En 1947, l’artiste aux « deux amours » Joséphine Baker fait l’acquisition du château des Milandes. Chargée de récits, la propriété bâtie au 15e siècle fut une plaque tournante de la Résistance et du contre-espionnage en Périgord, avant de devenir un temple de la lutte antiraciste et un paradis pluri-ethnique. Baker, qui fut une actrice majeure et une présence dans l’histoire de la conscience noire, y élèvera sa « tribu arc-en-ciel », elle en fera son « village mondial », son laboratoire de la « fraternité universelle ». À femme multiple, demeure immense. Le château conserve la mémoire de la première superstar noire avec un musée dédié. Visite.
Au sortir du château des Milandes, alors que mes impressions du lieu se superposent à tout ce que j’avais pu lire et imaginer, la pensée me hante qu’il reste, dans toute cette histoire, un espace non occupé. Il reste de la place pour une autre forme de récit, après les mémoires, les biographies et les essais, après les reportages et les 52 minutes documentées, après ce téléfilm HBO sans caractère qui passe en revue les temps forts de la bio de Baker à la façon d’une page Wikipédia (The Josephine Baker Story, 1991). Dans la production audiovisuelle dédiée à l’artiste, il manque une narration au long cours à la The Crown.
Pour un Joséphine Baker show
Une série : voilà un format qui serait à la mesure et à l’image de la première superstar noire, voilà qui rendrait compte de ses vies multiples, voilà qui permettrait à une writer’s room inspirée de faire autre chose que du biopic basique ; à son plus mauvais, c’est un genre-momie qui rouvre les tombes et prolonge le musée de figures de cire. Vous en rencontrerez trois dans le château des Milandes. Il y a la Baker portant l’uniforme de l’Armée de l’Air et décorée de la Légion d’Honneur pour ses faits de résistance (la scène a réellement lieu en 1961), il y a la Baker maîtresse de maison portant une robe du soir satinée, celle qui aimait organiser de grands repas pour la famille élargie du village, des proches, des voisins. Il y a enfin la Baker période « Folies Bergères », située dans la tour du château, telle une demoiselle en détresse de roman de chevalerie.
Il faut emprunter un escalier exigu pour accéder à cette alcôve consacrée à l’érotisme bakerien. Ici, on est finalement plus proche de Vénus que d’Iseult et de la romance courtoise. Baker arbore une tenue traditionnelle hawaïenne. Elle est allongée sur le ventre, les jambes en l’air et les seins nus. Les murs sont ornés de superbes photos de nus en noir et blanc réalisées par Boris Lipnitzki dans les années 1920 et qui ne seront découvertes et éditées qu’en 1999-2000 — trop provocatrices ?
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