ce donc qu’être noir ? Est-ce être Africain ? Est-ce une question de mélanine ? Combien de gouttes de sang noir faudrait-il avoir pour être représentant d’un peuple que l’histoire n’a pas épargné ?

Mise à contribution, la créativité des idéologues de l’esclavage colonial des Afrodescendants au 18e siècle a généré une palette quasi infinie de « goutte de sang noir ».

Enfant de la ségrégation et des droits civiques, Michael Jackson est l’Afrodescendant qui a le plus incarné les succès tout autant que les troubles de l’identité noire du XXe et du XXIe.

C’est l’avocat, franc-maçon et esclavagiste, Médéric Louis Elie Moreau de Saint-Mery qui, au 18e siècle, développe une classification raciale établissant 128 combinaisons possibles du métissage entre noir et blanc en 9 catégories : le sacatra, le griffe, le marabout, le mulâtre, le quarteron, le métis, le mamelouk, le quarteronné, le sang-mêlé.

Fondement essentiel de la domination coloniale, « la goutte de sang noir » continue de générer d’enviables statuts sociaux et politiques, mais aussi des violences et exclusions en Afrique, en Europe et dans les Amériques.

Par la position qu’il a occupée dans la culture mondiale, par l’influence qu’il eut sur les représentations, l’image de Michael Jackson lui a sans doute échappé du fait de sa singulière trajectoire. Sans méconnaitre non plus, rentrer dans les méandres des procès qui continuent à lui être intentés, on peut noter l’extrême complexité d’une vie au sommet de l’art et de la culture mondiale.

Enfant de la ségrégation et des droits civiques, Michael Jackson est l’Afrodescendant qui a le plus incarné les succès tout autant que les troubles de l’identité noire du XXe et du XXIe. Bien avant Michael Jordan, Oprah Winfray et même Barack Obama, Michael Jackson a fait traverser son image.

À tort ou à raison, l’opinion publique lui a prêté l’intention d’échapper à sa race et à sa couleur par maintes transformations constatées au fur et à mesure de sa projection sur les feux de la rampe.

En s’exposant à ces critiques et interrogations, le choix a d’abord été celui de l’efficacité. L’œuvre de Michael Jackson est une de celles qui ont le plus transcendé les conditionnements raciaux, sociaux et culturels. Par les multiples arts qu’il a investis, Michael Jackson a fait de son talent le vecteur de causes qui dépassent sa personne et son œuvre.

Un mois d’évènement autour du Black History Month

Il est vrai, cependant, que sans jamais renier ses origines africaines et son appartenance à la communauté noire, Michael Jackson ne s’est jamais laissé enfermer par les nombreux déterminismes qui le constituaient : noir, américain et homme. La reconnaissance culturelle, sociale et politique de son influence ne cesse d’être documentée, à l’image de la grande exposition que lui consacre Le Grand Palais à Paris.

Pourtant le Black History Month a suivi le chemin tout inverse.

Si, dès 1926, l’intellectuel Afroaméricain, Carter G. Woodson, milite pour un Negro History Week, avec le soutien notamment de W.E.B Dubois, il faut attendre 1976 pour la reconnaissance politique de ce mouvement par le président Ford qui institue le mois de février, comme Black History Month, en référence à la naissance de trois figures du combat pour l’égalité : Abraham Lincoln, Georges Washington et Frédérick Douglass.

Vaincre les stéréotypes rattachés aux Afrodescendants, réaffirmer la dignité de l’héritage des noirs et gagner le respect des autres communautés américaines étaient, entre autres, les objectifs de cette célébration dont l’exportation à l’étranger n’est guère évidente.

Pourquoi donc la France aurait-elle besoin d’une telle tradition civique ? N’est-ce que mimétisme et triomphe du modèle américain que de reproduire un tel évènement dans l’Hexagone ? Les difficultés parisiennes à convaincre les décideurs à s’engager dans une telle manifestation ne devraient-elles pas décourager les tentatives, notamment celles venant de province ?

Pourquoi Bordeaux, porte d’entrée des Outres mers, rétive à faire une place sérieuse à l’influence des peuples noirs dans son évolution, devrait-elle abriter un Black History Week ?

Audace, humour, et bienveillance pour apporter le souffle des artistes et militants qui ont les histoires et cultures Afrodescendantes comme leitmotivs.

Pourtant en 2018, ce sont des milliers de Bordelais qui se sont pressés au 1er Black History Month.

L’édition 2019 s’annonce exceptionnelle et inédite avec de grands évènements, de grands partenariats et une implantation progressive sur le territoire national. Les chaines de TV Arte & TRACE, le groupe de recherche ACHAC, Darwin, le Rocher de Palmer, la région Nouvelle-Aquitaine, la mairie du 18e arrondissement parisien, des associations, personnalités et artistes divers d’ici et d’ailleurs vont faire de Bordeaux l’épicentre de la Renaissance d’une diaspora africaine consciente de sa responsabilité sociale, sans compromission, ni distorsion.

Parti de Bordeaux, dès le 2 février, l’évènement ira jusqu’à Paris en passant par Poitiers et Pau, pour revenir finir le 2 mars à Bassens, terre de débarquement des noirs américains pendant la 1re guerre mondiale.

Audace, humour, et bienveillance pour apporter le souffle des artistes et militants qui ont les histoires et cultures Afrodescendantes comme leitmotivs.

La Réinvention de soi, enracinée dans les cultures Afrodescendantes et ouvertes au monde, à travers 12 scènes, 12 lieux et thématiques pour interroger l’empreinte que le King of Pop Art, ses ancêtres et ses descendants vont laisser dans la culture mondiale.

Dans la diversité des récits et la pluralité nécessaire des voix, il s’agit de proposer un contre-récit culturel à la pensée dominante et de prendre la parole pour la redistribuer notamment à ceux qu’on a privés de liberté. Une relation au monde par une réelle détermination dans le combat pour l’égalité.

Karfa Sira Diallo, Coordinateur du Black History Month

Karfa DIALLO
Karfa Sira Diallo est un essayiste, éditorialiste, fondateur de l'association Mémoires & Partages. Il est une figure emblématique à Bordeaux de la préservation et de la mémoire de l'histoire noire et de la traite négrière.
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