Épisode 2
6 minutes de lecture
Mardi 27 mars 2018
par Jean BERTHELOT DE LA GLÉTAIS
Jean BERTHELOT DE LA GLÉTAIS
Correspondant à Bordeaux pour Europe 1, pour qui je commente les matchs à domicile des Girondins, et pour Radio Classique, pour qui je fais des reportages d’information générale. J’écris dans Grazia en tant que pigiste régulier, pour la rubrique actualités, sur des thèmes très divers. J’assure également une correspondance, toujours à Bordeaux, pour le quotidien Le Courrier de l’Ouest. Je suis pigiste pour Sud-Ouest Magazine, le mook Sang-Froid et le Journal des Télécoms. .

Catastrophiques pour l’environnement, les mines d’or appartenaient à des temps révolus depuis que l’on avait fermé la dernière en France métropolitaine, en 2004. C’est du moins ce que l’on croyait. Mais divers responsables politiques de premier plan en ont décidé autrement : aujourd’hui, les mines d’or sont à deux doigts de rouvrir en France, et en particulier en Dordogne et en Haute-Vienne. Mais les habitants se battent pour préserver leur terre…

Coussac-Bonneval, Chateau-Chervix, la Meyze, la Roche-l’Abeille, Ladignac-le-Long, le Chalard, Meuzac, Saint-Priest-Ligoure et Saint-Yrieix-la-Perche en Haute-Vienne, Jumilhac-le-Grand en Dordogne. Ils sont jolis, ces noms-là. Ils fleurent le terroir, la campagne un peu surannée, le calme sans le luxe, la volupté sans bling-bling.

Calmes, ils pourraient bien ne pas le rester longtemps. Depuis un an, la société Cordier Mines y a obtenu un permis exclusif de recherches de mines d’or. Elle a encore quatre ans pour essayer de trouver des filons rentables sur un périmètre de 261 km². Une mine d’or, en France métropolitaine ?

La perspective peut sembler surréaliste, elle ne serait pourtant que la conséquence logique du permis demandé et obtenu par l’entreprise toulousaine. C’est la suite attendue, malgré les menaces effroyables qu’elle fait peser sur l’environnement. Et ce territoire n’est pas le seul à être menacé. Dans la Creuse, Auge, Bord-Saint-Georges, Chambon-sur-Voueize, Lépaud, Lussat, Sannat et Tardes, sont autant de communes sur lesquelles Cominor, une société canadienne, effectue elle aussi des recherches depuis 2013.

La ville de Salsigne, connue pour avoir abrité la dernière mine d’or française
Salsigne est connue pour avoir abrité la dernière mine d’or française — Photo : Wikimedia

Partons d’abord quelques centaines de kilomètres plus bas, pour bien le comprendre. Connaissez-vous Salsigne ? À quelques encablures au nord de Carcassonne, c’est un village qui vaut le détour. Pas tellement pour son presbytère ou son centre-bourg aux maisons basses et aux volets clos, l’été, pour ne pas se laisser écraser par la chaleur. Beaucoup plus pour la particularité de la rivière qui y serpente, l’Orbiel.

Celle-ci surprend, en amont et en aval de la commune, par la jolie couleur qu’elle arbore de temps à autre : orange. Orange comme les feuilles, à l’automne ? Perdu. Orange comme la terre battue de courts de tennis voisins, qui échouerait dans le ru ? Encore perdu. L’eau est orange comme l’arsenic.

Comme l’arsenic que l’Orbiel charrie encore, vestige incongru d’une activité pourtant terminée depuis 14 ans : celle de la mine d’or de Salsigne. Comme l’arsenic qui, quoi qu’il arrive, est automatiquement libéré dès lors que l’on éventre la terre pour en extraire l’or.

+ 110 % de cancers du larynx

Mais après tout, diront les cyniques, qu’est-ce qui oblige les habitants du village à boire l’eau de l’Orbiel ? Rien. Du reste, ils ne le font pas : l’eau potable vient de la Montagne Noire, à 7 kilomètres de là. Cela ne les empêche pas d’être malades. Très malades. Sur les vingt communes alentour, 80 % de cancers du poumon et 110 % de cancers du larynx en plus, par rapport à la moyenne française selon une étude menée par l’European journal of cancer prévention.

En théorie, des dizaines de millions d’euros ont pourtant été dépensés pour que le site soit « dépollué ». Dans la pratique, la situation reste critique et les riverains se battent façon pot de terre, contre un pot de fer d’autant plus inoxydable que personne ne veut vraiment assumer les responsabilités du désastre écologique. Les anciens dirigeants des multiples sociétés ayant exploité les mines, l’État, les collectivités régionales et départementales laissent les riverains et les élus locaux seuls face à leurs interrogations, organisant ponctuellement des réunions de travail qui, immuablement, virent à la farce.

On répond aux sceptiques que l’on a là l’occasion unique de revitaliser des territoires ruraux et de créer des emplois non délocalisables.

Et les rapports se succèdent, comme celui qui a fuité le 25 janvier dernier, réaffirmant les uns après les autres que l’endroit est encore infesté, non seulement d’arsenic, mais aussi de cyanure. Salsigne n’est pas une exception : 3500 anciens sites miniers, un peu partout en France, polluent encore aux métaux lourds.
Mais qu’on se rassure ; le site de Salsigne, par exemple, sera peut-être un jour totalement propre. À un terme qui, à l’échelle de l’Histoire de la Terre, est extrêmement proche : d’ici une dizaine de milliers d’années. À condition bien sûr, que l’on ne vienne pas y réinstaller une mine d’or… Mais qui pourrait bien avoir cette idée saugrenue ?

Montebourg à la relance

À ce stade de la lecture, vous vous imaginez peut-être que la mine de Salsigne, la dernière de France, a été fermée en 2004 pour éviter d’aggraver la situation écologique ? Erreur. Elle l’a été, car jugée, par ses actionnaires, pas assez rentable.

Sauf que la rentabilité, par essence, ça fluctue. Le cours des matières, les progrès technologiques, par exemple, ne sont que deux des facteurs qui influent sur cette rentabilité.

Cela fluctue tellement qu’en 2004, au moment de la fermeture de Salsignes, le kilo d’or se négociait à 10 000 euros. Mais aujourd’hui, il s’échange à plus de 35 000 euros… Dans ces conditions, il y a donc des gens qui ont voulu relancer les mines d’or en France métropolitaine.

Et cette idée brillante n’est pas récente : pour en comprendre la genèse, il faut remonter à 2013. Cette année-là, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, milite pour le made in France, marinière au vent, aux lèvres un sourire de marchand de fenêtres en PVC. Et parmi les multiples pistes, il lance un… plan de relance de l’exploitation minière.

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Au bout de ce puits, une mine — Photo : Wikimedia

Précisément, l’ancien avocat décide d’établir un inventaire du sous-sol et une réforme du code minier, persuadé que l’indépendance de la France en matière de consommation de métaux stratégiques est une nécessité. « Ce qui est déjà, en soi, une mauvaise analyse », regrette Nicolas Thierry, vice-président de la région Nouvelle-Aquitaine en charge de l’environnement. « Car ces métaux, on les trouve dans tous les appareils obsolètes : l’avenir, c’est de les recycler, de les récupérer là pour les réutiliser. Aller les chercher dans la terre, c’est une méthode du passé », constate le conseiller régional Europe-Ecologie les Verts (EELV).

Cette analyse, partagée très tôt de manière assez unanime par l’ensemble des observateurs, ne remonte visiblement pas jusqu’à Arnaud Montebourg. Elle ne le convainc pas en tout cas. Peut-être d’autres arguments, fournis par le lobby de start-ups opportunément montées pour espérer profiter de la manne à venir, ont-elles mieux sonné aux oreilles de ses conseillers. Toujours est-il que, donc, la boîte de Pandore est alors ouverte, et on répond aux sceptiques que l’on a là l’occasion unique de revitaliser des territoires ruraux et de créer des emplois non délocalisables.

Macron poursuit

En 2015, Montebourg, sa mèche et sa marinière disparus dans les limbes de la vie politique française, c’est le ministre de l’Économie qui reprend l’idée à son compte. Son nom ? Emmanuel Macron. Mais lui est, tout de même, un peu plus circonspect, au moins en apparence. En tout cas, il a apparemment entendu dire que les mines polluaient durablement les sols. Alors il commande un rapport, coordonné par Rémi Galin, chef du bureau de la gestion et de la législation des ressources minérales au ministère de l’Environnement, de l’Énergie et la Mer. Ses conclusions sont sans appel : « la mine propre n’existe pas (…) Une mine a toujours un impact sur les populations, l’environnement ; elle transforme toujours un territoire ».

Forcément, face à un tel constat, on imagine que tout dirigeant politique prend ses responsabilités et avorte aussitôt le projet de rouvrir des mines d’or.

On imagine mal.

Dans une forme d’indifférence, les riverains tentent de se battre,
jusqu’ici sans succès.

Car Emmanuel Macron engage alors une démarche de « mine responsable ». « Dire qu’on va ouvrir une mine responsable, cela rappelle l’époque où l’on faisait des essais nucléaires en assurant que cela n’avait aucun impact sur l’environnement », fulmine un haut fonctionnaire ayant claqué la porte du comité mis en place pour le dispositif, au même titre que les ONG France Nature Environnement, Ingénieurs sans frontières et les Amis de la Terre. « Comment peut-on dire qu’une mine peut être propre alors même que l’on a commandé un rapport qui affirme l’inverse ? »

C’est là toute la question. Et pourtant… Depuis 2015, une dizaine de permis de recherches de mines d’or auraient été déposés. Un permis de recherche, c’est ce qui autorise une société à sonder le sol : si elle trouve un métal qui l’intéresse, de l’or en l’occurrence, elle va demander l’autorisation de l’exploiter. Et il y a de grandes chances qu’elle l’obtienne…

Au moins deux de ces permis ont été accordés en Nouvelle-Aquitaine, donc. Le premier à Jumilhac-le-Grand, au nord de la Dordogne, et dans neuf communes de la Haute-Vienne. Le second dans la Creuse. Dans une forme d’indifférence, relayés par les seuls médias locaux, les riverains tentent de se battre, jusqu’ici sans succès. Ils sont administrateurs, bénévoles, sont artisans, agriculteurs, apiculteurs, professions libérales, retraités. C’est leur combat que ce feuilleton tente de relayer. Car il est celui de quiconque estime qu’une terre ne s’achète pas au prix de la santé de ceux qui l’habitent, que tout ne peut pas être fait simplement parce que cela rapporte.

Sources complémentaires :

« La mine de Salsigne, l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire »

Pollution minière : un scandale persistant

Excès de cancers autour de Salsigne

Cancers : on meurt plus à Salsigne qu’ailleurs

Jean BERTHELOT DE LA GLÉTAIS
Correspondant à Bordeaux pour Europe 1, pour qui je commente les matchs à domicile des Girondins, et pour Radio Classique, pour qui je fais des reportages d’information générale. J’écris dans Grazia en tant que pigiste régulier, pour la rubrique actualités, sur des thèmes très divers. J’assure également une correspondance, toujours à Bordeaux, pour le quotidien Le Courrier de l’Ouest. Je suis pigiste pour Sud-Ouest Magazine, le mook Sang-Froid et le Journal des Télécoms. .
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