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Jeudi 31 mai 2018
par Alexandra JAMMET
Alexandra JAMMET
Jeune journaliste, Alexandra écrit régulièrement pour Sud Ouest et Rue89 Bordeaux. Passionnée d'écologie, de surf et de voyage, elle travaille sur des sujets liés à l'environnement et à la société.

Chaque année, les Landes et la Gironde perdent en moyenne 1,7 à 2,5 mètres de côte sableuse. D’ici 2050, 50 mètres de sable pourraient être perdus sur le littoral aquitain. L’érosion de notre littoral est-elle inévitable ?

C’est la première belle journée de janvier. Sur les plages de Mimizan, des dizaines de promeneurs redécouvrent le plaisir des balades au bord de l’océan. Des familles et leurs chiens, des ramasseurs de déchets, des bandes d’ados et même, des chercheurs de trésors. Armés de leurs détecteurs de métaux, ils parcourent frénétiquement la plage. Et si le trésor n’était pas sous le sable, mais bien le sable lui-même ?

Face à l’océan, des dizaines de maisons blanches aux volets bleus surplombent la dune. L’une d’entre elles m’est familière. Elle appartient à la famille de mon amie Léa. Depuis des générations, protéger la dune fait partie des traditions. La famille a élaboré plusieurs techniques pour atténuer les dégâts causés par l’érosion. « On plante régulièrement des végétaux de bord de mer qui permettent de fixer la dune, m’explique Brigitte, sa mère. Oyats, lis de mer, pittosporum, armérie. C’est très important. » Sur la dune, on aperçoit des filets verts foncés, plantés « pour éviter que le sable ne s’échappe pendant les tempêtes. » Ici comme sur le reste de la côte, ce sont 2600 logements qui sont menacés d’ici 2050. Une réalité « angoissante » pour les propriétaires.

« On ne veut pas reculer notre serviette »

Pour en savoir un peu plus sur les causes de cette érosion, je contacte le GIP Littoral Aquitain, chargé du développement durable de la côte. Manon Robin, chargée d’étude de gestion des risques, m’explique que c’est un « phénomène naturel ». Sur les 30 kilomètres de côtes rocheuses qu’on trouve au Pays basque, ce sont principalement les événements brutaux comme les tempêtes qui vont faire reculer le trait de côte. La côte sableuse, elle, vit un départ de sédiments continu, causé par la houle et la marée, aggravé par les tempêtes.

Un filet contre l'érosion des dunes
Toutes les astuces sont bonnes pour stopper l’érosion — Photo : Alexandra Jammet

Depuis la fin du XIXe siècle, et surtout, après la Seconde Guerre mondiale, les hommes se sont emparés du littoral, où ont fleuri les stations balnéaires. « L’érosion a toujours existé, mais aujourd’hui, elle pose problème, car elle touche des logements et des activités touristiques qui sont alors sont menacés », rappelle Manon Robin. Les restaurants et commerces de bord de mer, mais aussi les activités maritimes, comme la conchyliculture ou les ports, ainsi que les sports aquatiques sont concernés. Dès les années 1960, à Mimizan-plage, les dégâts causés par l’érosion sont visibles dans cette vidéo de l’INA. Depuis, les activités humaines localisées sur le littoral aggravent d’autant son l’érosion. « Les implantations d’infrastructures, le tourisme, le piétinement des dunes peuvent aggraver ce phénomène », poursuit-elle.

Certains propriétaires de maison ainsi que l’Office National des Forêts plantent des panneaux d’interdiction, pour dissuader les casse-cous d’escalader la dune. Je repense à ce que Brigitte m’a dit à propos de l’efficacité imprévisible des filets. « En 2014, on a perdu 10 mètres de dune et l’un de nos filets a été arraché, alors qu’en janvier dernier, ils se sont rechargés et on n’a rien perdu du tout ! Ce sont des vas-et-vient. Aujourd’hui, avec le changement climatique, il faut prier pour que ce ne soient pas que des vas. »

Je tente d’en savoir un peu plus sur les conséquences du réchauffement climatique auprès de Nadia Sénéchal, chercheuse en sciences de la mer à Bordeaux. « Le réchauffement climatique risque de provoquer une montée des eaux et une augmentation de la fréquence des tempêtes, explique-t-elle. La montée des eaux, on en verra les conséquences dans un siècle. Aujourd’hui ce qui nous préoccupe le plus, ce sont les tempêtes. Seront-elles plus fréquentes ? Plus violentes ? Nous ne sommes pas capables de dire vers quel scénario on se dirige. »

Est-ce que les plages, formées il y a 8000 ans, vont disparaître ? « Les plages ne disparaîtront jamais, m’assure-t-elle, mais elles vont reculer. Quand la marée monte, vous reculez votre serviette. Aujourd’hui la mer monte, soit à cause de l’érosion, soit à cause de l’augmentation du niveau des eaux, mais on ne veut pas reculer ! »

Est-ce que les plages, formées il y a 8000 ans, vont disparaître ? — Photo : Alexandra Jammet

Sable en danger

« Le plus gros problème sur la côte, ce sont les réserves en sédiments, alerte-t-elle. Globalement, les apports en sédiments sur la côte Aquitaine sont nuls. » Pénurie de sable. L’expression est lâchée, elle donne le vertige. Une rapide recherche me confirme cette réalité. Le sable est devenu une denrée rare, prisée, un enjeu planétaire. Utilisée pour la fabrication du béton, c’est la base de nos constructions, et la deuxième ressource la plus utilisée au monde, après l’eau. Comment en est-on arrivé là ?

« Ces apports de nutriments venaient du plateau continental, mais ils ont été repris par les hommes pour construire nos plages ; il y avait également des apports liés aux fleuves, et si on regarde aujourd’hui côté fleuves on n’a plus d’apport de sable, il y a des raisons anthropiques, comme les barrages hydrauliques qui vont bloquer les sédiments », poursuit-elle. C’est toute une logique, à l’échelle internationale, à repenser. Mais revenons-en à nos problèmes de grignotage des côtes.

Au niveau régional, le GIP Littoral Aquitain a mis en place quatre modes de gestion de l’érosion : l’évolution naturelle surveillée, qui consiste dans les secteurs où les enjeux sont faibles à une évaluation de l’évolution du trait de côte. « Si on voit que ça risque d’évoluer négativement on va employer d’autres modes de gestion » précise Marie Robin.

Le deuxième niveau de gestion est l’accompagnement des processus naturels, avec l’implantation de végétaux sur les dunes pour la stabiliser, comme le font Brigitte, Léa et leur famille. Vient ensuite la lutte active, dans les secteurs à forts enjeux. « La lutte active souple permet de faire des rechargements de sables aux endroits où il y a des déficits de sédiments importants, et la lutte active dure ce sera la construction d’ouvrage de protections qui vont protéger de manière plus forte. » Les murs ou digues verticales, par exemple, absorbent l’énergie des vagues et protègent l’arrière.

Photo : Alexandra Jammet

Le dernier mode de gestion est le repli stratégique, qui consiste en la relocalisation des activités, des biens ou des personnes à l’arrière. C’est l’un des scénarios proposés à Lacanau. « C’est le plus durable sur le long terme, mais déconstruire et reconstruire des bâtiments impose des moyens financiers et réglementaires pas tout à fait aboutis aujourd’hui », explique Manon Robin, qui m’apprend qu’une étude est en cours pour quantifier cette solution. Les autres stratégies locales, proposées aux collectivités, permettent de protéger sur le court terme.

Du côté des particuliers, certains se trouvent bien démunis dans leur démarche de préservation de la côte. Brigitte regrette un manque de communication de la part de la mairie. « Fin mai dernier, on nous a envoyé un courrier nous informant d’une réunion sur le sujet début juin. Or, comme la plupart des résidents, nous ne sommes pas là toute l’année, raconte-t-elle. On n’a eu aucun suivi de cette réunion, on ne sait pas ce qu’il s’est dit ». Une situation difficile à vivre d’autant plus que le courrier annonçait également la mise en « zone rouge » de la maison. « Ça veut dire qu’ils prévoient que le trait de côte sera passé derrière la maison d’ici 40 ou 50 ans, et qu’on est alors inconstructibles. Si la maison brûle, on n’est même pas sûrs de pouvoir la reconstruire ! »

Difficile d’imaginer à quoi ressemblera notre littoral dans un siècle. Les plages seront-elles les mêmes qu’aujourd’hui ? Y’aura-t-il encore des stations balnéaires ? La tête pleine d’interrogations, je remonte la plage et ramasse machinalement un bout de bouteille plastique. Tiens, les déchets, ce n’est pas un problème qu’on peut régler, ça ? Pour en savoir un peu plus, je me mets en route vers Lacanau, où m’attend une journée ramassage de plastique.

Le van part vers Lacanau
Direction Lacanau ! — Photo : Alexandra Jammet

Alexandra JAMMET
Jeune journaliste, Alexandra écrit régulièrement pour Sud Ouest et Rue89 Bordeaux. Passionnée d'écologie, de surf et de voyage, elle travaille sur des sujets liés à l'environnement et à la société.
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