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Mardi 1 septembre 2020
par Alexandre Camino
Alexandre Camino
Intéressé par les sujets de société, par les problématiques sociales, démocratiques et environnementales, je cherche à les traiter dans des enquêtes long-format. Originaire du Périgord et amoureux de ses trésors, je cultive une vraie passion pour l'Histoire.

Du fait des bouleversements climatiques et des activités humaines, la première des ressources de l’Humanité apparaît menacée dans toutes les simulations scientifiques. Acteurs de l’eau et citoyens s’organisent pour prévenir et anticiper les scénarios catastrophes. Alors que notre région devrait être la plus touchée par les pénuries d’eau d’ici 30 ans, sommes-nous préparés au pire ? Enquête.

Imaginez que les rivières viennent à se tarir, qu’il vous soit impossible d’entretenir votre champ, votre jardin, ou même d’avoir accès à l’eau potable. Cette description apocalyptique aux atours grossiers n’est pas si éloignée de la réalité. Chaque année, plusieurs villes de France sont frappées par la sécheresse (80 départements à l’été 2019) et les pénuries d’eau.

Ce fut particulièrement le cas dans la Creuse à l’été 2019. Guéret, petite ville de 14 000 habitants, a connu un manque d’eau d’une ampleur sans précédent depuis les années 1950. Après trois mois sans pluie, les 60 points de captages environnants ont chuté de moitié, entraînant une « situation de crise » dès le 10 juillet. À la fin de l’été, les réserves d’eau ne permettaient d’entrevoir qu’un sursis de 100 jours, une situation « catastrophique » selon le maire de la ville Michel Vergnier.

Tweet de la préfecture de la Creuse

100 jours d’incertitudes pour les habitants d’une ville au bord de la « catastrophe naturelle ». Des mesures de restrictions ont bien sûr été mises en place : interdiction de laver sa voiture, remplir sa piscine et même d’arroser son jardin. Les contrôles étaient fréquents et les récalcitrants verbalisés.

Non loin de là, la situation était bien plus critique encore. Plus d’eau potable à Gouzon, où l’eau n’arrivait plus jusqu’au robinet. Pour se sortir de cette situation invraisemblable, des camions-citernes acheminant de l’eau ont dû être réquisitionnés. Le maire de la commune reconnaissait à l’époque être « au pied du mur ».

Pénurie d’eau : d’où vient le problème ?

Le problème vient d’abord de notre consommation. Les prélèvements annuels d’eau douce par exemple dépassent le milliard de m3 par an, tous usages confondus, mais hors centrale nucléaire. Le but est de satisfaire aussi bien les usages domestiques (forte démographie oblige) que les besoins industriels, agricoles ou la production d’énergie. Les fortes chaleurs n’y sont également pas étrangères.

Des incidents similaires à ceux évoqués plus haut ont lieu sporadiquement chaque année aux quatre coins de la Nouvelle-Aquitaine. Bien qu’ils semblent indépendants les uns des autres, des enjeux bien plus grands se profilent. Ainsi, un cri d’alarme émergea des discussions diplomatiques rythmant le sommet du G7 organisé à Biarritz en août dernier.

Les cheveux grisonnants et le regard assuré, Stéphane Gilbert, fondateur de l’entreprise Aquassay, a tenu à mettre en garde la société civile et les citoyens. « La Nouvelle-Aquitaine sera la région de France la plus impactée par le changement climatique. En 2050, les experts annoncent qu’il manquera 12 milliards de m3 d’eau par an à la région pour faire fonctionner ses activités industrielles, la ville ou l’agriculture », a-t-il lancé avant de rajouter : « le déficit actuel est déjà de 200 millions de m3 ».

État de la Vézère à Montignac en été
État de la Vézère à Montignac en été – Photo : Alexandre Camino

Ses déclarations inquiétantes prennent source dans le rapport sénatorial Eau : urgence déclarée publié en 2016. Ce long texte explique comment les problèmes liés à l’eau vont exploser dans les années futures. À cause du réchauffement climatique, mais aussi de l’activité humaine, « il va pleuvoir différemment », c’est-à-dire avec de plus longues périodes où il pleuvra peu voire pas du tout.

Cela provoquera inexorablement la baisse du niveau d’eau disponible durant les périodes estivales, où le besoin d’eau est toujours plus grand. Stéphane Gilbert évoque également les « conflits d’usage», inévitables si la situation n’évolue pas : « On vit dans un confort, dans un monde où l’eau est inépuisable. Mais il va falloir faire des choix draconiens entre alimenter les usines, les champs, les populations, ou refroidir les centrales nucléaires. » Un scénario inquiétant qui concernerait toute l’Aquitaine dès 2030, y compris la Gironde, pour l’instant épargnée par les pénuries grâce à ses réserves d’eau naturelle souterraine.

Mais au-delà du simple manque, des pénuries d’eau devenant de plus en plus régulières et brutales auraient des conséquences sur la qualité même du premier de tous les éléments. En effet, quand les retenues d’eau sont faibles et stagnantes, elles subissent des effets biologiques qui, couplés à des étiages et pompes toujours plus profonds, peuvent entraîner une pollution de l’eau.

Cela se ferait sentir aussi bien sur sa potabilité que sur la qualité des fruits et légumes ou la santé des animaux d’élevage. Autres éléments alarmants, les fuites dans les réseaux d’eau potable. Comme nous l’a expliqué le pointilleux Stéphane Gilbert, la région perd d’ores et déjà près d’un tiers de l’eau consommable. « On parle de 25 à 40 % selon les zones, d’eau produite qui n’arrive pas chez le consommateur. »

Dès 2050, les sécheresses dites exceptionnelles qui arrivaient une année sur trente devraient se produire une année sur deux.

Cela est dû à la détérioration des centaines de kilomètres de canalisations (servant à distribuer l’eau) installées au milieu du XXe siècle et qui ont subi les affres du temps. Rien n’est fait pour y remédier, car ces fuites sont très difficiles à trouver, mais surtout très onéreuses à réparer. Les dangers qui menacent nos eaux sont donc loin de se limiter à la seule hausse des températures.

Sommes-nous préparés au pire ?

Depuis son bureau dans le siège de sa société limougeaude, Stéphane Gilbert s’est voulu tout aussi catégorique que lors de son intervention à Biarritz : « Il faut que le problème soit mis sur la table, il concerne la société civile dans son ensemble. Mais il est important également d’éduquer les populations. »

Dans ce domaine, un groupe se démarque : le collectif secheresses.fr formé en octobre 2019. Fondé par Thomas Wolff (enseignant et médiateur territorial spécialisé dans l’environnement), et composé de citoyens inquiets aux compétences diversifiées, il travaille au regroupement, à la vulgarisation et à la diffusion des données scientifiques au grand public.

Pour lui, même constat alarmant : « Dès 2050, les sécheresses dites exceptionnelles qui arrivaient auparavant une année sur trente devraient se produire une année sur deux. Plusieurs centaines de milliers d’habitants risquent des pénuries d’eau potable plusieurs semaines ou mois par an », explique-t-il dans un entretien pour le blog du Monde avant d’évoquer Guéret, sauvée « à la dernière minute » par les orages miraculeux du mois de septembre. « La commune a vécu ce que l’avenir lui réserve de manière beaucoup plus régulière. »

Il y a donc bien un consensus des acteurs français de l’eau concernant les difficultés qui se profilent à l’horizon. Nous avons cherché à comprendre si les mesures institutionnelles et étatiques employées étaient à la hauteur de la menace. Nous nous sommes notamment entretenus avec Camille Jonchères, sociologue, ancienne médiatrice scientifique pour AcclimaTerra (Comité Scientifique Régional sur le Changement Climatique) et membre du collectif depuis sa création.

La Vézère baisse drastiquement en été – Photo : Alexandre Camino

La jeune bordelaise est d’un naturel enthousiaste et se veut plus pédagogue qu’alarmiste. Pourtant pour elle, nous n’avons toujours pas pris le bon virage. « Il ne faut pas être anxiogène, ne pas catastropher. Mais on a du mal à dépasser la notion d’urgence. Alors qu’il nous faut penser des solutions longues et structurelles, il existe encore des distorsions entre les discours scientifiques, les consommations et les mesures politiques. Le message ne passe pas. »

Une forme de dissonance cognitive à échelle nationale qui a selon elle trouvé une parfaite illustration début 2020, lorsque la station de ski pyrénéenne de Luchon-Superbagnères (Haute-Garonne) a dû faire appel à des hélicoptères pour amener les 50 tonnes de neige qu’il lui manquait. « C’est une façon de se voiler la face, lance-t-elle, quand il n’y a pas de ski il n’y a pas de ski. Intégrer le réchauffement climatique sur notre récit territorial n’est pas fait. »

Une affirmation toutefois nuancée par Stéphane Gilbert : « La Région est bien consciente du problème. » Celle-ci cofinance notamment le Pôle environnemental de la Nouvelle-Aquitaine (Limoges) qui regroupe 95 « éco-entreprises » à la pointe de l’innovation écologique. Aquassay par exemple apporte de l’aide aux entreprises pour réduire leur empreinte hydrique. En somme, elle commercialise des équipements qui permettent de consommer moins d’eau.

Mais cela est-il vraiment suffisant ? Dans un tel contexte, le scepticisme grandit dans les rangs des acteurs de l’eau. Les mesures tièdes agacent. Au niveau de la préfecture de Gironde par exemple, la priorité « majeure » est d’économiser l’eau de nos champs. Lors de la rentrée 2019, la préfète Fabienne Buccio envisageait d’inciter grâce à des aides financières tous les agriculteurs — possédant des points de captage — à se convertir à l’agriculture biologique.

Il nous était presque impossible d’abreuver nos animaux. Ça s’est joué à une dizaine de jours.

Un plan d’action jugé « trop peu efficace » du côté du cours Xavier Arnozan à Bordeaux, siège de la Chambre d’Agriculture de Gironde. C’est depuis ces locaux en pierre lisse qui jouxtent la Garonne que Thomas Larrieu, ingénieur conseiller en irrigation et gestion de l’eau, nous a confié d’un ton assuré que la simple économie ne suffisait plus, qu’il fallait urgemment mettre en place un « stockage d’eau de grande ampleur ».

Les agriculteurs en première ligne

Notre eau est donc menacée, car elle est abondamment consommée, mal répartie sur le territoire, mal redistribuée, trop peu stockée, voire gaspillée dans certains cas. Les enjeux autour de la première des ressources convergent finalement vers les agriculteurs. La Nouvelle-Aquitaine est la première région agricole de France. Son agriculture aux multiples facettes nourrit plusieurs millions de personnes chaque année.

La part des prélèvements annuels pour l’usage agricole représentant 44 %, les risques liés à l’eau impacteront donc fortement les 4,2 millions d’hectares de surface agricole, ainsi que les quelque 124 000 emplois qui y sont directement liés. Sans eau, point d’irrigation, de cultures viables ou de bétail en bonne santé. Ces problèmes, le jeune Florian Derboule y a été directement confronté à l’été 2019, subissant la pénurie d’eau qui a frappé la Creuse de plein fouet.

« Il nous était presque impossible d’abreuver nos animaux. J’étais très inquiet et je le suis toujours. Ça s’est joué à une dizaine de jours. Le plus triste c’est de voir nos animaux souffrir. Ça fait mal au cœur, nous a-t-il confié avec émotion par téléphone. On court à la catastrophe. » Le Tardais, qui gère aujourd’hui une exploitation familiale d’une trentaine d’hectares, se sent « abandonné » par l’État. « On avait l’impression d’être seuls. Personne n’écoute nos revendications. Tout le monde ici se rend compte des problèmes, mais rien n’est fait. On est sur le terrain tous les jours, et on ne voit rien changer. »

Le courageux éleveur de Charolaises n’en est cependant pas à son premier été difficile. Depuis 5 ans, sécheresses et aléas climatiques sont devenus habituels dans son département. Il a bien fallu s’adapter. L’ingénieux éleveur et sa famille ont mis en place une installation permettant de drainer les parcelles humides voisines, évitant ainsi de puiser dans les nappes souterraines. « Nos 30 hectares sont alimentés en eau et nos bâtiments sont autonomes. Il faut que notre activité impacte l’Homme le moins possible. »

Le jeune agriculteur de 23 ans a déjà beaucoup réfléchi aux enjeux de l’eau. Comme pour beaucoup, la nécessité semble pour lui de trouver des moyens innovants de faire des réserves d’eau lorsque les pluies seront plus nombreuses. Ainsi, sur son exploitation, le Creusois songe à développer son installation de drainage sur un plus grand périmètre.

« On n’est pas capable de stocker l’eau pour la redistribuer, pourtant tous les éleveurs sont dans cette même optique », regrette-t-il. Pas plus loin qu’en novembre dernier, la Chambre d’agriculture du département de la Creuse organisait justement son 2e rallye d’abreuvement, pour aider les éleveurs à atteindre l’autonomie en eau. Les agriculteurs ne manquaient pas d’idées : béliers à eau, pompage solaire, diverses formes de retenues d’eau. L’action individuelle et locale serait donc la solution ?

Rien n’est moins sûr. L’ingéniosité ne fait pas tout. Les agriculteurs se sentent freinés dans leurs efforts. Dans la voix de Florian Derboule, l’émotion laisse place un bref instant à la lassitude lorsqu’il dénonce une législation à contre-courant. « Nous aimerions faire nos propres retenues d’eau, mais on se perd dans de longues démarches administratives qui n’en finissent plus… quand notre demande n’est pas refusée au final. »

Vache qui paissent à Anzeme – Photo : Ong-Mat

Il remet finalement en cause la loi de libre circulation de l’eau (2000) qui entraîne aujourd’hui la destruction de certains barrages, comme celui d’Évaux-les-Bains fin 2018. « C’est aberrant de détruire des édifices vieux de plus de 50 ans, que l’on pourrait simplement nettoyer. » Une absence de réaction se fait sentir à tous les niveaux, jusqu’à l’international. En 2015, le mot « eau » n’apparaissait sur aucun des 29 articles du compromis final de la Cop21, tout un symbole.

« Lorsque tu bois de l’eau, souviens-toi de la source » (proverbe chinois). Les sources des risques liés à l’eau pour la Nouvelle-Aquitaine sont donc nombreuses. L’action conjuguée du dérèglement climatique sur les températures, les précipitations et d’une trop grande consommation découlera dans un avenir proche à de graves pénuries partout sur le territoire aquitain. Scientifiques, agriculteurs et acteurs de l’eau appellent à une ultime prise de conscience des pouvoirs politiques ainsi qu’à des mesures fortes.

Des actions et stratégies sur le long terme semblent indispensables aux vues de l’état actuel des réserves d’eau de la région et des simulations déjà effectuées, de la plus petite localité aux plus hautes instances. Le danger est cependant loin d’être écarté, alors que les politiques mises en œuvres apparaissent insuffisantes et parfois à courant contraire. Des efforts restent encore à faire afin de transformer l’eau éternelle et son cours faussement immuable, en un bien commun à protéger à tout prix.

Alexandre Camino
Intéressé par les sujets de société, par les problématiques sociales, démocratiques et environnementales, je cherche à les traiter dans des enquêtes long-format. Originaire du Périgord et amoureux de ses trésors, je cultive une vraie passion pour l'Histoire.
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