Épisode 7
7 minutes de lecture
Mardi 21 août 2018
par Clémence Postis

Dans son feuilleton « Été 2050 », Ève Demange nous propose un récit d’anticipation : quelles seront les conséquences du réchauffement climatique sur la Nouvelle-Aquitaine ? Anthony Brault, collapsologue et auteur de la conférence gesticulée Faim de pétrole, nous livre un éclairage optimiste non sans être catastrophiste sur le sujet.

Qu’est-ce que la collapsologie ?

La collapsologie c’est l’étude de l’effondrement des sociétés humaines, y compris la nôtre, c’est-à-dire notre civilisation thermo-industrielle. Cet effondrement est estimé inévitable : nous allons probablement le vivre de notre vivant. Mais cette étude consiste aussi à mieux se préparer et anticiper le plus possible l’effondrement en cours ou à venir en allant regarder les travaux universitaires faits en sociologie, en psychologie ou en histoire à propos des autres sociétés qui se sont effondrées. Cela consiste aussi à voir comment, au niveau des émotions, un effondrement peut être vécu par les individus. De fait, la collapsologie a la particularité de donner beaucoup de place à l’intuition, au ressenti et aux émotions.

À quoi est dû l’effondrement de nos sociétés ?

Il est dû aux multiples crises qui se déroulent conjointement et qui sont liées les unes aux autres puisqu’elles s’accentuent entre elles. Par exemple, l’épuisement des ressources naturelles comme le dépassement du pic de production du pétrole est synonyme d’arrêt économique, car le pétrole est de loin l’énergie la plus utilisée dans notre civilisation. D’un autre côté, nous vivons une crise écologique majeure qui s’exprime de beaucoup de manières différentes. Des études ont mis en avant neuf limites à ne pas dépasser sans quoi la survie de l’espèce humaine pourrait être menacée.

Quelle est l’application de la collapsologie concernant les modifications climatiques que l’on peut subir ?

Dans les seuils que nous avons déjà dépassés, le réchauffement climatique d’un côté et l’extinction massive des espèces vivantes de l’autre sont les plus dommageables. Chaque seuil dépassé peut mettre en péril la survie de l’humanité. C’est le cas du réchauffement climatique : la Terre va adopter un autre point d’équilibre. La température moyenne va être différente de celle que nous connaissons actuellement.

Ce déplacement de point d’équilibre est entièrement dû à l’activité humaine. C’est pour cela que nous avons changé d’air géologique : depuis quelques dizaines d’années, nous sommes entrés dans l’anthropocène. L’effondrement est irréversible depuis cette nouvelle ère. Là est la différence entre la collapsologie et les autres mouvements qui parlent de développement durable.

The perfect storm – Photo : Nikolas Noonan via Unsplash

Quels sont les scénarios envisageables pour la Terre en 2050 à l’échelle de la France par exemple ?

C’est très compliqué de décrire un scénario. La collapsologie appelle plutôt à expliquer sans conception de scénario et à dire que notre futur est incertain. Ce n’est pas une manière de botter en touche. Probablement qu’en 2050, nous n’aurons plus de voitures habituelles et il n’y aura plus ou presque de trafic aérien. En 2050, nous aurons tous une alimentation locale saisonnière et principalement végétarienne. Nous ne nous chaufferons plus au chauffage électrique. Notre surface de vie et le nombre de kilomètres autour de notre domicile vont se réduire drastiquement.

La question est plutôt autour de la gestion sociale : « Comment est-ce que cela va se passer chez les individus ? » Si l’on adoptait tous un mode de vie décroissant, cela nous permettrait de nous adapter à l’effondrement qui est en cours. L’effondrement constituerait alors un avenir nettement plus désirable que le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui.

La collapsologie est catastrophiste, mais elle n’est pas pessimiste puisque l’effondrement en soi ne dit rien du monde dans lequel nous allons vivre demain. Tout dépend de l’ordre dans lequel vont s’opérer les événements et les réactions de notre société face à ces événements. Néanmoins, il est sûr que certaines parties de la population vont réclamer des régimes autoritaires pour garantir un ensemble de sécurités sur leurs besoins matériels. Il est aussi certain que des modes de vie plus alternatifs, décroissants ou économes vont se développer à une vitesse inimaginable.

Est-ce que vous connaissez le contexte climatique en Nouvelle-Aquitaine ? Qu’est-ce que vous imaginez pour cette région ?

Le réchauffement climatique va sûrement dominer les autres problèmes climatiques. Et donc, effectivement la vigne ou encore les huîtres vont avoir du mal à se développer dans cette région. Il va falloir changer notre façon de produire. Il faudra alors faire pousser le même genre de production qu’au Maroc, par exemple. Nous aurons besoin de revenir à une agriculture plus responsable avec juste un jardin pour se nourrir soi-même ou sa communauté.

Nous savons qu’en 2100 il n’y aura plus d’OGM, il n’y aura plus de vins vendus aux quatre coins du monde. Tout ce que nous consommerons aura été produit aux alentours. C’est cela le monde du futur.

Comment éviter le pire ?

Pour faire en sorte que l’on soit prêts à cet effondrement, il faudrait prendre conscience du déni de notre civilisation. Nous vivons une parenthèse historique avec dans un confort matériel démesuré, qui ne nous rend pas très heureux et dans lequel nous ne sommes pas en très bonne santé. Il faut aussi changer l’imaginaire très individualiste lié à l’effondrement dont le film référence pourrait être Mad Max.

Comment les gens réagissent-ils à cette annonce de « fin du monde » ?

Tout dépend de la manière dont on aborde le sujet. Je joue une conférence gesticulée qui s’appelle Faim de pétrole depuis 10 ans maintenant. Une conférence gesticulée est un mélange de savoir que j’ai assimilé dans les livres universitaires et de ma propre expérience. Ma conférence s’intéresse à la fin de l’énergie bon marché.

Ce n’est pas la « fin du monde », mais bien la « fin d’UN monde »

Les premières fois que j’ai joué cette pièce, j’étais encore au début de mon travail et je pense que j’étais très angoissé par cet effondrement à venir. Je me sentais très seul, je ne me retrouvais nulle part. J’avais du mal à y croire et en même temps j’étais convaincu du caractère inévitable de cet effondrement.

Cela me faisait terriblement peur ! Je pense que j’ai vécu une forme de dépression. J’ai certainement traumatisé le premier public auquel je me suis adressé. Je leur ai renvoyé toute cette angoisse. Il faut faire attention à la façon dont nous en parlons et bien préciser que ce n’est pas la « fin du monde », mais bien la « fin d’UN monde » et c’est tout autant la naissance d’une nouvelle humanité.

Comment vivre avec cette peur permanente ? Pour ma part, j’ai 23 ans, est-ce que je dois m’imaginer ne pas faire d’enfants pour ne pas qu’ils aient à vivre cela ?

Généralement quand on prend conscience de l’effondrement, la première question qui se pose c’est : que dire aux enfants, et surtout que faire ? Là, je pense que nous arrivons alors au cœur du problème. Mais je pense qu’il faudrait répondre à une question encore plus difficile : qu’est ce que nous allons nous dire à nous-mêmes ?

Il y a 10 ans, le film écologique Nos enfants nous accuseront sortait. Il sous-entend que la génération suivante subira les conséquences. Eh bien non ! La collapsologie dit que cela va encore plus vite que cela ! Ce n’est pas la génération d’après, c’est notre propre génération qui va être touchée ! Évidemment c’est angoissant de se dire que nous ne pourrons pas offrir à nos enfants le confort matériel dont on a bénéficié. Mais d’un autre côté, ils vont pouvoir vivre dans un monde où des choses seront possibles alors qu’elles ne le sont pas actuellement.

La collapsologie ne fait que réactiver une idée ancienne : comment vivre avec l’idée que nous allons mourir un jour ?

Il faut trouver des endroits où parler de tout cela. Là, c’est aussi le travail de Joanna Macy, une collapsologue à l’origine du terme « écopsychologie», c’est-à-dire comment la Terre résonne en moi et comment ce qui résonne en moi va affecter la Terre. Et donc effectivement de ne pas avoir de pensées mortifères, de ne pas se laisser envahir. La collapsologie ne fait que réactiver une idée ancienne : comment vivre avec l’idée que nous allons mourir un jour ?

L’aspect psychologique est important, mais la démarche éducative est aussi un axe d’espoir… comment faire prendre conscience à tous les citoyens l’importance de réagir !?

Il ne faut plus se voir comme des êtres immortels, tous puissants, capables de trouver des solutions techniques à tous nos problèmes. Il y a un travail psychologique à réaliser. Comment faire face à toutes ces émotions ? Il y a aussi un travail politique où il convient de changer notre perception de la civilisation et de penser que l’entraide fonctionne aussi très bien comme manière de vivre ensemble. Même si nous sommes dans une société plutôt individualiste et libérale, nous pouvons avoir confiance dans la capacité de l’humanité à faire preuve de solidarité.

Que répondre aux personnes qui considèrent que tout ce que vous venez d’évoquer est de la pure fiction ?

Je les laisse tranquilles. Je ne vois pas d’intérêt à convaincre absolument tout le monde de la collapsologie ou de l’effondrement en cours. L’idée est plutôt de poser des questions qui pourraient amener les gens petit à petit à penser que notre civilisation n’est pas durable et qu’elle va s’effondrer beaucoup plus vite que nous l’imaginons. Pour autant, il faut douter avec les gens. Moi-même je ne suis pas sûr de ce qui va arriver.

Essayons juste de nous poser les bonnes questions. La collapsologie, plutôt que de se faire peur, invite justement à transformer notre imaginaire de l’effondrement.

Très concrètement, je propose à tous ceux qui doutent de regarder la série Next de Clément Montfort ou bien le livre de Pablo Servigne et Raphaël Stevens qui s’appelle « Comment tout peut s’effondrer ? » Et au fur et à mesure, nous prenons conscience que notre civilisation est extrêmement mortifère et destructrice. À ceux qui pensent que je me complais dans une vision sombre de l’avenir, j’ai envie de leur répondre que c’est plutôt si notre civilisation continue comme aujourd’hui que l’avenir serait vraiment noir.

Entretien réalisé en partenariat avec les étudiants en journalisme de l’EFJ.

Photo de couverture : Victor Rodriguez via Unsplash

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