Épisode 4
7 minutes de lecture
Mardi 16 octobre 2018
par Philippe Gagnebet
Philippe Gagnebet
Philippe Gagnebet est journaliste pour Le Monde et auteur pour les éditions Autrement. Il est notamment l'auteur de Réinventer la ville : Les (r)évolutions de Darwin à Bordeaux, Résilience écologique, Loos-en-Gohelle, ville "durrable" et Les 16-25 ans et la vie active, Le rôle des missions locales aux Éditions Ateliers Henry Dougier.

C’est donc fait. Les deux ourses slovènes, Claverina et Sorita, gambadent désormais dans le Béarn. Une première depuis plus de dix ans. Elles ont été relâchées pour tenter de sauver l’espèce, seulement présente dans le massif oriental. Quant au loup, pas besoin pour lui d’hélicoptère. Il grignote du terrain en aventurier avisé, et serait même déjà présent dans le département des Landes.

C’est peut-être la dernière offrande faite à la nature par l’ex-ministre de l’Écologie Nicolas Hulot. Une deuxième ourse a été lâchée vendredi 5 octobre 2018 dans les Pyrénées-Atlantiques pour tenter de sauvegarder cette espèce « menacée d’extinction », a annoncé son successeur, le ministre de la Transition écologique, François de Rugy, sur son compte Twitter. « Je suis en mesure de confirmer aujourd’hui que deux ourses ont été réintroduites dans le Béarn, dans les Pyrénées-Atlantiques. » Une première ourse, capturée en Slovénie, avait été relâchée jeudi 4 octobre 2018, malgré l’opposition de certains éleveurs et élus locaux.

Les anti-ours avaient installé des barrages routiers dans la nuit de mercredi à jeudi pour tenter de repérer et d’arrêter les véhicules susceptibles de transporter l’animal. Samedi et dimanche ils étaient encore sur place pour tenter d’effaroucher les animaux. Claverina, « l’héritière ou celle qui détient les clés en Béarnais », est âgée de 7 ans et pèse 140 kilos, précise le ministère. Elle était « la première ourse à fouler le sol béarnais depuis une décennie », selon un communiqué. La deuxième ourse, « Sorita, petite sœur, l’a rejointe ce matin. (…) D’un an son aînée, elle pèse 150 kilos », selon le communiqué.

Après une longue période de concertation, mais aussi d’opposition de la part des éleveurs présents dans les vallées concernées d’Aspe et d’Ossau, cette réintroduction avait été présentée comme une tentative de se faire rencontrer les deux femelles avec les deux mâles, Canelito et Néré, qui errent entre l’Espagne et la France, seuls depuis des années. Une sorte de Meetic des montagnes ? Quasi impossible, tant les espaces sont grands et ces messieurs difficiles. C’est donc vers l’hypothèse de femelles déjà enceinte que l’on s’oriente.

Femelles pleines

Dès le début septembre, dans le cadre du festival Climax à Bordeaux, Sandrine Bélier, ex-députée européenne EELV, nous confirmait cette possibilité. « Hulot a préparé cela dans le plus grand secret et en brouillant les cartes, mais c’est la seule possibilité pour qu’une ou deux portées voient le jour… ».

« Il est impossible d’affirmer dès maintenant de manière certaine que les ourses Claverina et Sorita, relâchées dans le Béarn pour tenter de sauver l’espèce en France, attendent ou non des petits », a affirmé l’ONCFS dans un communiqué. Prenant ainsi ses distances avec l’Agence forestière slovène qui avait estimé « très probable » que les deux ourses donnent naissance à des petits dès l’an prochain. Concrètement, chez cet animal, quelques jours après la fécondation de l’ourse, se produit un blocage du phénomène de segmentation de l’œuf qui ne reprend que vers novembre après l’entrée en hibernation. On dit alors qu’elle est « gravide ».

La période de capture envisagée pour Claverina et Sorita était donc compatible avec la capture de femelles gravides. Pour autant, ce mode de gestation « ne permet pas d’espérer visualiser les embryons, et rend délicats les dosages hormonaux », précise l’ONCFS. « À la suite d’examens vétérinaires poussés et de tests de grossesse positifs, il est très probable que les deux ourses donneront naissance à des petits dès l’an prochain », avait annoncé la semaine précédente Marko Jonozovic, responsable du projet en Slovénie. Il se pourrait donc bien que ces deux dames s’endorment dans quelques semaines avec des oursons en gestation, et que ceux-ci voient le jour au début de l’hiver 2019.

Encore faut-il que Claverina et Sorita s’adaptent à leur nouvel environnement et échappent aux balles des éleveurs, toujours très remontés.

En général, l’ourse donne naissance entre un et trois oursons pesant chacun environ 300 g. Ils passent les trois premiers mois de leur vie avec leur mère dans la tanière pour en sortir au mois d’avril. Ils restent ensuite toute l’année avec leur mère, puis s’émancipent au printemps suivant, après avoir passé encore un hiver en sa compagnie. Par conséquent, les ourses ne peuvent avoir une portée que tous les deux à trois ans. L’opération va-t-elle réussir en vallée d’Aspe ? On estime à une centaine le nombre d’individus nécessaire à la sauvegarde de l’espèce. Ce ne serait qu’un tout premier petit pas. Encore faut-il que Claverina et Sorita s’adaptent à leur nouvel environnement et échappent aux balles des éleveurs, toujours très remontés.

Lente, mais continue progression

Pour nos amis les loups, pas besoin d’hélicoptère, ni de grand-messe télévisée avec ministre et Cie lors de lâchers très médiatisés. Vivant en meute, autour d’un mâle et d’une femelle alpha, prenant grand soin de ses aînés sur un territoire choisi où il peut trouver à se nourrir, l’animal est aussi un grand aventurier. Lors d’un phénomène encore mal expliqué se produit ce que l’on appelle la « dispersion ». Dans ces meutes, un ou deux individus, mâle ou femelle, et lorsqu’ils deviennent adultes, partent tous seuls découvrir de nouvelles contrées et éventuellement former une nouvelle meute.

Instinct sauvage et prédateur, éléments considérés les plus faibles, inutiles, ou alors les plus forts et donc à même de perpétuer la vie ? Le monde scientifique se pose encore la question, le loup d’Europe ayant ses propres caractéristiques, encore très méconnues. Toujours est-il que si l’on trouve désormais des traces de présence de Canis Lupus dans les Pyrénées-Orientales, la Creuse, la Vendée et même récemment jusqu’en Bretagne, c’est que l’on a à faire à ce phénomène. Des sortes d’éclaireurs solitaires partis chercher de nouveaux territoires où s’établir.

Source : Wikipedia

Comment, alors, un mâle et une femelle arrivent-ils à se rencontrer, s’entendre et créer une portée de rejetons ? Mystère et magie de la vie sauvage. La progression est lente, mais continue. Réapparu en 1992 en France, le loup a, depuis, conquis la grande partie Est de la France. Avec 450 individus recensés en 2017, plus tous ceux abattus depuis plus de 10 ans, soit près de 400 animaux tout de même, cela fait un total de près de 1000. Et encore, la présence actuelle serait largement sous-estimée.

Une forêt faite pour les loups

Va-t-on donc entendre bientôt hurler l’animal au fond de la forêt des Landes, début août, lorsque les louveteaux sont en âge de communiquer et chasser ? Pas impossible. Jérôme Bonalumi, chef adjoint de la Brigade Loup de l’ONCFS nous confiait en 2017 : « Autant on peut le repérer en montagne au cœur des vallées et là où il se met à découvert, autant au beau milieu d’une forêt, c’est quasiment impossible. Il trouverait dans les Landes une région peu peuplée par l’homme, et surtout un réservoir à gibier très important. Le loup, même s’il s’attaque aux brebis, aime surtout les ongulés, biches et chevreuils en priorité, même les marcassins l’intéressent au plus haut point. »

Dans les Alpes, tout ou presque a été tenté pour réguler sa présence : effarouchements, prélèvement annuel, présence de lamas dans les troupeaux de brebis en estive, parc clôturé, chiens patou… dans le Larzac, en Aveyron, on a même équipé les brebis de colliers à ultra-son qui feraient fuir le prédateur. Même la politique d’abattage serait inefficace, car elle favoriserait de fait les phénomènes de dispersion dans une meute.

Selon plusieurs témoignages, un loup aurait été aperçu, et ses excréments retrouvés dans les Landes.

Dans le cadre du plan loup 2018-2023, présenté par le gouvernement en 2018, ce sont les départements qui devront appliquer des meures et tenter d’anticiper. Le 11 septembre, lors de l’installation par le Préfet de la Haute-Vienne de la cellule de veille sur le loup, les « échanges étaient parfois musclés, mais constructifs » commentait sobrement sur sa page Facebook le vice-président à la biodiversité en Nouvelle-Aquitaine, Nicolas Thierry, favorable à de nouvelles formes de gestion pour une meilleure cohabitation.

Cellules de veille et mystères

En Dordogne, la décision de la Préfète Anne-Gaëlle Baudoin-Clerc d’installer le 1er octobre une cellule de veille loup pourrait donc « paraître incongrue, voire inutilement polémique. Elle serait plutôt politique, le but étant clairement de dégonfler les rumeurs, de mettre tout le monde au même niveau d’information, et de prévenir les risques d’embrasement dans les deux camps qu’un retour inattendu du loup dans le département pourrait susciter », soulignait le quotidien Sud-Ouest. Il s’agit surtout de planifier le suivi de la présence éventuelle du loup dans le département en lien avec les départements voisins, de communiquer objectivement sur le sujet et d’organiser si besoin des actions proportionnées à la situation locale.

Que vous avez de grandes dents ! — Gustave Doré

Avec les services de l’État, les collectivités, les agriculteurs et forestiers, les associations de protection de la nature, de la louveterie et des chasseurs. Selon plusieurs témoignages, un loup aurait été aperçu, et ses excréments retrouvés dans les Landes… au bord de l’océan. Selon Nicolas Thierry, « des analyses sont en cours, mais cela devait arriver. » Pour l’instant, pas de panique et d’hystérie. Il se dit même que certains sylviculteurs seraient bien heureux que le loup prélève en nombre les sangliers, qui font de nombreux dégâts dans la forêt de pin. Une régulation totalement naturelle en quelque sorte.

En 2017, le berger et son troupeau de brebis le « plus attaqué de France », aux alentours du Parc du Mercantour, me racontait qu’il voyait le loup au moins deux ou trois fois par semaine. Le berger aurait même essayé de mettre du parfum sur ses bêtes pour éloigner le prédateur. « Un jour, en plein hiver, me racontait-il, il y en a un qui s’est approché à 10 mètres de nous. J’ai hurlé, je lui ai lancé des pierres, de tout. Il s’est alors retourné et a emprunté le talus recouvert de neige à l’orée de la forêt, puis il a disparu. Avec ma femme, on a voulu voir les traces, il n’y en avait pas, je vous le jure. C’est comme s’il s’était envolé… » La magie et les mystères demeurent. Et c’est heureux.

Philippe Gagnebet
Philippe Gagnebet est journaliste pour Le Monde et auteur pour les éditions Autrement. Il est notamment l'auteur de Réinventer la ville : Les (r)évolutions de Darwin à Bordeaux, Résilience écologique, Loos-en-Gohelle, ville "durrable" et Les 16-25 ans et la vie active, Le rôle des missions locales aux Éditions Ateliers Henry Dougier.
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