Karine Le Loët est journaliste. Pour sa série de podcasts « L’effondrement et moi », diffusée sur France Culture, elle part à la rencontre de celles et ceux qui cherchent des solutions pour apaiser leur angoisse climatique. Nous l’avons rencontrée lors de son passage au festival international du journalisme de Couthures-sur-Garonne, au cours duquel elle est revenue sur cette peur liée aux changements climatiques.
Qu’est-ce que l’angoisse climatique ?
L’angoisse climatique, qu’on appelle aussi éco-anxiété, correspond à la peur qu’on peut ressentir vis-à-vis des conséquences du dérèglement climatique. On angoisse par rapport au monde futur, à ce qui va se passer pour nos enfants. Est-ce qu’il va y avoir une pénurie alimentaire, des problèmes sanitaires, des migrations climatiques ? J’ai remarqué que, souvent, chez moi et chez les gens que j’ai interviewés pour mon documentaire, cette angoisse va de pair avec des représentations mentales : les peurs se manifestent par des images qui sont nées de tous les films et les livres qu’on a pu lire.
Pour ma part, quand l’angoisse climatique s’est déclenchée, elle se caractérisait par le fait que j’avais la trouille, avec une sensation d’étouffement. Je me posais beaucoup de questions, comme « si l’avenir ressemble de plus en plus souvent, à ça, à quoi vont ressembler nos vies ? » Je me rappelle que je scrutais constamment mon téléphone, jour après jour, à la recherche d’informations. Maintenant, j’ai des espèces de bouffées, c’est-à-dire que je ne vais pas y penser tout le temps – j’évite de trop me renseigner sur certains sujets, je l’avoue. Ce qui est un peu nul, puisque je vais finir par être sous-informée sur la question…
À travers le tout petit chemin entrepris pour L’Effondrement et moi, j’ai réalisé qu’il y avait des choses se retrouvant chez tout le monde. On voit vraiment que les inquiétudes se ressemblent, même si j’ai rencontré des gens beaucoup plus atteints que moi. Pour certains, leur vie devenait parfois problématique, car ça habitait leur nuit, leur jour, à tel point qu’ils se posaient des questions essentielles comme « est-ce qu’on fait des enfants ? »
Comment les symptômes de l’angoisse climatique se déclenchent-t-ils ?
Me concernant, un événement météorologique a été le déclencheur. J’ai eu une espèce de bouffée d’angoisse étrange et un peu sortie du chapeau en 2019, pendant la canicule. Je vis dans un appartement sous les toits en région parisienne. Il faisait très chaud, notamment la nuit. Je me rappelle regarder mon fils – de 4 ans à l’époque – dormir juste à côté du ventilateur. Cette image un peu forte m’a foutu la trouille. C’est comme s’il y avait une matérialisation du dérèglement climatique, comme si tout d’un coup, il était là, devant ma porte. Ce qui est absurde, car quand on écoute les climatologues, on sait très bien que ce n’est pas un seul évènement météorologique qui est directement lié au dérèglement climatique, mais des accumulations.
Pour certains que j’ai interviewés, l’angoisse monte graduellement, c’est latent. Mais bien souvent, il y a tout de même un élément déclencheur. Cela peut être comme pour moi un évènement météorologique comme des inondations, une tempête… Souvent, il y a quand même quelque chose qui relève de l’affectif, comme la naissance d’un enfant. Pas mal de personnes que j’ai rencontrées m’ont cité la démission de Nicolas Hulot du gouvernement. C’est quelque chose qui les a mis très en colère, car ils se disaient que l’État n’agirait jamais, la preuve étant que dès que quelqu’un d’un peu convaincu était au gouvernement, il ne restait pas.
Une fois l’angoisse déclenchée, des solutions pour l’apaiser existent-elles ?
La première solution pour moi a été de rencontrer des gens. C’est peut-être bête, mais faire ce documentaire a été cathartique. C’est aussi ce qu’ont fait les membres du groupe de parole de Nantes que j’ai rencontrés pour le documentaire. Ils sont très angoissés et se sentent totalement impuissants. Mais il y a une espèce de partage, de bienveillance et ils s’aident les uns les autres.
Pour d’autres encore, la colère est très présente. La colère laisse ensuite place à l’action comme solution, comme chez les militants écologistes d’Ende Gelande. J’ai choisi ce groupe un peu particulier parce qu’Ende Gelande, ils y vont, ils n’ont pas peur. C’est du militantisme au sens musclé du terme, ils se font parfois arrêter par la police. Je les ai trouvés très courageux.
Une autre catégorie de personnes, ceux qu’on appelle les survivalistes, se replient sur eux-mêmes et vont vouloir à tout prix sauver leur peau. Ça, ce n’est pas possible pour moi. C’est juste une disposition d’esprit. Je comprends tout à fait le principe, ça paraît logique et peut-être qu’un jour (jamais, j’espère !) on en sera là, mais pour l’instant ce n’est pas du tout une démarche qui me séduit.
La dernière solution, celle que je trouve la plus intéressante, est la démarche collective. J’ai suivi des gens qui vivent dans ce qui s’appelle « le château partagé » (note : Le château partagé est un habitat groupé, où ses habitants expérimentent des alternatives économiques et écologiques), à Dullin, près de Chambéry. Je n’ai pas choisi ce lieu par hasard. Là, chaque famille vit dans son appartement, mais des endroits collectifs existent. Et surtout, ils s’entraident énormément. Cela fait 10 ans qu’ils sont installés là, ils ont déjà appris des leçons, ils sont assez réalistes et ne sont pas non plus dans la recherche d’autonomie absolument parfaite. Mais ils expérimentent des choses que je trouve très intéressantes, comme la garde d’enfants, l’échange de services, les circuits-courts…
Vivre dans ces conditions n’est cependant pas accessible à tout le monde…
Je suis consciente que certaines solutions pour apaiser l’angoisse climatique sont coûteuses, comme habiter dans une maison passive ou manger bio. Et bien sûr, je peux comprendre qu’il y ait des gens pour qui la première préoccupation est d’arriver à manger à la fin du mois. Mais je pense que les préoccupations écologiques ne sont pas le monopole des riches et qu’il n’y a pas toujours d’antagonisme entre écologie et revenu. Des choses accessibles financièrement peuvent se faire. C’est moins cher et cela pollue moins de prendre son vélo que d’avoir une voiture, d’être végétarien plutôt que de manger de la viande… Donc être écolo, c’est aussi faire des économies, parfois. À terme, le but, c’est justement de pouvoir faire des rénovations thermiques dans les HLM parce que cela fait économiser de l’argent sur les dépenses en énergie et que cela fait du bien à la planète.
On peut déjà commencer par faire des choses chez soi, à son échelle, en s’inspirant du « château partagé », par exemple. Je vis en Île-de-France, c’est évidemment beaucoup plus compliqué qu’à Chambéry. Mais dans ma copropriété, depuis le confinement, quelque chose s’est créé : on s’entraide beaucoup, on a planté des aromates dans de grands bacs, on fait parfois des commandes de nourriture tous ensemble pour partager les frais… On réfléchit aussi à des solutions plus écolo pour notre immeuble, comme peindre les toits en blanc pour avoir l’effet albedo. On a d’ailleurs changé de services de ménage pour un service un peu plus écolo. Il y a quelque chose, c’est sûr, une espèce de dynamique qui se crée avec beaucoup d’entente et de bienveillance. On est encore très loin de ce qu’il faudrait faire, j’en ai conscience, mais cela me plaît et surtout, cela me rassure et m’apaise.
Vous arrivez à rester apaisée malgré les discours alarmistes tenus par ceux qui pensent que le monde va très prochainement s’effondrer ?
Les problèmes environnementaux sont toujours là et ils le seront encore, bien évidemment, mais j’ai l’impression que tout le monde fait son petit chemin, à sa propre vitesse, à sa propre ampleur et il me semble qu’on peut sortir de cette anxiété climatique, mais il faut trouver sa solution.
Pour ma part, je suis un peu plus apaisée depuis que j’ai commencé à en parler à mes enfants, comme si quelque chose s’était débloqué. Je m’interdisais de le faire, ce qui était débile. Je suppose que si j’arrive à leur en parler, cela veut dire que j’ai un peu moins peur. Et puis si le monde devait s’arrêter demain, je pense que je me porterais bien mieux en étant moins paniquée. S’il ne me reste que 20 ans à vivre, tant mieux si je le fais sans trop avoir peur. Je pense qu’il est trop facile d’affirmer que cela ne sert à rien d’avoir peur. Mon compagnon m’a déjà dit « ça ne sert à rien d’avoir peur, tu n’y peux rien de toute façon ». C’est peut-être vrai, mais cela serait plus simple pour moi de vivre si je trouvais des solutions pour m’apaiser avant la fin du monde !