Ils sont barmen et responsables de deux bars bien connus de La Victoire à Bordeaux. Avec leur gérant, ils devaient choisir une formation de groupe et ont opté pour une initiation au management. Alors qu’ils croyaient passer des heures à gratter du papier pour intégrer un enseignement classique, ils ont eu la bonne surprise de tomber sur Claire Berthomieu, « formatrice au changement » qui les a emmené vers des méthodes innovantes, basées sur les théories du management bienveillant et de la communication non violente. Retour sur un échange de bons procédés qui a porté ses fruits.
Je suis conviée à l’heure de la réunion hebdomadaire de l’équipe des bars de l’ex-cale et de La Grange dans leur bureau du cours de la Somme. Tous les responsables sont là malgré la nuit de travail de la veille.
Lorsqu’ils se remémorent les différents instants de la formation en management des derniers mois, ce sont des sourires qui apparaissent sur leurs visages, notamment celui de Bertrand, responsable de l’ex-cale depuis 12 ans c’est-à-dire depuis son ouverture (une longévité étonnante !) : « On s’attendait à une formation classique comme dans une école de commerce et on a été très surpris. Au lieu de regarder quelqu’un parler face à nous pendant des heures, on a été sollicités à participer, Claire Berthomieu était assise dans le cercle et nous a vraiment mis en situation. »
Leur sérénité me surprend tout de suite. Ils n’ont pas les signes de stress, l’agitation que je vois souvent chez les travailleurs de nuit. Les traits tirés certes, mais une déconcertante manière de parler de leur métier avec lucidité. Bertrand reprend : « Évidemment que c’est difficile, j’ai des horaires décalés, des amis, une famille et très peu d’occasions de voir mon entourage. Au bout de 10 ans, il y a de la fatigue, moins d’énergie. La formation nous a permis de voir à quel moment on était dans l’affect puis de prendre du recul. »
Claire Berthomieu, la formatrice, a donc dû tenir compte des conditions particulières de leur métier pour adapter la formation : « Le travail dans un bar de nuit est sujet au stress, à la clientèle alcoolisée, parfois même à l’agressivité. Sans compter que quand il n’y a pas de videur, tu dois à la fois servir et maîtriser la situation. Il fallait donc que ma formation tienne compte de tous ces facteurs spécifiques, notamment dans les mises en situation que j’aime à faire jouer pour être dans le concret. Contrairement à un restaurant, un bar est classé établissement de divertissement, ça en dit long sur le rôle qu’on fait porter au personnel. »
Un personnel qui doit toujours donner l’impression d’être dans la légèreté, l’amusement. Pendant que la clientèle fait la fête, le barman doit travailler en participant à l’ambiance festive de son établissement. Cédric le gérant des deux établissements avoue que la sensation est grisante, mais épuisante sur le long terme : « J’ai dû faire mon deuil du travail de nuit, j’adorais cet univers parallèle. Être payé pour être dans un milieu festif quand c’est bien fait c’est une bonne dose d’adrénaline. Mais on ne peut pas faire de l’administration le jour et la fête la nuit. Sur le long terme, ce n’est pas tenable. »
La réussite de Cédric est sans doute d’avoir créé le désir collectif d’installer une bonne communication en gérant les conflits de manière saine. L’adhésion de toute l’équipe aux méthodes de cette formation en était déjà la preuve. Les bases de l’entreprise libérée étaient déjà là : « Un petit établissement c’est un écosystème », assure-t-il. « L’année dernière un de nos plus vieux barmans est parti. Ça a été un manque énorme et on s’est rendu compte qu’il fallait partager les responsabilités sur deux personnes pour éviter de revivre ce genre de situation. En tant que barman on amène beaucoup de sa personnalité, mais il ne faut pas qu’elle prenne toute la place. Il ne faut pas non plus se retrouver avec un coureur de jupons ou un bagarreur, c’est trop risqué. Et puis surtout il faut faire confiance. Au départ je venais tous les soirs faire mon tour des deux établissements, mais je sentais qu’ils étaient stressés parce que j’étais là, il fallait que je les libère de ma présence. Plus on laisse les gens faire plus ils sont efficaces. »
Jouer en collectif
De quoi avaient-ils donc besoin pour aller plus loin ? « On a commencé par faire un tour de table », m’explique Claire. « Lorsque chacun s’exprime, cela confirme au groupe que la problématique est bien réelle. Ils ont mis en avant leur manque d’outils pour mieux s’organiser, communiquer et se comprendre. En partant du management classique pour glisser vers un management bienveillant, on emmène le groupe doucement vers une nouvelle vision. »
Ainsi, avec Claire, ils ont affiné leurs bases en reprenant des situations usantes au quotidien : « Un employé qui arrive tous les jours en retard ne joue pas le jeu du collectif, cela finit toujours par créer des tensions. C’était le cas dans cette équipe et il a fallu poser le problème pour faire émerger la solution, en partant du principe que l’intelligence collective du groupe a déjà la réponse. »
Concrètement, les membres de l’équipe découvrent alors l’écoute active, ou comment laisser parler l’autre en appuyant sur les points forts de son discours. Ils expérimentent des jeux de rôle dans lesquels ils simulent des cas de conflits. Claire Berthomieu aime à parler de « conflits larvés » : « Quand les gens ne se sentent pas bien, ils ne pensent pas avoir la légitimité de le formuler normalement. De fait, soit ça explose, soit c’est intériorisé. Dans les deux cas, la personne en face ne peut pas se positionner et donc résoudre la situation. Avec les méthodes de la Communication Non Violente, on exprime ses besoins et on désamorce chaque larve. »
Des méthodes inhabituelles qui ont d’abord surpris Thomas, le plus jeune et le dernier arrivé de l’équipe : « J’avais une appréhension au départ parce que Claire nous parlait de pleine conscience, de méditation… Des choses qui pour moi étaient un peu vaudou. Progressivement je me suis ouvert par ce qu’elle l’a bien amené. Aujourd’hui, je ne médite pas encore, mais je suis dans l’esprit de m’y mettre. Je sais surtout identifier les symptômes du stress. Au début j’avais du mal avec un autre employé et depuis la formation, les barrières sont tombées. »
Pour Bertrand, ces méthodes permettent surtout d’éviter d’être dans la confrontation : « Quand on dépassionne le débat qui crée le conflit et qu’on évite les suppositions, on est prêt à régler le problème de façon logique. C’est pour cela que Claire Berthomieu s’appuie aussi sur les quatre accords toltèques. »
Et lorsque je lui demande si ces préceptes ont eu un impact sur sa vie personnelle, la réponse tombe comme une évidence : « Ces méthodes sont finalement comme un raisonnement mathématique, dans la vie de tous les jours, elles s’appliquent complètement. Ça passe pour un truc de hippie, mais ça fonctionne ! »
Un rendez-vous régulier qui s’est installé après la formation et qui permet à l’équipe de se retrouver pour mieux se projeter.
Et Cédric, le gérant, d’ajouter : « Après la première séance de formation, on se sentait un peu bizarre, avec l’impression d’être en thérapie, peut-être parce qu’on était arrivés sur la défensive. Au final, on en sort grandis. Ce qui est spécial dans notre équipe c’est qu’aucun des responsables n’a d’élément de comparaison avec d’autres établissements. Ce sont pour tous le premier ou le seul bar dans lequel ils ont travaillé. Est-ce que du coup ce genre de formation peut correspondre à tous les modèles ? Je ne suis pas sûr, car en tant que patron, il faut accepter de perdre le total contrôle. »
À l’heure où je prends congé, la réunion de staff doit se poursuivre pour régler les quiproquos de la dernière quinzaine de travail et préparer celle à venir. Un rendez-vous régulier qui s’est installé après la formation et qui permet à l’équipe de se retrouver pour mieux se projeter.