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Jeudi 22 mars 2018
par Véronique Duval
Véronique Duval
Auteur de Rencontre avec des paysans remarquables, publié fin 2017 aux éditions Sud Ouest, Véronique Duval vit en Charente-Maritime. Journaliste venue du documentaire audiovisuel, elle s’intéresse aux transformations sociales ainsi qu’à notre relation au vivant et aux paysages. Elle a cofondé un maison d’édition associative, La nage de l’ourse.

Éleveur et cultivateur, Hervé Gaborit fait paître ses vaches en prairies, mais il a besoin de maïs pour les nourrir l’hiver. Il irrigue ses cultures et le projet de construction de retenues d’eau lui semble une bonne idée. Pourtant, aujourd’hui, il hésite à s’engager pour 20 ans dans ce projet porté par une société coopérative.

Notre autrice Véronique Duval a sillonné le Poitou-Charentes pour comprendre les enjeux des réserves d’eau. Pour comprendre son point de départ, direction notre contexte d’introduction : Les bassines de la discorde.

Première étape : jeudi 8 février. Sous le soleil hivernal, la route étroite file vers l’horizon dans la plaine. Un panneau à droite : Le grand Courdeault. Une grange, des panneaux photovoltaïques, deux étables où des blondes d’Aquitaine et des veaux observent ma voiture. La tour ronde d’un ancien pigeonnier. Un homme s’avance, en vêtement de travail. Il est grand, le regard clair et droit sous des cheveux grisonnants. C’est Hervé Gaborit, éleveur et producteur de céréales.

Il avait 4 ans lorsque ses parents, Joseph et Mylène, arrivèrent de la Vendée voisine avec leurs trois enfants. « On était des migrants », dit le père. Leurs vaches charolaises sont du voyage. C’était en 1969, une époque où « toutes les fermes avaient de l’élevage », rappelle Hervé. L’aîné de la fratrie voit ses parents travailler dur pour remettre en culture des terres, arracher des vignes et rénover des bâtiments en ruine.

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Hervé est éleveur et producteur de céréales. Il a besoin d’eau — Photo : Véronique Duval

Déjà, la conquête de l’eau fait partie de l’histoire. Pour nourrir ses bêtes, le père sème du maïs, comme en Vendée. Mais la ferme se trouve sur « des petites terres » peu profondes et le climat est plus sec. La récolte est compromise. Grâce à l’eau d’un forage, les rendements sont au rendez-vous. Joseph développe l’irrigation. C’est l’avenir ! La ferme s’agrandit peu à peu, passe de 76 hectares à 130 lorsque le fils s’installe, en 1986.

Aujourd’hui, elle compte 236 hectares. Trois personnes y travaillent. Le troupeau — quelque 250 animaux, dont une centaine de mères allaitantes, pâturent d’avril à novembre dans des prairies naturelles. Pour nourrir ses bêtes l’hiver, l’éleveur cultive de 10 à 15 hectares de maïs, mis à fermenter en ensilage. Il produit aussi des céréales : blés et maïs grain. Lequel sert « à engraisser les canards, les oies, pour faire le foie gras. Ça rentre aussi dans la composition d’aliment du bétail. » L’éleveur vend ses récoltes, mais aussi ses taurillons, vaches et veaux à la coopérative, Terrena, un important groupe de 15 000 salariés.

Dans les années 80, tout le monde faisait ce qu’il voulait.

Les cultures irriguées font partie de l’histoire de la ferme, mais aujourd’hui, Hervé s’interroge. Les temps ont changé. En 1989, « tout le monde arrosait », se souvient-il. Open Bar ! Il vient de s’associer avec son père, quand la nappe de leur forage cesse de fournir de l’eau. Trop de pompage en amont. « On n’a pas réussi à arroser notre maïs correctement. » L’ensilage, qui consiste à conserver des produits agricoles en silo pour nourrir les animaux, fait défaut. « À l’époque, on n’avait pas de prairies, pas de foin. Il a fallu qu’on fasse un choix. »

Le dilemme est simple : faut-il cesser l’irrigation, et donc l’élevage, pour se concentrer sur les seules céréales ? Mais comment assurer deux revenus avec les 130 hectares de la ferme ? Ce n’est pas suffisant… « On faisait des pommes de terre, on avait besoin d’irriguer. On a pris l’initiative de construire une réserve d’eau. » Avec sa capacité de 60 000 m3, « on était autonomes en eau et on pouvait garder nos bêtes. »

Hervé le reconnait : « L’irrigation incontrôlée posait des problèmes. On abaissait le niveau des rivières. Donc est venue la gestion volumétrique individuelle. » L’administration instaure la diminution progressive des quotas d’eau. Puis la gestion de l’eau à titre collectif.

Pour conserver leur quota, les agriculteurs doivent en 2011 adhérer à la coopérative anonyme de l’eau des Deux-Sèvres, qui porte le projet des réserves. « J’ai demandé 30 000 m3. Ensuite, la gestion se fait en fonction des piézomètres. » Cet appareil mesure le niveau d’eau d’une nappe en un point. La Préfecture s’y réfère pour prendre, au printemps et en été, des arrêtés d’éventuelles restrictions d’usage. « Tout ça, pour maintenir un peu d’eau dans les rivières. »

La situation s’est inversée depuis les années 1980 : « Ceux qui irriguent aujourd’hui ont cet avantage. Si vous arrêtez, demain, terminé, vous n’arroserez plus, » affirme l’éleveur. Au total, il dispose de 90 000 m3 : de quoi assurer les rendements du maïs ensilage et des cultures de printemps. Ce jour-là, il est justement en train de pomper dans la Courance, qui coule ses flots clairs à quelques pas de la maison, pour remplir sa réserve. « Là aussi, il faut attendre l’autorisation pour pouvoir le faire. Je prends 70 m3/heure. »

L’heure du choix

Que pense l’éleveur de ce projet de réserve ? Il trouve l’idée « très bonne » et s’en explique : « il n’y a pas à proprement parler de pénurie d’eau, car la quantité est constante. » C’est plutôt la répartition et la qualité qui posent problème : « Dans notre secteur, il en tombe l’hiver suffisamment pour qu’il y ait des inondations. Nous, on aimerait qu’elle tombe l’été pour pouvoir cultiver du maïs. »

Hervé a des choses à dire sur le cycle de l’eau local. Dans ce territoire proche du Marais poitevin, les terres basses faisaient fonction d’éponge pendant les crues hivernales et retenaient l’eau. Mais Hervé et son père ont vu, depuis quelques décennies, l’élevage et le maraîchage traditionnels supplantés par le développement de la culture de céréales. Avec des conséquences que raconte Hervé. « Les éleveurs qui avaient des prairies sur le bord du Mignon ont dit : on ne s’en sert plus, on va les mettre en culture. Pour cela, on va les drainer. » Sur des milliers d’hectares, on a accéléré le départ de l’eau vers la mer. Aujourd’hui, Hervé fait partie des derniers éleveurs du secteur. Demain, les vaches auront-elles disparu des paysages ?

Les 8 millions de m3 que doivent stocker les 19 réserves sont surtout destinés à l’irrigation des cultures intensives de maïs et de blé. Hervé le sait. Le projet a reçu les autorisations administratives. La construction des premiers ouvrages n’attend que les décisions de financements de l’Agence de l’eau et de la Région. Pour les adhérents, c’est l’heure du choix : « Au premier semestre, ils vont nous demander si on veut réellement s’engager ou pas. » Hervé signera-t-il ? Rien n’est moins sûr.

Tous les adhérents participent au financement du projet, mais seule la moitié d’entre eux va avoir accès aux réserves.

Certes, il a besoin d’eau. Il pourrait se passer de maïs grain. Mais pas du maïs ensilage. « Je fais 450 tonnes de foin par an. Mais j’ai besoin d’énergie. En juin, je fais un bilan fourrager avec mon technicien. En fonction du foin récolté, il me dit : il va te falloir 10 ou 15 hectares de maïs… Avec 10 hectares, je vais récolter l’équivalent de 40 hectares de foin ! » Alors ? « Je suis plutôt favorable aux réserves de substitution, dit-il, sauf que le gros souci aujourd’hui, c’est leur coût. Même subventionné à 70 %. »

Privilégier l’accès à l’eau ?

La coopérative vient de réévaluer ses tarifs. Hervé a fait ses calculs. Chaque mètre cube d’eau lui coûte entre 7 et 8 centimes. Demain, ce sera plus du double. Stylo en main, il démontre comment cela affectera sa marge à l’hectare. « Aujourd’hui, une fois que vous avez enlevé l’irrigation et les frais de séchage, la marge brute tombe à 600 euros. Si demain, vous ajoutez ces frais, vous n’êtes plus qu’à 400. C’est une marge brute d’un petit blé non irrigué. On va irriguer pour augmenter notre rendement. Mais si le coût est plus cher que ce que vous allez gagner, il ne faut pas le faire. »

L’exploitant adhère à la coopérative pour garder un quota d’eau. Tous les adhérents participent au financement du projet, mais seule la moitié d’entre eux va avoir accès aux réserves. « L’autre moitié continuera à prélever sur le milieu. C’est notre cas. » Alors, il envisage une autre voie : se passer de prélèvements d’eau l’été, donc de l’adhésion à la coopérative. « Il va falloir que je me débrouille avec mes 60 000 m3. J’arrêterai certainement de faire du maïs grain. Ou alors des variétés qui ont besoin de très peu d’eau. Il faudra que je fasse des choix… Le blé dur, peut-être. Et les orges de brasserie… Ma sécurité, ce sera mon maïs ensilage. »

Au lieu de faire des réserves, privilégier ceux qui en ont réellement besoin :
les éleveurs et les producteurs de légumes ?

Adhérer ou pas ? Chacun doit se prononcer, pour un engagement à long terme : 20 ans. « Il faut bien réfléchir où on va », souligne Hervé. Combien sont-ils à douter ? « Le projet ne se fera que si 80 % des gens se lancent. Quand j’en parle, beaucoup se posent des questions. »  Les contraintes diffèrent d’une exploitation à l’autre. « Certains n’auront pas le choix… Moi j’ai ma réserve, je suis un peu à part. Aujourd’hui, je ne regrette pas de l’avoir. »

Hervé aurait bien une autre idée : « l’administration nous dit de diminuer les prélèvements de moitié. Au lieu de faire des réserves qui coûtent très cher, pourquoi ne privilégierait-on pas plutôt ceux qui en ont réellement besoin : les éleveurs et les producteurs de légumes ? On aurait des coûts identiques à ceux d’aujourd’hui. Ceux qui font du maïs grain ne pourraient plus en faire. Mais à la coopérative de l’eau, il y a 80 % des gens qui font du maïs grain, ils ne peuvent pas l’entendre. Si demain, je le dis à l’assemblée générale, je vais être tout seul, je le sais. »

Véronique Duval
Auteur de Rencontre avec des paysans remarquables, publié fin 2017 aux éditions Sud Ouest, Véronique Duval vit en Charente-Maritime. Journaliste venue du documentaire audiovisuel, elle s’intéresse aux transformations sociales ainsi qu’à notre relation au vivant et aux paysages. Elle a cofondé un maison d’édition associative, La nage de l’ourse.
Retrouvez cet article dans le feuilleton :

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