Épisode 3
6 minutes de lecture
Vendredi 5 octobre 2018
par Philippe Gagnebet
Philippe Gagnebet
Philippe Gagnebet est journaliste pour Le Monde et auteur pour les éditions Autrement. Il est notamment l'auteur de Réinventer la ville : Les (r)évolutions de Darwin à Bordeaux, Résilience écologique, Loos-en-Gohelle, ville "durrable" et Les 16-25 ans et la vie active, Le rôle des missions locales aux Éditions Ateliers Henry Dougier.

Ils sont revenus, et comptent bien rester là. L’ours comme le loup se sentent bien en France où ils trouvent montagnes et forêts idéales pour leur habitat. Ainsi qu’un garde-manger abondant fait de brebis ou de myrtilles. Focus sur les retours fracassants des rois des cimes et des journaux télévisés…

Photo de couverture : Flickr

À pas d’ours ou comme un loup mal léché. À moins que ce ne soit l’inverse. À ma droite, Canis Lupus, le loup gris d’Europe. Un athlète de haut niveau qui se déplace en bande avec sa petite famille, traque la biche, le chevreuil et les brebis des Alpages. Le prédateur des prédateurs, malin comme un singe, vif comme un léopard, rusé comme une fouine. À ma gauche, l’ours brun, un gros balourd qui peut atteindre 250 kg, passe son hiver à roupiller bien à l’abri, et goûte à partir du printemps aussi bien de la myrtille sauvage que des mollets frêles des brebis pyrénéennes, territoire où il vit depuis la nuit des temps.

Ils sont donc revenus, ces deux symboles de la vie sauvage. Adulés comme des Dieux, craints comme le Diable. Naturellement, et en provenance d’Italie dès 1992 pour le loup, alors qu’il avait été éradiqué du territoire par l’homme à la fin des années 1980. Sauvé de la disparition, puis progressivement réintroduit pour l’ours brun, dans les Pyrénées françaises et espagnoles.

Avec un effectif estimé de 150 ours au début du XXème siècle, sa population a été en baisse constante jusqu’à ne plus représenter qu’un noyau résiduel de cinq individus, localisé en Béarn, en 1995.

Une opération de réintroduction de trois individus en Pyrénées centrales en 1996 et 1997, puis le renforcement de ce nouveau noyau par cinq individus en 2006 ont permis d’établir à ce jour une population d’une quarantaine d’animaux, population qui croît lentement, mais naturellement depuis 2006. Cette population reste cependant l’une des plus menacées d’Europe du fait de son isolement.

L’ours brun est une espèce protégée en application de l’arrêté ministériel du 17 avril 1981 modifié par l’arrêté du 16 décembre 2004. Cet arrêté stipule qu’à condition qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien de la population concernée, le ministre chargé de la protection de la nature peut, après avis du Conseil National de la Protection de la Nature, autoriser la capture ou la destruction d’individus pour prévenir des dommages importants au bétail ou dans l’intérêt de la sécurité publique. Aucun ours n’a été abattu en France depuis des lustres, sauf Cannelle, tuée « accidentellement » en novembre 2004 par un chasseur effrayé.

Des textes et des bêtes

Plusieurs textes juridiquement contraignants pour la France protègent également le loup. Cette espèce est tout d’abord protégée par la Convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, que la France a ratifiée en 1990. La directive européenne du 21 mai 1992 relative à la conservation des habitats naturels, ainsi que de la faune et de la flore sauvages, a également inscrit Canis Lupus dans son annexe IV qui liste les espèces nécessitant une protection stricte. Du coup, les meutes se forment et chaque année l’État autorise l’abattage d’environ 40 individus sur une présence totale de 400 dénombrée en 2017.

Pour ce faire, une « Brigade loup » a été créée en 2015, sous les ordres de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et a pour mission le soutien aux éleveurs, l’observation, le suivi scientifique et le prélèvement. Comme pour l’ours, un « Réseau loup », constitué de plus de 1200 correspondants spécialement formés, dont 70 % de professionnels et 30 % de particuliers, est chargé de relever les indices de présence de l’animal sur le terrain. Les équipes de la brigade, composées de binômes de jeunes passionnés et d’agents aguerris de l’ONCFS, sillonnent le territoire. Avec donc trois missions principales à accomplir : le soutien aux éleveurs, le suivi et observation scientifiques, et les « prélèvements », dans le jargon, la possibilité d’abattre un nombre plafonné de loups chaque année.

Suspendue aux arrêtés pris par le ministère de la Transition écologique et solidaire, désormais en accord avec celui de l’Agriculture et de l’alimentation, la brigade surveille en hiver, et intervient souvent en été, période propice aux attaques lorsque les troupeaux sont en estive. Mais sur les 40 loups abattus en 2016-2017, plafond reconduit pour un an par l’arrêté publié au Journal officiel en juillet 2018, elle n’en a prélevé qu’un tiers. Le reste étant assuré par les chasseurs ou lieutenants de louveterie autorisés ponctuellement à mettre le prédateur dans leur viseur.

Le dormeur, le coureur

À l’heure où les annonces et études scientifiques alertent sur la perte de la biodiversité (des oiseaux aux abeilles), au niveau mondial et même national — on évoque la disparition de 30 % des espèces animales en France en vingt ans — ces retours résonnent comme autant de signes d’espoir. Et sont éclairants sur les rapports que l’homme entretient avec le sauvage. Au-delà des débats virulents entre opposants et défenseurs, c’est bien une approche scientifique et philosophique qui s’opère : sur notre rapport au vivant, au sauvage, au territoire, et même aux modes d’élevages et donc de nos consommations.

Dans son ouvrage de référence sur le retour du loup (Les diplomates, éditions Wildproject, 2016) le philosophe Baptiste Morizot avance : « Il s’agit avant tout d’un problème géopolitique : réagir au retour spontané du loup en France, et à sa dispersion dans une campagne que la déprise rurale rend presque à son passé de “Gaule chevelue”. Le retour du loup interroge notre capacité à coexister avec la biodiversité qui nous fonde — à inventer de nouvelles formes de diplomatie. Notre sens de la propriété et des frontières relève d’un “sens du territoire” que nous avons en commun avec d’autres animaux. »

Pour mémoire, les dégâts imputés à l’ours en 2017 représentaient 670 brebis, soit 0,5  % du cheptel national.

Que ce soit pour la sexualité : l’ours est polygame et souvent solitaire, le loup vit en famille avec sa femelle Alpha autour d’une famille de 5 à 12 animaux ; pour ses modes de prédation et donc de survie : le loup est un chasseur hors pair développant des techniques dont les Indiens d’Amérique se seraient inspirés, l’ours passe trois mois de son année en hibernation après avoir fait son plein de graisse et est omnivore ; ou encore pour son occupation du territoire, de son rapport à l’humain et donc à « l’autre » : le loup se moque de la présence humaine et suit uniquement son instinct de prédateur (une meute est présente depuis des années en plein cœur d’un camp militaire dans le Var), l’ours, quant à lui, vit essentiellement la nuit à des altitudes oscillantes entre 1300 et 2500 mètres et fuit l’homme comme la peste, sauf lorsque ses oursons sont approchés…

Pertes et tracas

Cet été, l’actualité est encore revenue rappeler la difficulté de cohabitation entre l’homme et la bête. À deux reprises, en Ariège, des randonneurs se sont retrouvés nez à nez avec des ourses. Le premier s’en est tiré avec une belle émotion et des histoires à raconter à ses petits-enfants. Le second, moins chanceux, a failli tomber du haut d’une falaise, avant d’avoir le bon réflexe : crier, agiter les bras pour montrer à l’ours sa condition d’humain, celui-ci fait alors systématiquement demi-tour, encore faut-il le savoir.

Pour tout dire, le monde scientifique et même les bergers ou les passionnés connaissent encore peu de choses de ces deux symboles sauvages. Un siècle après les montreurs d’ours, les tueurs de loups, les légendes de la bête du Gévaudan, l’homme semble peu à peu comprendre et démythifier ses voisins des bois et des montagnes. Il serait temps. En septembre, deux ourses seront relâchées dans le massif pyrénéen pour tenter de maintenir une population toujours fragile et pas encore « viable ». Le loup, quant à lui, s’est tenu assez sage cet été.

Pas de carnage dans les estives, en tous cas non relayés par la presse, alors que chaque été, Canis Lupus semblait semer la panique dans les troupeaux et les journaux télévisés. Efficacité d’une nouvelle pratique du pastoralisme (chiens gardiens de troupeaux, parcs démontables pour les estives, suivis plus précis…) ? Ou bien alors véritable cohabitation plus pacifiée qui commence à s’installer ? Selon les derniers comptages officiels de l’ONCFS, il y aurait en France environ 450 loups, une quarantaine d’ours, pour 60 millions d’habitants, 21 000 éleveurs et environ 6 millions de brebis.

Pour mémoire, les dégâts imputés à l’ours en 2017 représentaient 670 brebis, soit 0,5 % du cheptel national. Un peu plus pour Canis Lupus, en carnivore assumé. D’ailleurs, celui-ci investit peu à peu de nouveaux terrains de chasse et de vie. Arrivé par l’Italie en 1992, il est désormais présent sur tout l’arc alpin, dans le Var, l’Aude, l’Aveyron et certainement au pied des Pyrénées avant la Creuse, et demain, les Landes. Impossible, vraiment, de partager harmonieusement notre territoire avec ces deux légendes de la vie en mode sauvage ?

Philippe Gagnebet
Philippe Gagnebet est journaliste pour Le Monde et auteur pour les éditions Autrement. Il est notamment l'auteur de Réinventer la ville : Les (r)évolutions de Darwin à Bordeaux, Résilience écologique, Loos-en-Gohelle, ville "durrable" et Les 16-25 ans et la vie active, Le rôle des missions locales aux Éditions Ateliers Henry Dougier.
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