En 2017, Emmanuel Macron promettait de réunir « d’ici cinq ans, les conditions pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain ». En Nouvelle-Aquitaine, où une part importante de ce patrimoine est préservée, les musées passent à l’action. Cet été, le musée d’Angoulême a renvoyé une quarantaine de pièces archéologiques au Cameroun.
Fin juin, 40 pièces archéologiques ont pris la route de Yaoundé, au Cameroun, en provenance du musée d’Angoulême. Ce transfert historique symbolise le résultat d’un combat acharné, mené depuis 2011 par Émilie Salaberry, alors responsable des collections extraeuropéennes du musée.
Tout commence en 2008 avec la disparition de Jean-Gabriel Gauthier, ethnologue et archéologue angoumoisin proche du peuple Fali, une population montagnarde au nord du Cameroun. Au fil de ses voyages d’études, le chercheur a rassemblé une précieuse collection de plus de 400 pièces dans son laboratoire du CNRS à Bordeaux. Un ensemble riche qui éclaire plusieurs siècles d’histoire et témoigne notamment du mode de vie et des pratiques funéraires du peuple de Sao, une des civilisations les plus anciennes d’Afrique de l’Ouest.

À son décès, la famille de Jean-Gabriel Gauthier se tourne vers le musée d’Angoulême pour faire don de ces pièces. Mais la responsable, Émilie Salaberry, décide de ne pas intégrer les pièces archéologiques dans les collections du musée. Elle explique : « Ces pièces proviennent de fouilles réalisées dans le cadre des collaborations entre la France et le Cameroun. Elles ont été exportées avec des autorisations officielles et étaient destinées à retourner au Cameroun après leur étude. Par conséquent, elles appartenaient à l’État camerounais et non à leur découvreur. » Et plutôt que d’intégrer ces pièces à son inventaire, elle décide de les inscrire comme un « dépôt » camerounais affirmant ainsi la légitimité de leur retour vers leur pays d’origine.
Avant 2017, un non-sujet ?
La chasse aux informations peut alors commencer. Émilie Salaberry se met en quête de réponses, écrivant au ministère de la Culture camerounais, à l’ambassade de France et au consulat pour se renseigner sur les procédures à suivre. Cependant ses efforts se heurtent à un mur de silence : aucune réponse ne lui parvient, malgré ses relances répétées. « Il n’y avait en réalité rien pour m’accompagner dans mes démarches », souligne-t-elle. Pendant six ans, elle poursuit ses sollicitations : elle interroge ses collègues africanistes, essaie de créer des partenariats au Cameroun et se rend même sur place pour faire valoir sa demande. Rien n’y fait.
Le discours prononcé par Emmanuel Macron à Ouagadougou en 2017 marque un tournant décisif. Le président de la République promet de réunir, d’ici cinq ans, les conditions nécessaires pour permettre des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain. Ce moment symbolique ouvre un dialogue fructueux au sein des musées sur une question cruciale : que faire des œuvres africaines acquises dans des conditions contestables ?

« J’ai eu la chance, dans ce projet, de bénéficier d’un contexte politique favorable et de croiser beaucoup de personnes déterminées », confie Émilie Salaberry. En 2021, elle rencontre Yann Lorvo, conseiller culturel à l’ambassade de France au Cameroun, lors du sommet Afrique-France de Montpellier. Cet échange donne lieu à une collaboration étroite entre les deux pays.
Naît alors une double ambition au sein du musée national du Cameroun : la création d’une salle d’archéologie et l’organisation d’une exposition temporaire de 2000 m² sur le Septentrion, au nord du Cameroun. « Nous avons profité du projet d’exposition temporaire avec des pièces du musée d’Angoulême pour établir une convention de dépôt avec le Cameroun », explique-t-elle. Ainsi, même si seulement 40 pièces ont fait le voyage, l’essentiel de la collection est considéré comme propriété du musée camerounais.
Décoloniser les musées néo-aquitains
Pour s’inspirer de l’approche du musée d’Angoulême, l’association décoloniale Mémoires et Partages souhaite s’entretenir avec les responsables des collections extraeuropéennes de la région. « L’objectif est d’infuser une pratique décoloniale au sein de tous les musées de la région », souligne Clarisse Gomis, secrétaire générale de l’association. Dans cette même optique, de nombreux musées se sont unis dans le cadre du projet de recherche Anada— Afriques — Nouvelle-Aquitaine, décolonisation des arts. « Restituer, c’est essentiel. Mais en amont il y a tout un travail de réécriture de l’histoire », conclut Émilie Salaberry. « Nous sommes à l’aube d’une période riche en recherches sur l’histoire des collections. »