Épisode 4
7 minutes de lecture
Jeudi 14 juin 2018
par Mathias Edwards
Mathias Edwards
Reporter spécialisé dans la culture et le football, qui ne font parfois qu'un, je travaille depuis 2011 pour le groupe So Press (So Foot, Society, So Film, Pédale!, Tampon, Dada...).

Le feuilleton qui voit les Girondins de Bordeaux négocier leur rachat par le fonds d’investissements états-uniens GACP serait sur le point de prendre fin. D’après nos informations, le season finale pourrait même être diffusé dans les dix jours. Malheureusement pour les supporters, il n’est pas sûr qu’il s’agisse d’un happy end.

Les premières rumeurs sont apparues au début du mois de mars dernier. Sur Twitter, des messages font échos de discussions entre Nicolas de Tavernost, président du Groupe M6, et de mystérieux investisseurs américains désireux d’entrer dans le capital des Girondins de Bordeaux. De quoi nourrir les fantasmes des supporters du club marine et blancs, bien conscients que le modèle de gestion du club par M6 a atteint ses limites. Il ne faudra que quelques jours pour que l’identité de ces fameux Américains soit révélée : il s’agit de General American Capital Partners LLCP (GACP), un fonds d’investissement dirigé par Joseph DaGrosa Jr., qui a fait fortune en rachetant, puis en revendant, 248 Burger King en situation de dépôt de bilan aux États-Unis.

Mais les chiffres vont rapidement doucher l’enthousiasme général : à cette étape des discussions, GACP ne dispose que de 5 à 10 millions d’euros, alors que Nicolas de Tavernost en réclame 70, plus 70 autres en fonds propres, pour céder le FCGB. Si le dirigeant n’a jamais caché être ouvert à toute offre de rachat des Girondins, il a toujours été clair : les Girondins ne seront pas vendus à n’importe qui, comme il l’affirmait en mai 2016 dans les colonnes de Sud Ouest : « Nous avons reçu des offres de reprise, d’horizons différents, parfois financièrement intéressantes, mais pas suffisamment solides pour préserver l’avenir du club. » M6 souhaite se séparer des Girondins, mais pas à n’importe quel prix. Et laisse à GACP jusqu’au 15 juin, date de l’ouverture du marché des transferts, pour réunir une somme suffisante.

C’est désormais une vente du club dans les 10 jours qui est sur toutes les lèvres.

Depuis ces révélations du 20 mars dernier, le feuilleton entre GACP et les Girondins ne cesse de livrer de nouveaux épisodes, souvent diffusés le lundi, les deux partis discutant le bout de gras en regardant les matchs des Bordelais. Et si les négociations semblent toujours ouvertes, elles tardent à livrer leur verdict. Ainsi, le 23 avril, GACP aurait proposé 45 millions (plus 45 autres en fonds propres). Toujours pas suffisant pour faire flancher M6, qui se montre inflexible sur la somme réclamée. Trois jours plus tard, d’autres sources indiquent que l’Américain poserait désormais sur la table 50 millions (plus 65 millions en fonds propres). Tavernost reste de marbre, et affirme même que quoi qu’il arrive, M6 refusera de couper la poire en deux.

Au soir du 15 juin 2018, la chaîne aura vendu la totalité, ou en restera propriétaire à 100 %. La possibilité de l’arrivée d’un actionnaire minoritaire est désormais exclue. Le 12 mai, dans la foulée d’une victoire capitale des hommes de Gustavo Poyet face à Toulouse, le club publie un communiqué via Twitter : « Nicolas de Tavernost annonce que les garanties n’ont pas été apportées pour que la session se fasse dans les prochains jours. Les discussions continuent jusqu’au 15 juin comme prévu. » Malgré une qualification inespérée pour la coupe d’Europe décrochée lors de l’ultime journée de championnat, synonyme de pouvoir d’attraction en raison des retombées financières qu’elle est susceptible de générer, GACP ne s’est pas encore décidé à verser dans la trousse de M6 les quelques billes manquantes pour s’offrir les Girondins.

Mais ces derniers jours, le rythme des négociations s’est accéléré. Depuis le début du mois de juin, Joseph DaGrosa Jr. s’est rendu à plusieurs reprises au Haillan. Et visiblement, le Floridien n’a pas fait ces déplacements pour rien. À tel point que le 12 juin, Stéphane Martin, le Président délégué des Girondins de Bordeaux, réunissait les cadres dirigeants du club pour leur demander de se préparer à la vente très prochaine de l’entreprise FCGB. Martin avait beau tenter un rétropédalage dès le lendemain, dans les couloirs du château du Haillan, c’est désormais une vente du club dans les 10 jours qui est sur toutes les lèvres.

M6 vendra, vendra pas ? — Photo : Greg Looping/Hans Lucas

Le feuilleton du rachat va-t-il devenir le téléfilm de l’été ? Pour patienter en attendant les prochains épisodes, Pierre Rondeau, économiste du sport et professeur à l’université Paris 1, a classé pour Revue Far Ouest les cinq types de repreneurs possibles pour les Girondins de Bordeaux. C’est peu dire que GACP n’a pas franchement le profil de l’acquéreur idéal.

Les fonds souverains

« Ils investissent dans un but de médiatisation, de visibilité. Ils s’en foutent de ne pas dégager d’argent. Pour eux, l’important est la crédibilité internationale liée à la performance sportive, comme l’ont fait les Qataris au Paris Saint-Germain, ou les Emiratis à Manchester City. À travers cela, ils peuvent faire du soft power, améliorer leur renommée, et au sein du concert des nations, jouer un rôle particulier par le prisme du football. »

La probabilité pour qu’un tel investisseur reprenne les Girondins : quasi nulle. Les États ayant intérêt à investir dans un club de football l’ont quasiment tous déjà fait, et Bordeaux n’est pas d’un calibre suffisant pour les intéresser. Et s’il reste quelques seconds couteaux, l’expérience des Azéris à Lens à de quoi laisser sceptique.

Les Chinois

« Les Chinois ne viennent pas non plus dans un but lucratif, mais dans un but sportif. Ils sont là pour capter, copier, voler le savoir-faire européen, et particulièrement français, en matière footballistique. Ils ont pris des parts à Nice et à Lyon, et ont racheté Auxerre et Sochaux, avant tout parce que le pouvoir chinois vit très mal que son pays soit une nation exécrable en football. Ils n’ont aucune culture footballistique, ils sont extrêmement mauvais. Donc sous l’impulsion du gouvernement chinois, par le biais d’exonérations fiscales, il y a de plus en plus de collaborations entre les clubs européens et des investisseurs chinois. C’est un échange de bons procédés. Par exemple, il y a une école AJA en Chine, avec un staff d’entraîneurs auxerrois qui n’entraîne pas les joueurs, mais les entraîneurs locaux, pour qu’ils captent le savoir-faire technique français. Et Auxerre a accueilli de jeunes joueurs chinois, parait-il extrêmement mauvais. »

La probabilité pour que des Chinois rachètent Bordeaux : moyennement élevée. Les Chinois rachetant à tour de bras des vignobles du Bordelais, la rumeur persiste quant à un possible intérêt de leur part pour les Girondins, sans véritable élément tangible. Effectivement, les profils d’investisseurs dans le vin et le football sont bien différents, attention aux amalgames !

La logique de pérennité, facteur de réussite dans le sport, est totalement reniée.

Les sugar daddys

« Ce sont des mecs qui viennent pour s’amuser. Ils posent de l’argent sur la table, avec aucun objectif de diplomatie, d’échange sportif ou de rentabilité. Ils aiment simplement le football et veulent jouer à Football Manager en vrai. Les exemples les plus connus son Roman Abramovitch à Chelsea et Suleyman Kerimov à l’Anzi Makhatchkala. »

La probabilité pour qu’un tel profil s’intéresse à Bordeaux : totalement imprévisible. Le sugar daddy agissant sur un coup de tête, il est impossible de prévoir son arrivée en Aquitaine. Si d’aventure le cas se présentait, ce serait évidemment une opportunité à saisir. Mais attention, beaucoup d’entre eux présentent des CV peu reluisants d’un point de vue éthique.

L’investisseur à but de lucrativité à court terme

« La dernière catégorie concerne les investisseurs qui viennent pour réaliser des bénéfices à court ou long terme. En ce qui concerne ceux dont l’objectif est de réaliser des bénéfices à court terme, l’exemple le plus connu est celui de Gérard Lopez, à Lille. Ses généreux donateurs l’y ont contraint pour rembourser des crédits aux taux d’intérêt allant de 8 à 12 %. Idem pour le fonds d’investissement propriétaire du Milan AC. C’est du court terme, donc extrêmement dangereux, parce qu’on va jouer sur la vente de joueurs à plus-values et sur les gains sportifs (primes de matchs, revenus télévisuels, etc.). Donc le club se doit, saison après saison, de générer des bénéfices malgré les aléas qu’impose la glorieuse incertitude du sport. En plus, ce sont des gens qui sont totalement désintéressés de la culture locale. Dès que cela va bien fonctionner, ils vont vendre. La logique de pérennité, facteur de réussite dans le sport (plus on a de l’expérience, plus on gagne), est totalement reniée. »

Il ne change, ni le nom, ni les couleurs, il garde l’entraîneur, et fait même revenir des joueurs choyés par les supporters.

La probabilité pour que ce type d’investisseur s’offre les Girondins : très probable. Il s’agit précisément du profil de GACP, avec qui les négociations n’ont pas abouties pour le moment. Pierre Rondeau prévient : « Si ce genre d’investisseur arrive à Bordeaux, il faudra voir comment M6 et la mairie négocient la vente. Parce que l’on peut très bien se retrouver avec le même modèle que le Red Bull de Salzbourg, où les couleurs, l’emblème et l’histoire du club ont totalement été bafoués. À Bordeaux, le club c’est “Les Girondins de Bordeaux”. Et “Girondins”, c’est franco-français, tandis que “Bordeaux”, c’est international. Donc on peut imaginer un fonds d’investissement attiré par la marque “Bordeaux”, qui renomme le club “FC Bordeaux”. De la même façon que le Paris Saint-Germain est devenu Paris depuis l’arrivée des Qataris. Ils peuvent également changer la couleur du maillot, mettre une bouteille de vin sur le logo… On peut tout imaginer. »

L’investisseur à but lucratif à long terme

« Parmi cette catégorie de profils attirés par la lucrativité, on trouve également des investisseurs misant sur le long terme. Comme c’est le cas à Marseille avec Frank McCourt, qui s’est fait connaître en revendant l’équipe de Baseball des Dodgers pour 2 milliards de dollars, alors qu’il l’avait achetée pour 240 millions six ans auparavant. Il fonctionne en mode “je prends une entreprise, de baseball ou de football, je la valorise, et je la revends en réalisant une plus-value de malade”. Donc il reste le temps qu’il faudra, et il s’identifie à l’équipe. Il ne change ni le nom ni les couleurs, il garde l’entraîneur, et fait même revenir des joueurs choyés par les supporters, comme Payet ou Thauvin, parce qu’il sait qu’il va s’installer dans la durée. »

La probabilité pour que ce type d’investisseur s’offre les Girondins : hautement souhaitable. En mettant de côté les investissements d’États, ou les sugar daddys qu’on imagine mal débarquer à Bordeaux, ce serait le profil le plus intéressant pour les Girondins et leurs supporters.

Mathias Edwards
Reporter spécialisé dans la culture et le football, qui ne font parfois qu'un, je travaille depuis 2011 pour le groupe So Press (So Foot, Society, So Film, Pédale!, Tampon, Dada...).
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