OBSOLESCENCE (DÉ)PROGRAMÉE
ÉCOLOGIE : LIVRE OU LISEUSE ?
« Pensez à l’environnement, n’imprimez ce mail que si nécessaire » : combien de fois a-t-on lu cette injonction en guise de signature électronique ? Nous sommes aujourd’hui convaincus que le papier est à éviter, car le fabriquer tue des arbres, et donc l’environnement (en gros). L’alternative ? Dématérialiser un maximum en numérisant nos documents, parce que c’est plus écologique. Soit.
Sans oublier que l’empreinte environnementale d’un objet ne se limite pas à ses émissions de CO2. Quels sont alors les autres critères pris en compte ?
Et puis on a commencé à entendre de petites voix discordantes, arguant que le numérique n’était pas si léger que ça. En tout cas, pas plus léger qu’une feuille de papier. Dans un épisode précédent, j’ai enquêté sur
ce qu’il y a dans nos smartphones, et plus généralement dans nos appareils électroniques. L’image « propre » et « verte » du numérique en a pris un coup. Aussi, cette histoire de dématérialisation écologique méritait qu’on aille voir de plus près…
Liseuse versus livre papier : lequel est le plus écologique ?
Conférence de rédaction. Clémence, adepte des livres numériques, se tourne vers moi et me demande : « À ton avis, il faut combien de bouquins pour amortir l’empreinte environnementale d’une liseuse ? » Je la vois venir, avec son air innocent : me voilà partie pour enquêter sur l’impact du numérique.
Je la prends au mot – et commence donc mon enquête en me renseignant sur le poids environnemental d’une liseuse. Les chiffres que je trouve donnent toujours l’avantage aux livres physiques, mais dans des proportions allant du simple au triple. Pour le cabinet américain Cleantech, il faudrait acheter 65 livres avant de compenser l’empreinte d’une liseuse, tandis que pour Carbone 4, on monterait jusqu’à 180 livres.
Pourquoi un tel écart d’une étude à l’autre ? Pour plus de précisions, je contacte le BASIC (Bureau d’Analyse Sociétale pour une Information Citoyenne), qui a publié un rapport sur les impacts du secteur de l’édition en France. Au téléphone, Christophe Alliot, cofondateur, m’explique : « Ce qui est compliqué, c’est la composition de la liseuse. On ne connaît pas forcément tous les matériaux et composants, d’où ils viennent et comment ils sont fabriqués. Une telle complexité demande beaucoup de temps et de moyens pour investiguer, suppose une transparence totale de l’industrie et un vrai suivi des matériaux en fin de vie. »
Comment "rentabiliser " le coût écologique de sa liseuse ? - Photo : Perfecto Capucine
Réaliser une analyse de cycle de vie complète est donc un exercice compliqué, avec des limites évidentes. Sans oublier que l’empreinte environnementale d’un objet ne se limite pas à ses émissions de CO2. Quels sont alors les autres critères pris en compte ? « Tout le reste, comme les pollutions par exemple, est un angle mort » constate Christophe Alliot. Selon lui, une analyse de cycle de vie devrait comporter au moins trois ou quatre indicateurs.
Même discours du côté de Françoise Berthoud, chercheuse au CNRS à la tête du
groupe EcoInfo, dont les membres travaillent sur comment réduire les impacts négatifs du numérique. Selon elle, les trois principaux problèmes posés par les liseuses (et plus largement le numérique) sont : « l
es émissions de gaz à effet de serre, l’épuisement des métaux – dont le recyclage est très loin d’être optimal –, et les pollutions affectant la santé humaine et la biodiversité ».
Le livre, une filière complexe
L’impact du livre n’est pas beaucoup plus simple à jauger. La création d’un livre résulte d’une très longue chaîne qui commence par l’exploitation forestière et la fabrication de pâte à papier et se termine par le pilonnage et le recyclage des livres. Là encore, difficile d’avoir toutes les informations. Les filières d’approvisionnement varient : le bois peut venir d’une exploitation proche comme de l’autre bout du monde. Selon l’Union Française des Industries des Cartons, Papiers et Celluloses,
en 2016, la France a produit 1 720 000 tonnes de pâte à papier… Et en a importé 1 950 000 tonnes (dont la moitié du Brésil, d’après le rapport du BASIC).
Bref, le livre a des progrès à faire : la fabrication de papier – en particulier non-recyclé – consomme de nombreuses ressources. Du bois, mais aussi de l’eau, de l’énergie, des produits chimiques. Sans parler ensuite de toutes les étapes de l’impression, du transport et de la distribution.
À Saillat-sur-Vienne (Limousin), l’usine International Paper SA assure toute la chaîne de production, de l’exploitation du bois à la fabrication du papier.
Un reportage de France 3 Nouvelle-Aquitaine montre que ce modèle intégré est une exception dans le paysage français. Ailleurs, le bois, la pâte à papier puis le papier effectuent un vrai ballet d’importations et d’exportations, souvent vers l’étranger.
Pour en revenir à notre comparaison livres/liseuse, en dépit des limites évidentes de l’analyse, on peut avancer quelques chiffres plus précis. En termes d’émissions de gaz à effet de serre, le BASIC estime le poids carbone d’un livre à 2,1 kg, contre 270 en moyenne pour une liseuse. Ce qui veut dire qu’en dessous de 128 livres achetés, le bilan carbone le moins défavorable est celui du papier.
Sachant que les Français achètent en moyenne 12 livres par an – d’après le syndicat du livre – dont seulement 6 imprimés en noir et blanc (ceux qu’on lit sur les liseuses), il faudrait donc… 21 ans au Français moyen pour « amortir » une liseuse. « Avec ce qu’on sait de l’obsolescence programmée, c’est plus qu’optimiste » s’amuse Christophe Alliot du BASIC.
Au final, le constat est sans appel : à moins de consommer un, voire plusieurs livres par semaine, la balance ne penche pas en faveur de l’équipement numérique…
Un impact variable selon les usages
Si la différence est si évidente, comment a-t-on pu croire aussi facilement à la fable du numérique plus respectueux de l’environnement ? « Les problèmes liés aux équipements numériques arrivent surtout au début et en fin de vie : tout ça se passe loin de nous, dans les mines, dans les décharges ou les filières de recyclage, donc on ne le voit pas. » constate Françoise Berthoud du CNRS.
Un mail, sur l’ensemble de son cycle de vie, représenterait 20 grammes de CO2 émis dans l’atmosphère.
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