Une bataille de l’eau se déroule depuis une dizaine d’années entre Marais poitevin, rivière Boutonne et fleuve Charente.
Cela fait plusieurs années que j’entends parler de cette bataille de l’eau. De loin, le débat se résume pour moi en une lutte entre de grands cultivateurs irriguant et des habitants du même territoire. Ces deux camps s’opposent depuis la création de réserves d’eau aux abords du Marais poitevin, en 2007.
D’un côté, les groupements d’agriculteurs veulent construire de grandes « bassines ». Leur objectif : sécuriser l’approvisionnement. Leur logique : pomper l’eau dans les nappes l’hiver et la stocker pour irriguer l’été, lorsque le maïs mobilise les arroseurs en période de sécheresse. « Nous prenons de l’eau qui sinon, part à la mer », affirment-ils.
De l’autre, les citoyens réunis en collectif sonnent l’alarme. « L’eau est un bien commun, ne la laissons pas privatiser », répliquent-ils. Devant des rivières à sec, ils dénoncent les volumes excessifs des prélèvements et veulent un autre projet de territoire, qui tienne compte des réalités de milieux fragiles et déjà surexploités.
Pour connaître davantage les seconds que les premiers, et pour vivre dans un paysage fortement marqué par plus d’un demi-siècle d’orientations agricoles, je me faisais une idée assez claire de la ligne de partage entre les deux camps.
Or, cette bataille ne se joue pas sur un échiquier, entre pions blancs et pions noirs. Je suis donc allée sur le terrain, avec des questions. Ces habitants d’un même territoire s’affrontent depuis des années. Ils se connaissent. Quels sont leurs enjeux ? Quelle vision de son devenir portent-ils ?
No Bassaran
En août 2017, un arrêté inter préfectoral valide le projet d’ouvrages sur le bassin de la Sèvre niortaise présenté par la coopérative anonyme de l’eau des Deux-Sèvres : 19 réserves de substitution pour stocker 8,8 millions de m3 d’eau pompée l’hiver dans les nappes, plus un maintien des prélèvements d’été de plus de 7 millions de m3. Coût total : 60 millions d’euros, dont 70 % de financements publics.
L’année est marquée par une sécheresse hivernale et estivale. Plus de 1000 kilomètres de cours d’eau sont à sec. Après une enquête publique aux conclusions controversées, l’autorisation administrative reste en travers de nombreuses gorges. Un collectif citoyen « Bassines non merci » se crée. Fédérations de pêcheurs, associations de protection de la nature, élus et une partie des agriculteurs le soutiennent. Des manifestations ponctuent l’automne et l’hiver. Avec un slogan en forme de mot-valise : No Bassaran !
La FNSEA soutient les projets de réserves, tandis que la Confédération paysanne apporte de l’eau au moulin du collectif. La question divise bien au-delà du monde agricole. Plans, études d’impact, actes administratifs… Le dossier est épais de milliers de pages. Il mobilise par centaines d’heures experts, fonctionnaires, préfets et élus.
Les mois à venir seront décisifs. Chaque camp mobilise ses troupes. Dimanche 4 mars 2018, le collectif « Bassines non merci » organisait une « marche des pigouilles » à Mauzé-sur-le-Mignon, dans le Marais poitevin, avec plus de 2000 personnes. Le même jour, la coopérative de l’eau invitait la presse à un « aper’eau » à Prahecq, avec 80 personnes. C’est dans ce contexte que s’ouvre l’enquête publique pour un autre projet sur la rivière Boutonne : 24 réserves, 6 millions de m3 pour un coût de 31 millions d’euros.
Dans la Vienne, le 18 mars, 600 personnes marchent pour dire non à 41 « bassines ». Dans les tuyaux, l’ensemble des projets totalise 200 ouvrages.
Épisode 1 — Hervé Gaborit, un éleveur à l’heure du choix
Épisode 2 — Thierry Bouret, céréalier : la politique de la réserve
Épisode 3 — Marais poitevin : la détermination de l’eau
Épisode 4 — Paysans : de la terre à la mer