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Mardi 9 juillet 2019
par Alexandra JAMMET
Alexandra JAMMET
Jeune journaliste, Alexandra écrit régulièrement pour Sud Ouest et Rue89 Bordeaux. Passionnée d'écologie, de surf et de voyage, elle travaille sur des sujets liés à l'environnement et à la société.

L’été dernier, une société privée, Wavelandes, a annoncé la création d’un complexe aquatique, qui aura pour attraction phare une vague artificielle destinée aux surfeurs amateurs et professionnels. Le projet serait construit à Castets, un village de 2100 habitants, à une vingtaine de kilomètres de la côte landaise et de ses spots réputés. Alors que les élus locaux et la Fédération française de surf semblent valider le projet, pour les associations environnementales et une partie des surfeurs locaux, c’est une hérésie.

Illustrations : Manon Jousse

Le projet a été annoncé en grande pompe, à l’été 2018. Sur une surface totale de 9 hectares, un complexe sportif, avec un bassin à vagues artificielles, qui accueillerait aussi un skate park, des murs d’escalade, des terrains de beach-volley, des salles de yoga, des restaurants et des hébergements. On y promet une vague toutes les 4 secondes, soit 900 vagues à l’heure, dans un bassin de 155 x 155 mètres. Le tout pour un montant d’investissements estimé à 40 millions d’euros et une date d’ouverture au public prévue pour 2020. Avec l’ambition de devenir le Centre de formation de la Fédération française de surf, et le centre d’entraînement de l’équipe de France, à l’approche des Jeux Olympiques de 2020.

Dans sa présentation du projet, la société Wavelandes l’assure : tout l’équipement sera écoresponsable, avec des panneaux photovoltaïques. « Greenwashing », dénonce Didier Tousis. La cinquantaine, cheveux bruns et regard déterminé, le chanteur militant parle franco. Pour ce responsable du collectif NouTous, rédacteur en chef du journal d’opinion indépendant Landemains, « aujourd’hui, il est nécessaire d’organiser la vie, ou plutôt la survie, selon le point de vue de chacun. Utiliser de l’électricité pour fabriquer des vagues est la dernière chose à faire ! C’est absurde. »

Plans de la future vague artificielle.
La future vague artificielle — Capture d’écran Wavelandes

« Nous sommes complètement opposés à ce projet qui est une aberration économique et environnementale », confirme Roland Legros, le président de l’association environnementaliste Les Amis de la Terre. L’ancien enseignant, aujourd’hui à la retraite, explique les aspects techniques de l’opposition à la vague artificielle. Pour lui, le projet présente « plein de bizarreries ». « Par exemple, dans un des rares documents que nous avons pu nous procurer, il est expliqué que l’énergie pour créer les vagues nécessite une puissance de 1 kilowatt heure par vague. Soit à peu près la consommation d’une pompe de piscine chez un particulier, ou d’arrosage de jardin… », souligne-t-il, les sourcils froncés derrière ses lunettes.

FAUSSE VAGUE, VRAIS ENJEUX

Se pose également la question de la consommation d’eau. « Là, un énorme problème se pose. Pour remplir et garder à niveau le bassin, de l’eau potable sera utilisée. Nous constatons, avec les documents en notre possession, que l’alimentation en eau du bassin à vagues représente environ 60 % de la consommation d’eau potable actuelle à Castets. La mairie dira le contraire. Elle affirme que 37 000 mètres cubes seulement sont nécessaires pour remplir le bassin, et ce deux fois par an. Mais c’est sans compter sur le phénomène d’évaporation. Il y aura besoin de 120 mètres cubes par jour pour entretenir le niveau du bassin à vagues et assurer les filtrations. » Contacté, le maire de Castets, Philippe Mouhel, n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet, tout comme les porteurs du projet, la société Wavelandes.

En comptant une entrée à environ 90 euros, il faudrait 600 personnes par jour, 300 jours par an sur cette vague artificielle.

La consommation d’eau n’est pas le seul problème, selon Roland Legros. « Cette eau va être réinjectée dans les nappes phréatiques qui sont en contact avec des sites Natura 2000. Il va y avoir un risque de pollution : l’eau d’un bassin doit être entretenue avec des produits chimiques pour que l’on puisse s’y baigner. »

Le terrain destiné au projet est actuellement une zone de sylviculture, couvert de pins maritimes. « Il va donc falloir procéder à une déforestation, poursuit Roland Legros. Ce terrain est à usage industriel, en soit nous ne sommes pas opposés à une construction. Mais ce type d’installation n’a rien à faire dans les Landes. Nous disposons de 150 kilomètres de côtes qui se prêtent au surf : construire ici n’a aucun intérêt. »

Si le site internet de la communauté de communes Côtes Landes nature parle d’« un enjeu économique considérable pour le territoire », là encore, le scepticisme est de mise chez les associations. « Quand on regarde leurs données, ils prévoient un chiffre d’affaires annuel de 16 millions d’euros. En comptant une entrée journalière à environ 90 euros, il faudrait 600 personnes par jour, 300 jours par an. Nous sommes dans les Landes, avec environ 400 000 habitants, dont la plupart sont relativement âgés. Je ne vois pas comment on va fournir 600 surfeurs par jours en moyenne. Ce n’est pas réaliste ! », renchérit Roland Legros.

Un surfeur face à l'océan.
Les surfeurs préfèreront-ils l’artificielle à la naturelle ? — Photo : Alexandra Jammet

Pourtant, l’idée d’une vague artificielle dans le département ne date pas d’hier. Déjà, un projet public, un peu plus vaste que celui de Castets et porté par le Conseil général, avait été abandonné à Saint-Geours-de-Maremne, en 2015. « C’était un projet avec de l’argent public. Nous nous y sommes opposés : notre collectif a été créé à cette occasion. Une étude de faisabilité a révélé que le rendement était très faible. Tant de monde que ça ne vient pas surfer. La publicité est toujours bonne, mais le rendement et la rentabilité faibles. Le Conseil général s’est rendu compte du gouffre financier et du fiasco complet qui s’annonçait. Il a abandonné le projet », raconte le surfeur Franck Lavignolle, porte-parole du Collectif des surfeurs landais.

UNE VAGUE QUI FAIT PLOUF ?

Pour lui, ce type de projet va à l’encontre de la philosophie du surf. « Certains surfeurs “puristes” ont été choqués il y a une trentaine d’années, lorsque l’industrie a vendu l’image du surf pour créer un business de vêtements, de marques, de sponsoring… Aujourd’hui, ce n’est plus l’image, mais l’esprit du surf qui va être vendu. Les surfeurs sont en prise directe avec les problèmes environnementaux : le trait de côte qui diminue, les changements climatiques… Le surf, c’est être en symbiose avec la nature. La bétonisation, la dépense d’eau et d’énergie… Cela va complètement à l’encontre de cet esprit. En plus, à Castets, nous sommes à proximité du meilleur endroit d’Europe, avec toutes les vagues que l’on veut. »

D’autant plus que, selon Franck Lavignolle qui connait bien le monde du surf professionnel pour avoir été le kiné de l’équipe de France, « il faut savoir que, techniquement, ce genre de vague est très limité. On ne peut s’entraîner que sur deux manœuvres, le roller et les aérials, dans des conditions qu’on retrouve très rarement en milieu naturel. » Alors que le CIO vient de rejeter l’idée de Jeux Olympiques en piscine à vague, quel intérêt pour les surfeurs pros de venir s’entraîner sur une vague artificielle ? « Un gros argument en faveur des vagues artificielles s’écroule avec cette décision. Les surfeurs le savent bien, ils n’iront pas s’entraîner là-bas. Ils iront faire des démonstrations, de belles images pour les sponsors… mais cela n’a aucun intérêt de répéter 1000 fois une manœuvre qu’on ne peut pas réitérer dans l’océan. » Et de soupirer : « C’est incroyable, cette histoire. Je respecte ceux qui sont pour, mais ça ressemble vraiment à des caprices d’enfants qui veulent aller jouer au manège. »

On va faire des vagues avec de l’électricité au lieu de faire de l’électricité avec des vagues !

Pour fédérer la vague de contestations, le collectif Noutous a mis en ligne une cyberaction pour dénoncer le projet, en partenariat avec les Amis de la Terre, Born Interactif, le Collectif C40R, le Collectif Landes Urgence Climat et environnement, le Collectif des surfeurs du Born, le Collectif des surfeurs landais et la Sepanso. L’idée ? À chaque fois que quelqu’un signe la pétition, un mail, qui explique les raisons de l’opposition, est envoyé au maire de Castets. « Ce n’est pas le porteur du projet, mais pour nous, il doit être une personne neutre. On ne comprend pas pourquoi il accepte ça alors que le projet privé a été rejeté à Linxe et Lit-et-Mixe. »

De leur côté, les Amis de la terre ont envoyé un courrier aux élus locaux, pour demander ce qu’ils pensent du projet et s’ils comptent aider au financement. À l’heure actuelle, ils n’ont pas eu de réponse. Une fois le permis de construire validé, il pourra être probablement attaqué en justice, s’il y a matière. « Nos juristes travaillent dessus », affirme Roland Legros.

Encore un combat à mener dans un département où l’on compte encore des espaces préservés. Pour Didier Tousis, la solution est là : « Si un projet collectif pour les Landes doit être décidé, il s’agirait de faire de notre territoire un exemple en termes de protection de la nature, et même d’éducation. Si nous devons recevoir des gens, ce n’est pas dans des centres commerciaux ou avec des vagues artificielles. Il faut leur montrer les derniers endroits où il reste de la nature, la protéger, devenir un guide pour la société et pour l’Europe. »

À l’heure actuelle, la réalité est toute autre, avec plusieurs autres projets de vague artificielle en France, à Sevran ou près de Nantes. « Aujourd’hui, nous sommes inquiets face à la crise climatique, et nous la provoquons davantage en faisant ça, souffle Franck Lavignolle. Les surfeurs rient jaune en disant : “on va faire des vagues avec de l’électricité au lieu de faire de l’électricité avec des vagues !” ».

Alexandra JAMMET
Jeune journaliste, Alexandra écrit régulièrement pour Sud Ouest et Rue89 Bordeaux. Passionnée d'écologie, de surf et de voyage, elle travaille sur des sujets liés à l'environnement et à la société.
Retrouvez cet article dans le feuilleton :

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