3 minutes de lecture
Jeudi 22 mars 2018
par Véronique Duval
Véronique Duval
Auteur de Rencontre avec des paysans remarquables, publié fin 2017 aux éditions Sud Ouest, Véronique Duval vit en Charente-Maritime. Journaliste venue du documentaire audiovisuel, elle s’intéresse aux transformations sociales ainsi qu’à notre relation au vivant et aux paysages. Elle a cofondé un maison d’édition associative, La nage de l’ourse.

Une bataille de l’eau se déroule depuis une dizaine d’années entre Marais poitevin, rivière Boutonne et fleuve Charente.

Cela fait plusieurs années que j’entends parler de cette bataille de l’eau. De loin, le débat se résume pour moi en une lutte entre de grands cultivateurs irriguant et des habitants du même territoire. Ces deux camps s’opposent depuis la création de réserves d’eau aux abords du Marais poitevin, en 2007.

D’un côté, les groupements d’agriculteurs veulent construire de grandes « bassines ». Leur objectif : sécuriser l’approvisionnement. Leur logique : pomper l’eau dans les nappes l’hiver et la stocker pour irriguer l’été, lorsque le maïs mobilise les arroseurs en période de sécheresse. « Nous prenons de l’eau qui sinon, part à la mer », affirment-ils.

Bassine de rétention d'eau
On stocke l’eau dans une bassine pour pouvoir irriguer même pendant les sécheresses de l’été — Photo : Nature environnement 17

De l’autre, les citoyens réunis en collectif sonnent l’alarme. « L’eau est un bien commun, ne la laissons pas privatiser », répliquent-ils. Devant des rivières à sec, ils dénoncent les volumes excessifs des prélèvements et veulent un autre projet de territoire, qui tienne compte des réalités de milieux fragiles et déjà surexploités.

Pour connaître davantage les seconds que les premiers, et pour vivre dans un paysage fortement marqué par plus d’un demi-siècle d’orientations agricoles, je me faisais une idée assez claire de la ligne de partage entre les deux camps.

Or, cette bataille ne se joue pas sur un échiquier, entre pions blancs et pions noirs. Je suis donc allée sur le terrain, avec des questions. Ces habitants d’un même territoire s’affrontent depuis des années. Ils se connaissent. Quels sont leurs enjeux ? Quelle vision de son devenir portent-ils ?

No Bassaran

En août 2017, un arrêté inter préfectoral valide le projet d’ouvrages sur le bassin de la Sèvre niortaise présenté par la coopérative anonyme de l’eau des Deux-Sèvres : 19 réserves de substitution pour stocker 8,8 millions de m3 d’eau pompée l’hiver dans les nappes, plus un maintien des prélèvements d’été de plus de 7 millions de m3. Coût total : 60 millions d’euros, dont 70 % de financements publics.

L’année est marquée par une sécheresse hivernale et estivale. Plus de 1000 kilomètres de cours d’eau sont à sec. Après une enquête publique aux conclusions controversées, l’autorisation administrative reste en travers de nombreuses gorges. Un collectif citoyen « Bassines non merci » se crée. Fédérations de pêcheurs, associations de protection de la nature, élus et une partie des agriculteurs le soutiennent. Des manifestations ponctuent l’automne et l’hiver. Avec un slogan en forme de mot-valise : No Bassaran !

bassine, no bassaran, agriculteurs, éleveurs, irrigation, marais poitevin, rivière boutonne, environnement, écologie, sécheresse, poitou-charentes, véronique duva, revue far ouest, nouvelle-aquitaine, sud-ouest, enquête, documentaire, long format

La FNSEA soutient les projets de réserves, tandis que la Confédération paysanne apporte de l’eau au moulin du collectif. La question divise bien au-delà du monde agricole. Plans, études d’impact, actes administratifs… Le dossier est épais de milliers de pages. Il mobilise par centaines d’heures experts, fonctionnaires, préfets et élus.

Les mois à venir seront décisifs. Chaque camp mobilise ses troupes. Dimanche 4 mars 2018, le collectif « Bassines non merci » organisait une « marche des pigouilles » à Mauzé-sur-le-Mignon, dans le Marais poitevin, avec plus de 2000 personnes. Le même jour, la coopérative de l’eau invitait la presse à un « aper’eau » à Prahecq, avec 80 personnes. C’est dans ce contexte que s’ouvre l’enquête publique pour un autre projet sur la rivière Boutonne : 24 réserves, 6 millions de m3 pour un coût de 31 millions d’euros.

Dans la Vienne, le 18 mars, 600 personnes marchent pour dire non à 41 « bassines ». Dans les tuyaux, l’ensemble des projets totalise 200 ouvrages.

Épisode 1 — Hervé Gaborit, un éleveur à l’heure du choix

Épisode 2 — Thierry Bouret, céréalier : la politique de la réserve

Épisode 3 — Marais poitevin : la détermination de l’eau

Épisode 4 — Paysans : de la terre à la mer

Véronique Duval
Auteur de Rencontre avec des paysans remarquables, publié fin 2017 aux éditions Sud Ouest, Véronique Duval vit en Charente-Maritime. Journaliste venue du documentaire audiovisuel, elle s’intéresse aux transformations sociales ainsi qu’à notre relation au vivant et aux paysages. Elle a cofondé un maison d’édition associative, La nage de l’ourse.
Retrouvez cet article dans le feuilleton :

Bassine et Moi

Rétention d'eau : les bassines de la discorde

Une bataille de l’eau se déroule depuis une dizaine d’années entre Marais poitevin, rivière Boutonne et fleuve Charente.

Retenues d'eau : un éleveur à l'heure du choix

Éleveur et cultivateur, Hervé Gaborit fait paître ses vaches en prairies, mais il a besoin de maïs pour les nourrir l’hiver. Il irrigue ses cultures et le projet de construction...

Eau : la politique de la réserve

Thierry Bouret, important céréalier dans la plaine d’Aunis, défend l’installation de retenues d’eau pour irriguer ses champs. Pour lui, la question des bassines est avant tout...

Marais poitevin : la détermination de l'eau

ZAD ou pas ? Aux enjeux des agriculteurs s'ajoutent ceux de l'écotourisme et de la préservation du Marais poitevin. Julien Le Guet est l’un des créateurs de La Frenaie, un...

Paysans : de la terre à la mer

Les paysans de la mer s'inquiètent des conséquences de l'agriculture intensive sur leur activité.

Eau en Nouvelle-Aquitaine : pénurie en vue

Du fait des bouleversements climatiques et des activités humaines, la première des ressources de l’Humanité apparaît menacée dans toutes les simulations scientifiques. Acteurs...

Ces épisodes pourraient vous intéresser
Histoire(s) Noire(s)

Copena : la quête de l'africanité

Copena : la quête de l'africanité

Marie-George Thébia est une historienne et écrivaine guyanaise. Elle était à Bordeaux pour le climax festival, pour intervenir autour de la forêt, du refuge de la liberté...
Far Ouest Radio

Nouvelle-Aquitaine, la mine d’or se réveille

Nouvelle-Aquitaine, la mine d’or se réveille

Contre toute logique environnementale et même économique, les mines d’or pourraient bientôt redevenir une réalité sur le territoire métropolitain. Depuis 2018, plusieurs projets...
Soutenez Revue Far Ouest !

Nous avons besoin de 1 000 nouvelles souscriptions pour continuer à exister.

Découvrir nos offres d’abonnement