Nara continue son périple dans la Nouvelle-Aquitaine de 2050. Passage obligé : la cité engloutie de Blaye. Inhabitée depuis 2041, on ne peut la visiter qu’à marée basse. Les humains ont du quitter leurs maisons noyées, mais de nouveaux habitants y ont fait leur nid.
À travers cinq cartes postales de lieux emblématiques de la région, la romancière Eve Gabrielle Demange imagine la vie en 2050 — un récit inspiré de ses entretiens avec Hervé Le Treut, coordinateur de l’étude Acclimaterra sur Les Impacts du changement climatique en Aquitaine.
« Cité engloutie de Blaye, France — 14 août 2050
Ayame,
Je t’écris depuis la Cité engloutie de Blaye où nous sommes venus passer la journée. Nous avons quitté Bordeaux, située plus au sud pour venir visiter ce haut lieu de la lutte contre la montée des eaux. Notre guide ici s’appelle Paul (c’est un nom vraiment romantique, tu ne trouves pas ?) La citadelle militaire, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, domine l’ancienne ville de Blaye, abandonnée à la rage du fleuve.
Lorsque les eaux se retirent, on peut se promener dans les ruelles. Il y règne à présent une atmosphère étrange, hantée par le souvenir des cinq mille âmes qui ont vécu là jusqu’en 2041. Imagine un peu le quartier du palais impérial de Kyoto régulièrement recouvert de vase, envahi par les oiseaux. Car la bonne nouvelle, c’est le renouveau de la biodiversité dans ces zones humides.
On voit des espèces très rares, ici : goélands, busards des roseaux, hérons, cigognes, bécassines des marais, dont certaines s’étaient quasiment éteintes dans les années 2020 à cause de la disparition des insectes. Évidemment, papa était ravi. On aurait dit un enfant dans le musée des dessins animés Ghibli à Tokyo !
Maman et moi nous avons marché en faisant attention à ne pas glisser sur les pierres couvertes de mousse tandis que l’esprit de la Garonne grondait à côté, pareille à une bête liquide prête à reprendre ses terres. Sur la rive du Médoc, de l’autre côté, les célèbres domaines viticoles de Margaux, Saint Estèphe ou Pauillac se retrouvent régulièrement inondés.
Paul dit que c’est difficile pour toute la région. La France a déclaré l’estuaire “zone non défendue” malgré la longue lutte menée par les Blayais avant leur migration forcée. En fait, ça veut dire que le gouvernement français ne va rien faire pour empêcher la montée des eaux. Ils ne peuvent pas déployer leurs efforts partout, alors ils choisissent de concentrer leurs efforts sur certains lieux stratégiques, plus faciles à défendre.
Bien sûr, ils font pareil en Hollande, aux Maldives et dans de nombreuses zones situées sous le niveau de la mer, mais les habitants d’ici se sentent oubliés. Peut-être faudrait-il suivre l’exemple du Japon et construire d’immenses digues le long de la côte ? Je ne sais pas si c’est une bonne idée. Les jeunes Japonais se protègent de la mer, ils oublient leurs traditions ancestrales liées à la pêche.
Je me dis parfois qu’il vaudrait mieux accepter notre fragilité, admettre notre condition d’êtres mortels soumis aux anciennes lois de la vie. Plus que jamais, nous avons besoin de renouer le lien avec nos kamis, les forces vitales de la nature.
À la fin de la visite, nous avons vu un film en réalité virtuelle sur la fermeture de la centrale nucléaire du Blayais, suite à la tempête de 2019. C’était impressionnant. L’Aquitaine a vraiment failli vivre ce que nous avons connu en 2011 avec le terrible accident de Fukushima !
Il a fallu repenser toute la production d’énergie. Il paraît que ce fut une vraie révolution. Finalement, ça a encouragé la sobriété et la mise en place des énergies renouvelables, exactement comme chez nous.
Voilà pour les nouvelles.
Et toi, est-ce que tout va bien à Kyoto ? Il paraît que vous avez très chaud. Je pense bien à toi.
Mata Kondo,
Nara »