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Mercredi 24 mars 2021
par Vincent BRESSON
Vincent BRESSON
Fou curieux des communautés en décalage, Vincent regarde la société par ses marges et traine sa plume auprès de différents canards, avec un verre de Gaillac pour encrier.

Le très sérieux Groupe d’études et d’informations sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés (GEIPAN) classe la Gironde et la Haute-Garonne parmi les départements les plus favorables aux apparitions d’ovnis. Qu’est-ce qui rend le Sud-Ouest si accueillant pour les visiteurs venus d’ailleurs ?

Dimanche 13 janvier 1980, en bordure de la route nationale d’Étauliers — un village au nord de Bordeaux — un automobiliste déclare aux gendarmes avoir aperçu « un engin mystérieux dont les extrémités clignotaient » au petit matin. L’objet non identifié ne serait pas très grand, « environ cinq à six mètres de diamètre en forme de soucoupe ». L’homme, après être sorti de son véhicule, aurait été vite repéré. « Cet engin s’est mis en mouvement dans le sens inverse à mon sens de marche et à la vitesse d’environ 30 à 40 km/h », expliquera-t-il aux gendarmes dans le procès-verbal.

L’automobiliste est encore abasourdi : « Le plus surprenant, c’est que je n’ai entendu aucun bruit de moteur ni aucun bruit de manière générale. » Malgré l’enquête de la gendarmerie puis celle du GEIPAN, organisme public chargé de répertorier ces phénomènes aérospatiaux non identifiés (PAN) — qui juge ce témoignage crédible —, l’affaire n’est toujours pas élucidée, quarante ans plus tard.

Le GEIPAN ne trouve pas toujours de réponse aux apparitions mystérieuses qui lui sont rapportées. À défaut, l’organisme publie sur son site une carte recensant les régions où ces étrangetés sont les plus fréquentes. Le constat est sans appel : la Gironde et la Haute-Garonne sont fréquemment le théâtre d’apparitions non expliquées. Plus connu pour ses ballons ovales que pour ces soucoupes volantes, le Sud-Ouest serait pourtant propice à la chasse aux objets célestes.

Le centre national d'études spatiales, où se trouve le GEIPAN
Le centre national d’études spatiales, où se trouve le GEIPAN – Photo : Vincent Bresson

Depuis la création du GEIPAN en 1977, le département toulousain comptabilise 82 apparitions, quand le département bordelais en compte 74. Un seul département situé hors du Sud-Ouest vient se glisser sur le podium : les Bouches-du-Rhône, avec 76 phénomènes étranges.

C’est bien connu : il fait bon vivre au pays de la chocolatine, des poches et de l’ovalie. Les professeurs se bousculent pour s’y installer, les Anglais viennent y chercher un brin de soleil et les Franciliens s’y installent pour échapper à la grisaille parisienne. Et si les Terriens n’étaient pas les seuls à apprécier le Sud-Ouest ?

Bases aériennes et ciel dégagé

« Le GEIPAN, c’est un placard à ingénieurs. Ils emploient trois personnes pour un budget de 175 000 euros. Ce n’est pas grand-chose ». Quand on l’interroge sur les chiffres du service du Centre national d’études spatiales (CNES), Christian n’a pas sa langue dans sa poche. Pendant plusieurs années, il a été président des Repas ufologiques, une association de passionnés d’objets volants non identifiés.

Tous les sites sensibles liés au nucléaire ont été visités à maintes reprises que ce soit en France ou à l’étranger.

Comme nombre de ses confrères, il ne croit pas vraiment aux travaux du GEIPAN. Mais il a quand même un embryon de piste : « Les observations dépendent du temps et du lieu. Généralement, il va y en avoir davantage dans les secteurs où il y a davantage de soleil, car le ciel est dégagé, et en montagne, car les gens sont plus attentifs. »

Alain, un habitué des Repas ufologiques, est tout aussi méfiant envers le GEIPAN. Il confesse ne pas avoir établi de rapprochement entre le nombre d’observations et le lieu. Mais à y réfléchir, le Toulousain voit tout de même une explication. Qu’est-ce qui caractérise la ville rose et le port de la Lune ? Capitale européenne de l’aérospatiale, Toulouse pourrait être un lieu où les habitants sont plus habitués « à lever les yeux au ciel ». Mais « Bordeaux a aussi une bonne infrastructure aéronautique », rajoute Alain.

Les deux villes ont beau entretenir une certaine rivalité, elles ont un autre point commun soulevé par l’ufologue : « Elles possèdent des bases aériennes militaires, la BA 101 à Toulouse et la BA 106 à Mérignac. » Suffisant pour en faire des hauts lieux d’observations ?

Une culture ovni plutôt faible

Les signalements d’objets célestes particulièrement curieux peuvent être le fait de simples flâneurs ou d’ufologues chevronnés. Mais paradoxalement, si les Repas ufologiques sont très actifs à Toulouse, la région toulousaine n’est pas particulièrement férue d’ovnis. « Ce sont des chiffres surprenants, commente Didier Gomez, un ufologue basé à quelques dizaines de kilomètres de Toulouse auquel nous avions consacré un portrait. La Gironde et la Haute-Garonne n’ont jamais été des départements à fort quota d’ufologues, que ce soient ceux issus d’associations loi 1901 ou des ufologues enquêteurs privés. »

Didier Gomez et son livre OVNI, 50 ans d’enquêtes dans le Tarn
Didier Gomez et son livre OVNI, 50 ans d’enquêtes dans le Tarn – Photo : Vincent Bresson

Après OVNI, 50 ans d’enquêtes dans le Tarn, Didier Gomez prépare un second livre OVNI, sommes-nous sous surveillance ?, un ouvrage coécrit avec Stéphane Royer, le responsable des Repas ufologiques de Paris. Le postier y évoquera une idée partagée chez les amateurs : de très nombreuses apparitions se font à proximité des sites nucléaires.

Problème : quand on observe une carte des centrales, dans le Sud-Ouest, il n’en existe que deux, celles du Blayais et de Golfech. Le nucléaire ne pourrait donc difficilement expliquer la présence massive de phénomènes étranges dans le Sud-Ouest. Didier Gomez nuance : « Ce n’est pas parce qu’un département n’a pas d’installations nucléaires, militaires ou civiles, qu’il ne fera pas l’objet d’apparitions inexpliquées. Néanmoins, ce que nous mettons en avant dans notre livre, c’est que tous les sites sensibles liés au nucléaire ont été visités à maintes reprises que ce soit en France ou à l’étranger, sans exception. »

Une fréquence de visite qui a rarement été ne serait-ce que remarqué : « Cela n’a pas sauté aux yeux des ufologues dans les années 1970 et 1980, car on a dénombré des observations quasiment partout, même dans les lieux les plus reculés, et dans tous les pays. »

Et si c’était plus simple que cela ?

Dans l’esprit de certains passionnés, l’ufologie, c’est également l’art du doute. Leur constat est le suivant : les observations d’objets non identifiés sont trop nombreuses pour être toutes mensongères. Pour les chasseurs d’ovnis, l’explication n’est pas toujours à chercher du côté des petits hommes verts. Beaucoup avancent même qu’on ne sait tout simplement pas vraiment expliquer ces phénomènes. « On ne sait pas forcément grand-chose en ufologie », insiste Manuel Wiroth, auteur d’une thèse sur l’histoire de l’ufologie.

Densité, sites nucléaires, beau temps ou abondance d’ufologues ?

Le docteur en histoire contemporaine a beau ne pas avoir d’explication rationnelle à ces apparitions célestes, il donne tout de même une piste sur leur concentration en terre girondine et haute-garonnaise : « On sait qu’il y a une corrélation admise par tout le monde : le lien entre densité de population et observations. Grosso modo, plus il y a de monde hors situation très urbaine, plus il y a d’observations. Cette “loi” est respectée concernant la Gironde et la Haute-Garonne qui font partie des 10 départements les plus peuplés. »

Densité, sites nucléaires, beau temps ou abondance d’ufologues ? Au milieu de toutes ces tentatives d’explications, la piste la plus évidente mène vers les implantations géographiques du CNES et du GEIPAN. « Je pense que la localisation des bureaux du CNES à Toulouse et sa proximité avec le bordelais est peut-être une des explications, détaille Didier Gomez. En fait, la population de ces zones-là est plus sensibilisée qu’ailleurs sur l’existence d’un bureau s’occupant des histoires d’ovnis et recueillant ce type de témoignages. Donc les gens s’y livrent probablement plus qu’ailleurs et contactent le GEIPAN. » Le flot de sujets dans la presse régionale a probablement contribué à rendre la structure célèbre, entraînant ainsi des sollicitations plus nombreuses.

Qu’en pensent les premiers intéressés ? Quand on leur demande pourquoi les phénomènes aérospatiaux non identifiés sont si fréquents en Gironde et en Haute-Garonne, dans les services du CNES, la question fait sourire. Après réflexion, la réponse de Roger Baldacchino, le directeur du GEIPAN est la même que celle de l’ufologue tarnais : « C’est peut-être tout simplement dû au fait qu’on soit plus implanté dans le Sud-Ouest, car nous sommes basés à Toulouse. » Dommage, on aimait bien se dire que les charmes du Sud-Ouest avaient traversé la galaxie.

Vincent BRESSON
Fou curieux des communautés en décalage, Vincent regarde la société par ses marges et traine sa plume auprès de différents canards, avec un verre de Gaillac pour encrier.
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