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Vendredi 12 juillet 2019
par Laurent Perpigna Iban
Laurent Perpigna Iban
Il travaille principalement sur la question des nations sans états, des luttes d'émancipation des peuples aux processus politiques en cours, des minorités, et des réfugiés. Il est souvent sur la route du proche et du moyen Orient pour son site Folklore du quotidien.

Alors que l’été bat son plein, la préfecture de la Gironde passe à l’offensive: en quarante-huit heures, deux squats –un à Saint-Médard, et un à Bordeaux- ont été évacués par les forces de l’ordre. Près de deux cent personnes, en majorité des demandeurs d’asile, se retrouvent à la rue.

NB : Il y a deux mois, Revue Far Ouest débutait une immersion dans l’univers des squats bordelais. Notre objectif ? Prendre le temps de vous proposer une lecture humaine et profonde de ce qui est devenu un fait de société. Cette série, qui devait initialement voir le jour à la rentrée, voit son calendrier bouleversé : plusieurs lieux — dont un visité à plusieurs reprises par nos journalistes, le « Gars Rage », rue des Cordeliers — ont été évacués par les forces de l’ordre ces derniers jours. C’est donc prématurément qu’un premier épisode voit le jour, un article marqué par l’urgence.

Assiste-t-on à une charge des pouvoirs publics contre les bâtiments servant de refuge aux plus précaires ? C’est en tout cas l’avis partagé de manière unanime par la grosse centaine de personnes rassemblée devant la préfecture de police de Bordeaux, jeudi 11 juillet. En présence de quelques figures politiques, syndicales et associatives, les prises de parole se sont succédé, égratignant de manière récurrente une préfecture coupable « de tenter de rendre la vie impossible » aux migrants.

Évacuation

Flash-back. Mardi, 10 : 00 du matin. Les forces de police pénètrent dans un des sept bâtiments gérés par l’association le SQUID, le Gars-rage, et bouclent le quartier. Ce bâtiment abritant une soixantaine d’hommes — principalement issus d’Afrique subsaharienne — avait pourtant pignon sur rue : il y a quelques semaines, à la faveur du Ramadan, les dons des habitants du quartier se succédaient, et la rupture du jeune était chaque jour un moment convivial entre bénévoles et des demandeurs d’asile de toutes confessions.

Les bénévoles sont d’autant plus surpris qu’ils entretiennent des relations régulières avec différents acteurs locaux, et pas des moindres : du 115 aux services de la mairie en passant par médecins sans frontière, le SQUID s’est imposé ces dernières années comme un acteur incontournable de la vie bordelaise, hébergeant au sein de ses différents bâtiments plus de 300 personnes, soit plus de personnes que le 115, le Samu Social.

Une banderole tenue par deux femmes indique : "2 000 personnes à la rue à Bordeaux", en référence aux expulsions de squats.

Juliette, une des bénévoles de l’équipe, peine à cacher sa colère : « Nous appliquons une règlementation interne très stricte afin de permettre le vivre-ensemble : nous exigeons de toutes les personnes majeures qu’elles aient quitté les lieux dès 9 h le matin, par exemple. Alors, quand la police est arrivée sur les coups de 10 : 30, il ne restait donc aux Gars-rage que les personnes qui gèrent le bâtiment », explique-t-elle.

Les cinquante autres, elles, sont en ville, et vaquent à leurs occupations. Ce n’est qu’à leur retour qu’elles s’apercevront du drame qui s’est joué ce jour. « Ils n’avaient plus accès à leurs affaires, ni à leurs papiers d’identité. D’ailleurs, quarante-huit heures après, la moitié d’entre eux n’a toujours pas pu avoir accès à leurs effets personnels, à leurs papiers, ou leurs médicaments. Beaucoup errent dans les rues adjacentes » poursuit Juliette. Scénario à peine différent ce jeudi à Saint-Médard-en-Jalles, dans un bâtiment installé sur un site propriété d’Ariane Espace, et où se trouvaient 160 personnes, dont plusieurs dizaines de femmes et d’enfants.

La préfecture, elle, met en avant la question de la sécurité des personnes hébergées, faisant état dans un communiqué pour ce qui est du Gars-rage d’un « un risque sanitaire important notamment en raison de la présence d’amiante dans le bâtiment et un risque incendie (branchements défectueux, bouteilles de gaz…) ».

Du côté du SQUID, on enrage : « Nous avons de très hautes exigences en matière d’électricité et de gaz. Nous faisons intervenir des professionnels très régulièrement afin de ne prendre aucun risque, et puis nous sommes parfaitement intégrés dans la vie quartier… Ce discours ne correspond pas à la réalité ». Même colère pour les propositions de relogement, dont se justifie la préfecture : « Comme il n’y avait que quatre personnes dans le bâtiment, ils n’ont proposé des solutions de relogement qu’à ces quatre personnes. Rien n’a été proposé aux autres ».

Politique nationale

Lors des prises de paroles, la politique nationale mise en œuvre par l’État français est au centre des attentions, comme le rappelle le député Loïc Prud’homme : « L’année dernière nous avons eu à voter le texte le plus dur depuis l’après-guerre en termes d’asile et d’immigration, dont un article qui permet aujourd’hui d’enfermer des enfants pendant 90 jours dans des centres de rétention administrative. Aujourd’hui, je peux affirmer que le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’est pas respecté. La loi n’est pas respectée. L’objectif est de rendre impossible toute possibilité d’accueil pour des personnes qui fuient la guerre, la famine et les discriminations de toute sorte », s’est-il insurgé.

L'avant du squat le Gars Rage indique : "Le fait de penser que l'on est con rend (parfois) intelligent."

Naima Charrai, élue Nouvelle-Aquitaine et membre de Génération S, a elle lancé un appel à la préfète Fabienne Buccio afin qu’elle « cesse immédiatement ces expulsions », en rappelant que son rôle était de trouver des solutions afin « d’héberger de manière urgente lorsqu’une situation humanitaire l’impose, comme c’est le cas ».

L’équipe du SQUID, elle, n’est que peu surprise de cette politique, d’autant que Mme Buccio avait été envoyée en mission à Arras afin de procéder au démantèlement du Camp de la Lande, plus connue sous le nom de Jungle de Calais : « La préfète joue sur les peurs et sur le sentiment d’insécurité afin de se justifier, mais elle semble oublier que ses décisions vont au contraire créer encore plus d’insécurité. Des centaines de personnes vont errer dans les rues à la recherche d’un toit ».

Errance

Alors que le nombre de personnes hébergées en squat avoisinerait 2000 personnes sur l’ensemble de la métropole, les militants et bénévoles investis auprès des personnes vulnérables ne cachent pas leur inquiétude de voir des années d’efforts et de travail minutieux balayés d’un revers de la main. Alors, après le démantèlement de l’Ascenceur à Talence à la fin du mois de mai dernier, va-t-on vers une attaque systématique de ces lieux d’urgence ? En coulisses, lors du rassemblement devant la préfecture, certains assurent que ce sont près de 25 squats qui auraient été démantelés ces dernières semaines. La Préfecture, elle ne communique que sur ces 3 cas.

Au cœur du rassemblement, Jean-Fançois Puech, responsable de l’association Ovale citoyen, pointe du doigt « une pression policière inhumaine » : « Après la fermeture du Gars-rage, des matelas étaient stockés devant le SQUID, dans un but de reloger les personnes expulsées. La police a utilisé la force pour les reprendre. Les militants du syndicat CNT ont eu le réflexe de rapatrier les matelas vers leur local syndical tout proche… Résultat la Brigade Anti Criminalité est intervenue. Ces derniers ont bloqué la rue et ont mis les militants syndicaux sous pression. Une trentaine de matelas est désormais à la benne à ordures. Si demain nous retrouvons un logement pour ces gens, alors il faudra aussi retrouver des matelas ».

Pour autant, les responsables du SQUID ne versent pas dans le défaitisme. Eux qui gèrent plusieurs bâtiments — dont certains réservés aux femmes, d’autres aux familles — souhaitent maintenir la pression sur les autorités : « On attend des relogements. Mme la Préfète doit respecter ses propres lois. Mais aujourd’hui, elle va se retrouver avec des centaines de personnes en errance, à la recherche d’endroits où poser leurs valises, alors qu’ils étaient installés dans des endroits sécurisés il y a encore quelques heures ».

Car c’est bien cette attitude « schizophrénique » des pouvoirs publics qui irritent le plus ces bénévoles, eux qui rappellent être régulièrement appelés à l’aide par des services sociaux en constante saturation. Celles et ceux qui font face à la détresse des personnes vulnérables de manière quotidienne avouent être marqués par les événements en cours : « Mardi, un jeune homme nous a interpellés : vous avez pillé mon pays, vous avez provoqué la guerre. Maintenant que je suis ici, vous me faites encore la guerre. Ça résume assez bien la situation », conclut Jean-François Puech.

Laurent Perpigna Iban
Il travaille principalement sur la question des nations sans états, des luttes d'émancipation des peuples aux processus politiques en cours, des minorités, et des réfugiés. Il est souvent sur la route du proche et du moyen Orient pour son site Folklore du quotidien.
Retrouvez cet article dans le feuilleton :

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