Thierry Ripoll est professeur de psychologie cognitive à l’université d’Aix-Marseille et directeur du Centre de Formation des Psychologues de l’Éducation nationale. Il s’intéresse plus particulièrement aux processus psychiques nous conduisant à établir des croyances infondées. Nous l’avons rencontré lors de sa venue au festival international du journalisme de Couthures-sur-Garonne, où il a accepté de revenir sur les processus psychiques et cognitifs qui poussent les individus vers le complotisme.
Qu’est-ce que le complotisme ?
Le complotisme, c’est supposer qu’un groupe organise secrètement des actions qui sont en sa faveur, mais au préjudice d’autrui. La croyance complotiste est une croyance infondée presque comme une autre. Une croyance infondée repose sur une totale certitude vis-à-vis de quelque chose, alors même que l’on ne dispose ni de données empiriques ni de données théoriques pour la soutenir.
La croyance des croyances est la croyance en Dieu, qui est infondée, car on ne peut pas soutenir l’existence d’un Dieu ni par des arguments théoriques ni par des arguments empiriques. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elle est fausse. On peut avoir une croyance infondée juste. Par exemple, si je rêve que je vais gagner au loto et que je suis certain que je vais gagner au loto, c’est une croyance infondée. Mais peut-être que demain, si je joue, je vais gagner. La croyance aura donc été juste.
Pourquoi un individu va-t-il croire à ces croyances infondées, comme les théories complotistes ?
Le complotisme est multifactoriel. Il n’y a pas qu’une seule cause au complotisme. Il y a tout d’abord les causes externes, liées à ce qu’est la société. La plus importante est Internet. Grâce à Internet, l’information circule dans le monde à une vitesse folle. Une fausse information circule d’ailleurs 70 % plus rapidement qu’une vraie information, notamment parce qu’il y a une infinité de manières d’être faux et qu’une seule d’être vraie. Internet pose un problème et a largement accentué ce phénomène complotiste très vieux, qui date de l’époque des primates non humains.
Par exemple, les chimpanzés sont complotistes. C’est-à-dire que dans les sociétés organisées de chimpanzés, vous pouvez avoir des coalitions de jeunes chimpanzés qui vont s’organiser pour faire la peau d’un chimpanzé mâle adulte pour prendre le pouvoir. Mais c’est un complot. Et les chimpanzés mâles adultes sont très vigilants sur les possibles complots. Et on suppose, c’est une théorie évolutionniste, que les hommes ont hérité de cela. Lorsqu’on était constitué en tribus jusqu’au néolithique, les membres de la tribu étaient sensibles aux complots potentiels parce qu’il y avait des rivalités. Cela a toujours existé, cela fait partie de notre génétique, c’est comme ça.
La croyance est une réaction naturelle au stress.
Dans la société, il y a également une défiance par rapport à ce qu’on appelle la communication verticale de l’information, c’est-à-dire l’information qui part des experts, est médiatisée par les journalistes et redescend aux citoyens. À l’inverse, on observe un renforcement de la communication horizontale, celle qui se fait entre pairs, entre d’autres citoyens, d’où la puissance des informations qui circulent à travers les réseaux sociaux.
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