Épisode 7
3 minutes de lecture
Jeudi 24 avril 2025
par Mélissa Huon

Les agriculteur·ices ont 43,2% plus de risque de se suicider que le reste de la population. Et chez les plus de 65 ans, le risque de suicide est deux fois plus élevé.
Que se passe-t-il, loin dans les exploitations agricoles ?

Attention, cet article va aborder des sujets sensibles autour de la santé mentale et du suicide. Si vous rencontrez ces difficultés, ou connaissez un proche en danger, n’hésitez pas à consulter toutes les ressources sur ce site.

Y a-t-il plus de suicides chez les agriculteurs?

« En août dernier, j’ai failli passer à l’acte. » Les déclarations de Rémi Dumaure, éleveur de volailles en Dordogne, lors du dernier Salon de l’Agriculture ont fait ressurgir le phénomène qui frappe de plein fouet le monde de l’agriculture, où le taux de suicide est plus élevé que dans d’autres secteurs professionnels. « Je bosse 100 heures par semaine sur mon exploitation, et cela fait trois ans que je ne sors pas de revenus. C’est ma femme qui me fait vivre », a raconté Dumaure à Emmanuel Macron, révélant la difficile situation que traversent certains agriculteurs.

Les derniers chiffres dont on dispose remontent à 2016. Cette année-là, la Sécurité sociale agricole (MSA) a recensé 529 suicides parmi les 1,6 million d’assurés du régime agricole, et 604 suicides l’année précédente.

Des chiffres qui sous-estiment l’ampleur de la situation, car ils ne prennent pas en considération les agriculteurs qui ne sont pas affiliés à la MSA et qui, par conséquent, ne sont pas comptabilisés.

D’où vient le mal-être des agriculteurs?

De nombreux facteurs entrent en jeu lorsque l’on parle des difficultés rencontrées par les agriculteurs. Certains reviennent dans les témoignages des paysans : l’endettement, le sentiment de dénigrement, l’isolement, les relations familiales complexes dans le monde agricole en raison de l’héritage et du poids de la transmission. Le modèle agricole lui-même qui pousse parfois à une course à l’agrandissement, un sentiment de perte de la liberté d’exploiter, la surcharge de travail et le manque de reconnaissance.

La question économique semble aussi être directement liée à la détresse des agriculteurs. Cette population présente un taux de pauvreté plus élevé que la moyenne : 16 % contre 14 % dans la population générale.

En mars 2021, un rapport présenté au Sénat constatait que «le phénomène du suicide en agriculture semble inséparable du contexte historique de modernisation de ce secteur». Pour eux, la révolution agricole que la France a connue au milieu du XXème siècle a affecté massivement les paysans dès l’après-guerre, tant dans la nature du travail que dans l’identité professionnelle, sociale et personnelle des agriculteurs, effaçant la frontière entre leur vie privée et leur activité.

S’agit-il d’un phénomène nouveau?

Eh bien, non. Les données collectées depuis les années 1970 montrent que le taux de suicide augmente depuis des décennies. Il reste proportionnellement plus élevé que celui du reste de la population, notamment depuis le changement du modèle agricole à la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Cependant, c’est l’explosion des chiffres de suicides dans les années 2000-2010 qui a poussé le gouvernement en 2011 à mener de nouvelles études auprès des organismes sociaux, qui se sont enfin emparés de la question.

Les premiers cas de suicide chez les agriculteurs-éleveurs ont été relevés dès la fin des années 1960, avec une hausse de dépressions et de suicides entre 1967 et 1974 attribuée à la mise en place des politiques d’incitation économiques et au premier choc pétrolier. Les chercheurs parlent d’un phénomène devenu endémique entre 1974 et 2002, et d’une aggravation de la souffrance au travail entre 2000 et 2010.

En comparaison, le rapport des sénateurs rappelle que l’ouvrage « Le suicide », publié par Émile Durkheim en 1897, avait montré une faible mortalité par suicide des paysans au XIXème siècle. Pour le sociologue, cela s’expliquait car, contrairement aux professions libérales de l’époque, l’industrie agricole semblait être épargnée par la fièvre des affaires qui avait déjà touché d’autres métiers commerçants.

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